Décrets-lois Marchandeau

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Les décrets-lois Marchandeau du 21 avril 1939 sont une série de décrets-lois modifiant la loi de 1881 sur la liberté de la presse afin de prévoir des poursuites « lorsque la diffamation ou l'injure, commise envers un groupe de personnes appartenant, par leur origine, à une race ou à une religion déterminée, aura eu pour but d'exciter à la haine entre les citoyens ou les habitants » et visant à lutter contre la propagande étrangère. Elle est portée par Paul Marchandeau. Il s'agit des premières lois françaises contre le racisme.

Histoire[modifier | modifier le code]

Genèse[modifier | modifier le code]

La vague antijuive que connaît la France à la fin du XIXe siècle polarise les partis politiques et l'opinion publique. Le gouvernement Daladier se trouve confronté à la croissance de la propagande raciale, souvent permise par des subsides Nazis[1]. Dans ce contexte, le gouvernement fait une déclaration au Parlement français le 4 octobre 1938 pour affirmer que « tout ce qui excite à la haine, tout ce qui oppose les Français à d'autres Français ne peut plus être considéré que comme une trahison »[2].

Paul Marchandeau est nommé ministre de la Justice le 1er novembre 1938. Il rédige le décret-loi en 1939 avec pour objectif de limiter la propagande raciste des Nazis et affiliés[3]. Le décret-loi qu'il prépare vise à compléter la loi de 1881 sur la liberté de la presse en inscrivant dans le droit français l'interdiction d'attaque à caractère racial ou religieux envers un groupe de personnes et non plus seulement contre un individu[4].

Vote et promulgation[modifier | modifier le code]

Le projet est soutenu par les associations opposées à l'antisémitisme et au racisme[5]. Il est soutenu par Bernard Lecache, qui encourage Marchandeau à faire fi des critiques à l'égard du projet[6]. Il est toutefois violemment critiqué par l'extrême-droite[7]. L'Action française se déchaîne contre ce qu'elle appelle « le décret infâme »[8]. Le décret est finalement promulgué le 21 avril 1939[2].

Contenu[modifier | modifier le code]

Décret-loi complétant la loi de 1881[modifier | modifier le code]

Le premier décret-loi complète les articles 32 et 33, alinéa 2, de la loi de 1881. Il prévoit que « lorsque la diffamation ou l'injure, commise envers un groupe de personnes appartenant, par leur origine à une race ou à une religion déterminée, [a] eu pour but d'exciter à la haine entre les citoyens ou les habitants », le ministère public peut poursuivre en justice le responsable. Les associations n'ont donc pas le droit de porter plainte[6].

Décret-loi tendant à réprimer les propagandes étrangères[modifier | modifier le code]

Un deuxième décret-loi, promulgué le même jour, est lui nommé « décret-loi tendant à réprimer les propagandes étrangères ». Doté de deux articles, il vise à contrer l'ingérence étrangère en condamnant « quiconque reçoit, de provenance étrangère, directement ou indirectement [...] des fonds de propagande et se livre à une propagande politique » à une peine de six mois à cinq ans d'emprisonnement, et d'une amende de 1 000 francs à 10 000 anciens français[9].

Postérité[modifier | modifier le code]

Application[modifier | modifier le code]

Les promulgations permettent d'armer juridiquement le ministère de l'Intérieur dans sa lutte contre les ingérences nazies en France. En vertu des décrets-lois, plusieurs journaux font l'objet d'information judiciaire, ainsi que leurs dirigeants (Louis Darquier de Pellepoix, Jean-Charles Legrand et son journal Le Défi, Marcel Bucard et son Parti unitaire français, Henry Coston et la Libre Parole, etc.)[10]

Les perquisitions permettent de saisir de la documentation et du matériel de propagande. Les enquêteurs interrogent les banques des organisateurs afin de mettre à jour les circuits de financements étrangers. La perquisition au domicile de Clément Serpeille de Gobineau le 23 juin 1939 dévoile un système de paiement pour des articles propagandistes, ainsi que le paiement par l'Allemagne des frais de déplacements ou autres occasionnés par sa propagande antisémite. Le contrôle au domicile de François de Boisjolin le 24 juillet 1939 permet à la police de mettre la main sur 8 500 tracts antijuifs ; Boisjolin avoue lors de son interrogatoire être en relation avec le propagandiste Ulrich Fleischauher[10].

