Correspondance chiffrée de Charles Quint

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Correspondance chiffrée de Charles Quint
Image illustrative de l’article Correspondance chiffrée de Charles Quint

Support papier
Datation XVIe s.
Langue français et chiffré

La correspondance chiffrée de Charles Quint est un ensemble de lettres de l'empereur du Saint-Empire présentant un passage ou la totalité de son message chiffré et échangées avec son ambassadeur Jean de Saint-Mauris à la cour de France. Cette centaine de lettres concerne la seconde moitié des guerres d'Italie, au début du XVIe siècle, opposant les souverains Charles Quint et François Ier, afin de dissimuler des informations stratégiques à tout autre personne que son destinataire muni de la clé de chiffrement. Dans les années 1930, le chercheur allemand Franz Stix a compilé et publié 24 clés utilisées par la chancellerie impériale de Charles Quint, dont le code utilisé par Saint-Mauris[1]. L'historien anglais David Potter a également compilé ce code en 1973 sur la base de ses recherches sur les lettres de Saint-Mauris[2]. Le cryptographe japonais Satoshi Tomokiyo a pu compiler le code en 2022 à partir de lettres provenant de Madrid[3]. Des chercheurs français, historiens et experts en cryptographie, ont de nouveau publié cette clé de chiffrement en novembre 2022 après la découverte d'une lettre de Charles Quint à son ambassadeur[4].

Lettre de Charles Quint à l'ambassadeur de France le Sieur de Saint-Mauris[modifier | modifier le code]

La première lettre déchiffrée dans cette correspondance comprend 4 feuillets, d'environ 70 lignes. Elle compte 3 sections en clair, rédigées en alphabet romain et en moyen français, entrecoupées de passages chiffrés au moyen de 120 caractères différents[5]. Elle est datée du 22 février 1547.

Ces feuillets sont conservées à la Bibliothèque Stanislas de Nancy.

Le destinataire de la lettre est Jean de Saint-Mauris, alors ambassadeur de Charles Quint auprès du roi de France, François Ier, depuis 1544[6]. D'origine franc-comtoise, Saint-Mauris est apparenté, par sa femme, à la puissante famille de Perrenot de Granvelle dont son principal représentant, Antoine Perrenot de Granvelle, est secrétaire d’État pour le Saint-Empire et principal conseiller de Charles Quint[7].

'Page d'en-tête d'une lettre de Charles Quint à l'ambassadeur de France Saint-Mauris'.

Contexte historique[modifier | modifier le code]

L'utilisation de lettres chiffrées de la main de Charles Quint est attestée durant la période d'instabilité que représente la première moitié du XVIe siècle[5], marquée par les guerres d'Italie opposants les rois de France et d'Espagne. ainsi que par le heurts l'opposant aux princes luthériens de la ligue de Smalkade[6],[7] dirigée par Jean-Frédéric de Saxe[7]. Les tensions politiques et diplomatiques se jouant en Europe durant ces décennies obligent le monarque à communiquer de façon chiffrée pour empêcher ses opposants politiques, messagers ou tout intermédiaire de décrypter ses messages.

Cette lettre répond à une précédente missive datée du 6 février 1547[7] envoyé par le Sieur de Saint-Mauris à Charles Quint pour lui faire part de ses efforts auprès de François Ier pour le convaincre que le monarque du Saint-Empire souhaite respecter la trêve de Crépy-en-Laonnois signée le 18 septembre 1544[7]. Ce traité permet au roi français de conserver le Piémont[7] mais les territoires possédés par le Saint-Empire enserrent le royaume de France de sorte que les velléités entre les deux monarques perdurent[8]. Bien que François Ier ne peut engager un nouveau conflit d'importance par manque de moyens financiers, ces tensions s'incarnent dans un rapprochement de la France opéré avec Henri VIII d'Angleterre par un soutien à la ligue de Smalkade[7]. Quelques semaines avant l'envoi de la lettre à l'ambassadeur Saint-Mauris, un autre évènement majeur survient: le décès du roi d'Angleterre Henri VIII dont le fils Édouard VI n'a que 9 ans lorsqu’il doit lui succéder[6].

