Anarcho-transhumanisme

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Les couleurs de l'anarcho-transhumanisme sont généralement représentées par une alliance entre le bleu et le noir.

L'anarcho-transhumanisme (parfois abrégé en @H+ ou ah+)[1] est un courant politique souhaitant allier le transhumanisme à la pensée libertaire. Cette doctrine postule que la liberté sociale est liée à la liberté matérielle et que la liberté est la capacité de comprendre ce qui nous entoure et d'en tirer des connaissances[2]. Selon William Gillis, un penseur et militant de ce courant, l'idée principale et le but derrière l'anarchisme transhumaniste est que "nous devrions viser à étendre nos libertés physiques autant que nous visons à étendre nos libertés sociales"[3],[4]. L’anarcho-transhumanisme est un courant de la pensée anarchiste traitant l’idée de liberté comme une valeur prioritaire et comme condition pour d’autres valeurs, et l’amélioration de l'être humain comme l'une des méthodes pour atteindre cette liberté[5]. La réflexion autour de la technologie et de l'anarchisme est donc importante au sein de cette pensée[6]. Cette philosophie anti-capitaliste, via sa réflexion autour de l'usage des technologies, de l'augmentation et de la diversification des capacités humaines grâce au développement technique et scientifique, est donc née en opposition vis-à-vis de l'anarcho-primitivisme[7],[8],[9].

Idées principales[modifier | modifier le code]

Comme le précise le politologue Paweł Malendowicz (pl), l’anarcho-transhumanisme est la reconnaissance que la liberté sociale est inséparable de la liberté matérielle : cette liberté a pour but d’élargir les possibilités humaines et les capacités d’engagement et d'action des êtres humains sur le monde. Cela signifie le pouvoir de se libérer des contraintes arbitraires que les corps peuvent imposer aux humains, mais aussi être libre de façonner le monde qui nous entoure. Ce courant souhaite dépasser et transcender les limites du genre et de la génétique au sein de l’expérience humaine. Il s’agit de remettre en question les limitations gouvernant les êtres humains. Cette pensée libertaire affirme que si des outils existent pour améliorer la qualité de vie, ils doivent être utilisés, car personne devrait éprouver la faim ou d’autres pénuries si celles-ci peuvent être éliminées[5].

Plusieurs idées principales peuvent se retrouver au sein de ce courant :

L'anarcho-transhumanisme demande à ce que l’on interroge nos désirs et valeurs au-delà de l’arbitraire de "Ce qui est", en n’acceptant ni l’autorité de constructions sociales arbitraires comme le genre, ni une loyauté aveugle au fonctionnement actuel de nos corps[7]. Il s'agit donc d'un courant revendiquant les droits aux outils du transhumanisme, et souhaitant des transformations socio-économiques nécessaires afin de modifier les infrastructures modernes d'une manière égalitaire. La technologie est un enjeu politique et démocratique, elle doit être saisie et transformée à des fins émancipatrices.

S'inscrivant dans la tradition anarchiste, l'anarcho-transhumanisme postule également l'abolition de l'Etat. Comme l'indique le politologue Paweł Malendowicz, l'anarcho-transhumanisme assume le fait que grâce aux avancées technologiques, le besoin et la nécessité d'un Etat disparaitrait[11].

L'universitaire Natalia Mikoś, dans un article paru en 2020[12], explique la pensée anarcho-transhumaniste. Elle mentionne également l'existence d'un "Manifeste" anarcho-transhumaniste. On y découvre, au sein de ce Manifeste, que les influences de l'anarcho-transhumanisme sont diverses. Ainsi, ce Manifeste anarcho-transhumaniste de 2016[13], écrit par un certain Kris Notaro, déclare que ses partisans « s’appuient particulièrement sur les branches anarcho-syndicalistes, anarcha-féministes et libertaires socialistes de l’anarchisme. [Ils] ne considèrent pas l’anarcho-capitalisme comme une branche de l’anarchisme sous quelque forme que ce soit. [Le Manifeste] est anti-autoritaire et anticapitaliste. »[14]. L’anarcho-transhumanisme cherche à abolir l’ordre hiérarchique et valorise la coopération, la liberté et l'activité pour le bien commun. Natalia Mikoś cite également un autre passage du Manifeste, où les auteurs soulignent que l’anarchisme, selon eux, n’est pas un rêve utopique :

Les mots égalitarisme, égalité, liberté, non-discrimination et coopération sont mentionnés tout au long de ce document et sont la marque de ce qu’est fondamentalement l’anarchisme. Nous reconnaissons que la science et la technologie ne peuvent pas nous libérer de toutes les formes de l’oppression à moins que, en tant que société, nous ne soyons prêts à coopérer dans des méthodes de vote démocratiques et consensuelles radicales pour atteindre nos objectifs[15].