Abrogation par le régime de Vichy[modifier | modifier le code]

Les décrets-lois sont abrogés par le régime de Vichy le [5],[11]. Le gouvernement amnistie tous les faits commis antérieurement au décret d'abrogation[12].

Retour en vigueur sous la République[modifier | modifier le code]

Les décrets-lois sont à nouveau en vigueur à partir de la Libération[3]. Entre 1959 et 1971, une vingtaine de propositions sont faites par les parlementaires pour les modifier[3].

Le premier décret-loi est abrogé en 1972 par la loi du 1er juillet 1972 relative à la lutte contre le racisme[13]. Le décret-loi tendant à réprimer les propagandes étrangères est abrogé de manière explicite par la loi du 17 mai 2011 de simplification et d'amélioration de la qualité du droit[14].

Références[modifier | modifier le code]

  1. Michel Ansky, Les juifs d'Algérie du décret Crémieux à la libération, Éditions du Centre, (lire en ligne)
  2. a et b « Journal officiel de la République française. Lois et décrets », sur Gallica, (consulté le )
  3. a b et c Korolitski, Ulysse, (1975- ...)., Punir le racisme? : liberté d'expression, démocratie et discours racistes, CNRS Éditions, dl 2015, ©2015 (ISBN 978-2-271-07140-8 et 2-271-07140-2, OCLC 911212857, lire en ligne)
  4. Recueil Dalloz Sirey de doctrine, de jurisprudence et de législation, Jurisprudence générale Dalloz, (lire en ligne)
  5. a et b Israël Goldberg, Et Dieu créa... la laïcité: Fondements et futur de la démocratie et des droits de l'homme, Editions L'Harmattan, (ISBN 978-2-14-011043-6, lire en ligne)
  6. a et b Simon Epstein, Un paradoxe français, Albin Michel, (ISBN 978-2-226-21348-8, lire en ligne)
  7. Emmanuel Debono, Le racisme dans le prétoire: Antisémitisme, racisme et xénophobie devant la loi, Presses Universitaires de France, (ISBN 978-2-13-081005-6, lire en ligne)
  8. Michel Leymarie, Jacques Prévotat et Olivier Dard, L' Action française: culture, société, politique, Presses Univ. Septentrion, (ISBN 978-2-7574-0043-2, lire en ligne)
  9. « Décret-loi du 21 avril 1939 tendant à réprimer les propagandes étrangères. - Légifrance », sur www.legifrance.gouv.fr (consulté le )
  10. a et b Emmanuel Debono, « Autre temps, autres perquisitions (1939) », sur Au cœur de l'antiracisme, (consulté le )
  11. Nicole PIETRI, Ralph SCHOR et André KASPI, Chronologie commentée de la Seconde Guerre Mondiale, Place des éditeurs, (ISBN 978-2-262-04844-0, lire en ligne)
  12. Roger Berg et Marianne Urbah-Bornstein, Les Juifs devant le droit français: législation et jurisprudence fin 19e siècle à nos jours, Belles Lettres, (ISBN 978-2-905248-00-8, lire en ligne)
  13. Amélie Robitaille-Froidure, La liberté d'expression face au racisme: étude de droit comparé franco-américain, L'Harmattan, (ISBN 978-2-296-54176-4, lire en ligne)
  14. « LOI n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d'amélioration de la qualité du droit (1) - Légifrance », sur www.legifrance.gouv.fr (consulté le )