Contenu déchiffré[modifier | modifier le code]

La lettre révèle que Charles Quint s'inquiète de tentatives possibles d'assassinat contre sa personne, notamment l'une orchestrée par Pierre Strozzi, futur maréchal de France. Cette rumeur sera démentie par l'ambassadeur destinataire dans une réponse[6]. Charles Quint indique en outre dans sa lettre chiffrée vouloir mettre fin au conflit l'opposant à la ligue des princes luthériens de Smalkad et maintenir la paix avec François Ier [6]. Il redoute notamment que les Français ou les Anglais portent assistance à la ligue dont il peine à combattre la rébellion. La mort d'Henri VIII, ayant eu lieu quelques semaines avant, est aussi évoquée. Il charge son ambassadeur à la cour de France de se tenir au courant des réactions coté français[9]. Charles Quint craint le rapprochement qui semble s'opérer entre la France et l’Angleterre depuis le traité d'Ardres en 1546[7].

Méthode de chiffrage et décryptage[modifier | modifier le code]

Le décryptage de la lettre était possible grâce à la clé composée par Franz Stix d'après des recherches dans les archives habsbourgeois à Vienne.

D'autres missives chiffrées et adressées à Jean de Saint-Mauris sont conservées à la Bibliothèque municipale de Besançon, Doubs. Leurs expéditeurs sont variés et l'ont compte notamment 17 lettres de Charles Quint[7]. Elles ont pour particularité d'être cryptées de la même façon que la lettre du 22 février 1547 et comportent en outre une transcription d'une partie du message chiffré dans leur marge, permettant ainsi de débloquer une importante partie du code[6].

Clé de chiffrement[modifier | modifier le code]

Clé de chiffrement[7]
A B C D E F G H I J L M N O P Q R S T U V X Y Z
symboles simples
symboles complexes

(qu)

voyelles
doublement
symboles nuls
idéogrammes pour mots et personnes et - con - roi de France - roi de Bohème - roi d'Angleterre - abbé de Longpont -

Cette clé compte des symboles simples et complexes, des idéogrammes, des symboles correspondant aux consonnes doublées et des symboles nuls.

Lorsque dans un mot une consonne est suivie d’une voyelle, cette syllabe est chiffrée en employant le symbole complexe associé à la consonne à coté duquel vient se placer la diacritique de la voyelle. Par exemple le mot "ne" en clair devient un rond "o" en chiffré tandis que la syllabe "du" est cryptée par un U précédé d'un point[5]. On note en outre que certaines lettres associées couramment ensemble, comme les caractères Q et U[6] sont dissimulés par un seul caractère complexe, de sorte que le mot "que" est crypté par le caractère "z".

L'originalité de ce chiffrement est de faire disparaître un grand nombre de E (lettre la plus utilisée de la langue française), le rendant alors plus difficilement repérable pour quelqu'un n'ayant pas la clé. Les symboles simples sont utilisés dans les deux cas suivants: pour les voyelles, lorsqu’elles commencent un mot ou suivent une autre voyelle; pour les consonnes, lorsqu’elles ne sont pas suivies par une voyelle[5]. A l'inverse des suppressions de voyelles, on note l'ajout de faux symboles -symboles nuls- ajoutés aléatoirement dans le texte pour sécuriser un peu plus le chiffrement[9].

Enfin des idéogrammes complètent le code pour faciliter l'écriture de personnes revenant souvent dans les missives.

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. (de) Franz Stix, « Die Geheimschriftenschlüssel der Kabinettskanzlei des Kaisers. », Nachrichten von der Gesellschaft der Wissenschaften zu Göttingen. Berichte und Studien zur Geschichte Karls V,‎ 1936-1937, XIV: 207-26 & XV: 61-70
  2. (en) David Linley Potter, Diplomacy in the mid-16th century: England and France, 1536-1550. (PhD), Cambridge, University of Cambridge, (lire en ligne)
  3. (en) Satoshi Tomokiyo, « Granvelle-Saint Mauris Cipher (1547-1548) » (consulté le )
  4. « Loria » Lettre chiffrée de Charles Quint : une énigme multiséculaire résolue », sur www.loria.fr (consulté le )
  5. a b c et d « Lettre chiffrée de Charles Quint : une énigme multiséculaire résolue | Inria », sur www.inria.fr (consulté le )
  6. a b c d e f et g Mathilde Ragot, « Le mystère d'une lettre secrète rédigée par Charles Quint enfin percé », sur Geo.fr, (consulté le )
  7. a b c d e f g h i et j Laboratoire LORIA, Dossier de presse, (lire en ligne), p. 1-16
  8. « Une lettre cryptée de Charles Quint déchiffrée par des chercheurs français », sur LEFIGARO, (consulté le )
  9. a et b (en-GB) « Charles V: French scientists decode 500-year-old letter », BBC News,‎ (lire en ligne, consulté le )

Article connexe[modifier | modifier le code]