Four à boulets

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Four mobile, mis en œuvre par la Marine royale norvégienne pour porter au rouge des boulets (vers 1860).
Four en métal pour chauffer les boulets pendant le siège de Gibraltar (1782).

Un four à boulets, ou four à rougir les boulets, est un équipement thermique militaire utilisé du XVIIe siècle au XIXe siècle pour chauffer au rouge les boulets servant de projectiles pour des canons contre des navires ou bâtiments construits en bois.

Il est avéré que les propriétés incendiaires d'un boulet porté au rouge ont pu provoquer des incendies lors de certaines batailles au sol[1]. Cependant la probabilité de détruire un bâtiment de cette manière était assez aléatoire[2].

Cette pratique était souvent mise en œuvre par des batteries côtières en raison du danger que représentait un four à bord d'un navire.

Elle pouvait dissuader les navires de s'approcher des côtes, plus par la menace qu'elle représentait que par son efficacité réelle, compte tenu de la faible précision de l'artillerie de l'époque. Au point que le général Bernadotte affirmait que la fumée d'un four à boulets aperçu au loin par un navire de guerre pouvait suffire pour le dissuader d'approcher des côtes.

Cette pratique ancienne n'a cessé qu'avec la construction de navires en acier dans la seconde moitié du XIXe siècle.

Bref historique[modifier | modifier le code]

Si on dépasse les usages antiques du feu grégeois, la première utilisation de boulets rouges remonte aux attaques du roi de Pologne Stephen Bathory contre les Russes à Polotsk en 1579.

Les fours à boulets[modifier | modifier le code]

La méthode originale pour chauffer des boulets était de les recouvrir de charbon de bois dans un grand feu. Ou de les chauffer sur des grilles métalliques placées au-dessus d'un feu de bois. Mais ces méthodes mettaient beaucoup de temps pour chauffer les boulets. Pendant la Révolution française les Français ont inventé le four à boulets pour réduire ce délai.

Les États-Unis ont construit des fours à boulets dans les fortifications côtières de leur deuxième système de défenses littorales juste avant la guerre de 1812.

Le colonel Jonathan Williams quitta son poste de commandant de l'Académie militaire des États-Unis pour construire des fortifications équipées de fours à boulets telles que le Fort Clinton et le Fort Williams[4] sur le port de New York. Lorsque l'ingénieur général français Simon Bernard est venu aux États-Unis en 1816 à la tête du Conseil des fortifications, pour la construction des forts permanents pour défendre la côte des États-Unis, il a introduit le concept de fours à boulets de conception française. Les fortifications littorales construites entre 1817 et la guerre de Sécession, comme le Fort Macon, reçurent un ou plusieurs fours à boulets comme équipement standard.

Plusieurs géométries différentes ont été utilisées pour la construction des fours à boulets. C'étaient des structures de briques isolées des bâtiments proches, allant jusqu'à 10 m de long et 2,7 m de large. Ils étaient constitués généralement d'un tunnel incliné dans lequel on déposait les boulets sur des rigoles parallèles situées selon l'axe principal du tunnel. Les boulets étaient introduits dans la partie supérieure où se situait une cheminée pour évacuer l'air chaud et la fumée. Et ils roulaient vers la partie inférieure où se trouvait le foyer. Ils y étaient laissés pour atteindre une température de l'ordre de 800 à 900 °C, ce qui demandait selon le type de fours, entre vingt minutes et une heure et quart.

Quand les boulets étaient prélevés pour être tirés, les suivants roulaient pour prendre leur place et être chauffés de la même façon. Un grand four pouvait contenir 60 boulets. Trois hommes étaient nécessaires pour gérer le four. Des outils spéciaux métalliques, tels que des crochets et pinces à mâchoires circulaires étaient utilisés pour prélever les boulets brûlants, les nettoyer de toutes les scories et les transporter jusqu'à la batterie pour être tirés.

Chargement des boulets rouges dans les canons[modifier | modifier le code]

Un grand soin devait être apporté au chargement des canons, pour éviter que le boulet brûlant ne fasse exploser la charge de poudre du canon.

Le sac de poudre explosive était en premier. Un double sac était ensuite mis en place pour éviter des fuites de grains de poudre. Un bouchon d'argile ou de tissu humide était ensuite introduit avant le boulet rouge.

Une pratique courante était d'utiliser une charge réduite de poudre. Dans le but que le boulet se loge dans la coque du navire visé pour l'incendier plutôt que de pénétrer à l'intérieur.

Sur les navires[modifier | modifier le code]

De tels équipements ont aussi été installés sur des navires, en dépit des risques encourus[5].