Ainsi, comme l'explique Natalia Mikoś, dans la perspective anarcho-transhumaniste, le développement technologique devrait s'allier via un développement en accord avec les individus et la communauté. La dynamique traditionnelle d'un pouvoir oppressif doit être abolie afin que la société progresse. Par ailleurs, cette progression de la société via l'anarcho-transhumanisme ne doit pas être perçue comme linéaire et aller vers une sorte d'éternelle "perfection" de l'être humain, mais plutôt comme une forme de "diversification", selon certains militants comme William Gillis et Blueshifted[16]. Au sein de cette pensée, l'idée est que l'augmentation humaine est relative : différentes personnes et différentes communautés peuvent avoir des revendications diverses par rapport à l'augmentation et il n'y a pas une vision unique de "l'humain augmenté" pour le futur :

"Cependant, il est important d’être clair : la considération proactive du possible n’est pas la même chose que la préfiguration bornée. Les anarcho-transhumanistes ne font pas l’erreur d’exiger un seul avenir spécifique, d’établir un plan et d’exiger que le monde s’y conforme. Ce que nous préconisons, c’est plutôt la possibilité d’une multiplicité de futurs."[17] [...]

Le primitivisme simplifie à l’extrême la situation, affirmant que ce qui existe doit nécessairement être le seul moyen de rendre possible certaines technologies. Cela implique aussi souvent un arc de développement linéaire unique où tout dépend de tout le reste, ignorant la grande latitude et la diversité des options en cours de route et en omettant d’étudier le vaste potentiel de reconfiguration. [...][18]

Comme on peut s’y attendre, la position transhumaniste et anarcho-transhumaniste est de laisser fleurir un milliard d’architectures physiques et cognitives ! Nous voulons attaquer radicalement et éliminer les stigmates et les normes sociales contraignantes afin qu’une grande diversité d’expériences puisse être vécue sans oppression."[16],[19]

Ainsi, cette citation de William Gillis et Blueshifted précise que l'anarcho-transhumanisme ne propose pas un futur précis, et qu'il existe une infinité de futurs qui doivent être rendus possibles via l'application de cette philosophie politique.

Rapprochement avec d'autres courants d'idées anarchistes[modifier | modifier le code]

Cette idée d'allier technologie et émancipation libertaire peut également se retrouver chez d'autres penseurs anarchistes, tel que Murray Bookchin et sa théorie de l'écologie sociale. Dans un article de 1965, intitulé Vers une technologie libératrice, Bookchin écrit au sujet de la technologie et de la cybernétique au sein d'une société libertaire :