Par exemple, les frégates françaises de classe Romaine (1794) en étaient équipées. Cependant, les résultats n'étaient pas concluants[6].

De même, le USS Constitution disposait d'un tel four en 1813[7].

Aujourd'hui[modifier | modifier le code]

Actuellement il reste en France les vestiges de neuf anciens fours à boulets, notamment dans l'enceinte du Fort-la-Latte et à la pointe d'Erquy et à la pointe du Roselier (Plérin) en Bretagne. Ou encore sur les îles de Lérins (Sainte-Marguerite et Saint-Honorat) au large de Cannes[8].

Il en existe aussi dans des forts conservés aux États-Unis.

Expression[modifier | modifier le code]

L'expression « tirer à boulets rouges » tire son origine de cet équipement[9].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Siège mené par l'électeur de Brandebourg à Stralfund 1675.
  2. Batailles de terre et de mer, Comte Édouard Bouët-Willaumez, Comte Édouard Bouët-Willaumez. Description du Ville-de-Paris par le commandant de frégate par intérim Dompierre D'Hornoy. Charles Marie Albert de DOMPIERRE D'HORNOY, né le 24/2/1816 à Hornoy. En 1854 il est nommé second sur la Ville de Paris (commandé par Rigault de Genouilly).
  3. Fort Gadsden and the "Negro Fort" on the Apalachicola.
  4. Fort Williams.
  5. Voir par exemple William James, Naval History of Great-Britain, vol. I, page 168 : lors du combat de Prairial, le Scipion manque d'être la proie des flammes quand un boulet anglais détruit le four, dispersant les boulets rouges qu'il contient (naval history of great britain - vol. I, 1794, british and french fleets).
  6. Nicolas Mioque, « La frégate de 24 », Trois Ponts.
  7. Voir l'extrait de la lettre du capitaine Charles Stewart au Secrétaire à la Navy, William Jones, datée du 5 décembre 1813 : « I have constructed a portable sheet iron furnace for heating red hot shot (« un fourneau en tôle pour chauffer les boulets rouges ») of the following dimensions which would answer as well for land service as sea service.... The construction of the pipe is such as it gives it a great draught. From its dimensions you can readily conceive it occupies little room, and is calculated to set to the back of our Galley where it interferes with nothing -- My purpose is only to use it against the enemy's ships of such force as would render our safety precarious, (if we cannot otherwise escape) by bringing them under our stern battery and firing red hot shot in their hull. They [Stewart's furnaces] are not very expensive and all our frigates having them, the use of which might facilitate then escape from a superior force by the contusion they would be thrown into if not the destruction of am enemy that is not disposed to contend with us on fair and equal terms. » Ce document peut être retrouvé dans la biographie que consacrent Claude G. Berube & John A. Rodgaard à Stewart, A Call to the Sea, pages 73-74.
  8. Fours à boulets sur l'île Saint-Honorat à Cannes
  9. « Four à boulets », sur presqu-ile-de-crozon.com (consulté le )

Source[modifier | modifier le code]

Voir aussi[modifier | modifier le code]

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Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Annales de la société scientifique et littéraire de Cannes-Grasse, t. XXXVIII, 1992-1993.
  • Diderot, Encyclopédie Militaire.
  • Stéphane Esclamanti, « Le four à boulets rouges », Archéam, no 9,‎ , p. 43-45 (lire en ligne).
  • Stéphane Esclamanti, Étude pour la réhabilitation d’un four à réverbère, EHESS, .
  • J. Peter, Maîtres de forges et maîtres fondeurs de la marine sous Louis XIV, Éditions Economica, .
  • J. Peter, L’artillerie et les fonderies de la marine sous Louis XIV, Éditions Economica, .
  • Stéphane Esclamanti, Sophie Mespoulhé, Étude préalable à la restauration des fours à boulets rouges des îles de Lérins (commune de Cannes), Nice, Centre européen de Formation PARTIR - École d'architecture de Paris la Villette / Office national des forêts des Alpes-Maritimes,
    Les travaux, inaugurés le 23 mai 2001, ont été réalisés grâce à un mécénat de la Fondation Maxime Goury-Laffont
  • André Tiret et Jacqueline Tiret, « Les fours à rougir les boulets des îles de Lérins et de Bretagne », Archéam, no 9,‎ , p. 46-54 (lire en ligne).
  • André Tiret et Jacqueline Tiret, « Les fours à rougir les boulets construits en France entre 1793 et 1821 », Archéam, no 10,‎ , p. 42-46 (lire en ligne)

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]