Cette révolution technologique et les perspectives qu’elle ouvre à la société tout entière sont le fondement réel des modes de vie radicalement nouveaux qui se répandent parmi la jeunesse actuelle en même temps que, très rapidement, elle se dégage des valeurs de ses aînés et des traditions immémoriales qui plaçaient le travail au centre de tout. Même la revendication récente d’un revenu annuel garanti reflète, quoique bien faiblement, la nouvelle réalité qui imprègne la mentalité des jeunes. Grâce à l’apparition de la technologie cybernétique, un nombre sans cesse croissant de jeunes se mettent à croire fermement à la possibilité d’une vie débarrassée des peines du travail. [...] Les possibilités créées par l’application de la cybernétique à la technologie ne se limiteraient pas à la satisfaction des besoins matériels humains. Nous aurions aussi la liberté nécessaire pour nous demander comment la machine, l’usine et la mine pourraient servir à promouvoir la solidarité humaine, à établir une relation équilibrée avec la nature et une communauté véritablement organique, une « écocommunauté ». [...] Pourquoi ne pas utiliser des machines automatisées et cybernétisées de telle façon qu’elles assument l’extraction, la préparation et le transport des matières premières puis le dégrossissage des produits et laissent aux membres de la communauté les derniers stades de la fabrication impliquant habileté manuelle et sens artistique. La plupart des pierres dont sont faites les cathédrales ont été soigneusement taillées et appareillées de façon à faciliter leur assemblage – travail ingrat et répétitif qui s’effectue aujourd’hui vite et sans effort grâce à des machines. [...] Dans une communauté libérée, la combinaison de la machine et de l’outil artisanal pourrait atteindre un degré de sophistication et d’interdépendance créatrice inégalable. La vision de William Morris d’un retour à l’artisanat serait débarrassée de ses pointes nostalgiques. On serait vraiment fondé à parler d’un progrès qualitatif de la technique, d’une technologie au service de la vie[20].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. « Anarcho-transhumanism — H+Pedia », sur hpluspedia.org (consulté le )
  2. https://humaniterations.net/2012/01/06/what-is-anarcho-transhumanism/
  3. The Routledge Handbook of Anarchy and Anarchist Thought (edited by Gary Chartier and Chad Van Schoelandt), chapter 30, pp. 416-428 [https://theanarchistlibrary.org/library/william-gillis-anarchy-and-transhumanism-2020]
  4. Traduction de : "We should seek to expand our physical freedom just as we seek to expand our social freedom." (-William Gillis)
  5. a et b Paweł Malendowicz, Non-anarchist Anarchisms and Anarchisms of Non-anarchist Origin in Contemporary Political Thought, 2022 [https://cejsh.icm.edu.pl/cejsh/element/bwmeta1.element.ojs-doi-10_15804_athena_2022_75_04], p.80
  6. INGHELS, Nicolas, Approche épistémologique de l’anarchisme : petite contribution à l’étude du mouvement anarchiste, LES ANALYSES DE L’IHOES, [https://www.ihoes.be/PDF/analyses/Approche_epistemologique_de_l_anarchisme.pdf]
  7. a et b « une FAQ sur l’anarcho-transhumanisme » Indymedia Nantes », sur nantes.indymedia.org (consulté le )
  8. https://www.infolibertaire.net/sur-lanarchisme-la-technologie-et-le-transhumanisme-structural-fract/
  9. (en) Gary Chartier et Chad Van Schoelandt, The Routledge Handbook of Anarchy and Anarchist Thought, Routledge, (ISBN 978-1-351-73358-8, lire en ligne)
  10. (en) « Anarchotranshumanism: This Machine Kills Ability », sur The Anarchist Library (consulté le )
  11. Paweł Malendowicz, Non-anarchist Anarchisms and Anarchisms of Non-anarchist Origin in Contemporary Political Thought, 2022 [https://cejsh.icm.edu.pl/cejsh/element/bwmeta1.element.ojs-doi-10_15804_athena_2022_75_04], p.79
  12. (en) Natalia Mikoś, « The Evolution Within Human A review of: Francesca Ferrando, Philosophical Posthumanism. Theory in the New Humanities (London, New York: Bloomsbury Academic, 2020). », ER(R)GO. Teoria-Literatura-Kultura, vol. 1, no 42,‎ , p. 283–292 (ISSN 1508-6305, lire en ligne, consulté le )
  13. An Anarchist-Transhumanist Manifesto (Rough Draft, Needs fact checking, many opinions need editing) [https://docs.google.com/document/d/1wJrXYBXAmNH9zwyfgg1-yAYN_Cda-26pFCk0u_QhyBc/edit]
  14. Traduction de : "specially draw upon Anarcho-Syndicalist, Anarcha-Feminist, and Libertarian Socialist branches of Anarchism. [They] do not consider anarcho-capitalism as a branch of anarchism in anyway shape or form. [The Manifesto] is antiauthoritarian and anti-capitalist."
  15. Traduction de : "The words egalitarianism, equality, freedom, nondiscrimination, and cooperation are mentioned throughout this document and are hallmarks of what anarchism is fundamentally about. We acknowledge that science and technology cannot free us from all forms of oppression unless, as a society, we must be willing to cooperate in radical democratic and consensus voting methods to reach our goals."
  16. a et b (en) « An Anarcho-Transhumanist FAQ », sur The Anarchist Library (consulté le )
  17. Traduction de : "It’s important to be clear however: Proactive consideration of the possible is not the same thing as small-minded prefiguration. Anarcho-transhumanists are not making the mistake of demanding a single specific future—laying out a blueprint and demanding that the world comply. Rather what we advocate is the enabling of a multiplicity of futures."
  18. Traduction de : "Primitivism oversimplifies the situation, saying that what exists must necessarily be the only way to enable certain technologies. It also frequently implies a single linear arc of development where everything is dependent upon everything else, ignoring the often great latitude and diversity of options along the way and failing to investigate the vast potential for reconfiguration."
  19. Traduction de : "As you would expect the transhumanist and anarcho-transhumanist position is to let a billion physical and cognitive architectures bloom! We want to radically attack and remove stigmas and constraining social norms so that a great diversity of experiences can be lived without oppression."
  20. Murray Bookchin, Vers une technologie libératrice, 1965 [https://fr.anarchistlibraries.net/library/murray-bookchin-vers-une-technologie-liberatrice]