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L'Empire vous répond

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L'Empire vous répond
Image illustrative de l’article L'Empire vous répond
Couverture du livre, 2e édition.

Nombre de pages 296
ISBN 9780415280198

L'Empire vous répond : théorie et pratique dans les littératures postcoloniales, traduction de l'ouvrage en anglais The Empire Writes Back, est un essai de 1989 sur le postcolonialisme, de Bill Ashcroft, Gareth Griffiths et Helen Tiffin[1], considéré comme fondateur. « Postcolonial » dans ce livre désigne les cultures qui ont été affectées par les politiques impériales ou coloniales. Les auteurs analysent la manière dont des œuvres littéraires postcoloniales constituent une critique radicale de la littérature européenne et occidentale.

Le titre original fait référence à une formule de Salman Rushdie dans Imaginary Homelands : « The Empire writes back to the Centre », « L'Empire répond au Centre », c'est-à-dire à la métropole britannique. Il repose également sur un jeu de mots sur le titre du film Star Wars : The Empire strikes back, en français Star Wars : L'Empire contre-attaque. L'expression fait référence à la façon dont les voix postcoloniales répliquent au canon littéraire de la métropole coloniale[2]. En français, la traduction littérale serait "l'Empire écrit en retour". Une autre traduction proposée est "L'Empire contre-écrit" pour tenir compte de l'allusion au film "L'Empire contre-attaque"[3].

Les auteurs sont australiens. Publié pour la première fois en 1989, le livre a eu une deuxième édition publiée en 2002. Il a été traduit en français en 2012.

Projet du livre[modifier | modifier le code]

Le livre s'intéresse à l'impact des Empires coloniaux européens sur les littératures des peuples colonisés et au travail de subversion et de déconstruction des modèles artistiques européens entrepris par les écrivains des anciennes colonies[4]. Il se centre plus spécifiquement sur l'ex-Empire britannique - même si les ex-Empires français et espagnols sont aussi pris en compte. Aux expressions plus anciennes de littérature « du Commonwealth », « du Tiers monde », « nouvelles littératures en anglais », les auteurs substituent le nom de « littératures post‑coloniales »[5].

De plus, l'ouvrage indique la nécessité d’une « théorie littéraire post-coloniale » spécifique afin de rendre compte des littératures postcoloniales, les approches européennes traditionnelles des textes étant jugées inadéquates à ce nouvel objet littéraire[6].

Traits communs des littératures postcoloniales[modifier | modifier le code]

Par-delà leurs différences, les littératures de pays ex-colonisés ont baigné dans des contextes politiques, sociaux et économiques similaires[6].

De plus elles partagent des thématiques communes, par exemple la célébration de la lutte pour l'indépendance de la communauté ou de l'individu[7].

Surtout, les auteurs de l'ouvrage identifient des formes et des styles partagés dans les oeuvres postcoloniales. Ils recensent ainsi « l’usage particulier de l’allégorie[8], du réalisme magique, et de la discontinuité narrative », mais aussi « la prédominance de l’ironie »[6].

La résistance à la culture dominante prend souvent la forme de la parodie et de l'hybridation formelle (mimicry, hybridity)[6]. Les écrivains des pays colonisés reproduisent des récits européens pour les détourner, et créer des oeuvres transgressives[6].

La contre‑écriture (le « writing back ») se traduit aussi par une écriture polyphonique qui évoque une société hétérogène - c'est le cas par exemple dans l'oeuvre de l'écrivain guyanien Wilson Harris. La recherche d’une identité spécifiquement créole, comme chez Edward Kamau Brathwaite, écrivain barbadien, est une autre réponse littéraire postcoloniale[5]

La glose[9] et les mots non traduits sont utilisés pour transmettre un sentiment de particularité culturelle[10]. La fusion des structures linguistiques de deux langues[11] est une autre stratégie textuelle utilisée dans l'écriture postcoloniale pour remplacer la langue du colonisateur. Toutes ces stratégies permettent aux écrivains de produire des textes culturellement distincts, différents, bien qu'ils soient écrits en « anglais ». Les auteurs estiment que les écrivains postcoloniaux ont, de cette manière, grandement contribué à la « réforme » de la littérature anglaise.

Définition de la littérature postcoloniale[modifier | modifier le code]

Le principal critère de définition d'une littérature postcoloniale est celui de la « déconstruction des normes métropolitaines, qu’il s’agisse du canon littéraire, de la grammaire traditionnelle ou encore des canaux de communication ». Il s’agit pour ces auteurs de « "dé‑nommer", de réinjecter de l’étrangeté dans le canon, de renverser les codes »[5]. La littérature postcoloniale est marquée par la contre‑écriture[5] et la créolisation[6].

Toutefois l’ouvrage prête aussi attention à la diversité des littératures postcoloniales, liées à des traditions littéraires locales et spécifiques[5]

Nationalisme artistique[modifier | modifier le code]

La riposte littéraire postcoloniale à l’occupation militaire, à la domination culturelle et linguistique peut conduire à l'affirmation d'un nationalisme artistique. La littérature est alors conçue comme un des moyens de la reconstruction nationale[5]. L'écrivain kenyan Ngũgĩ wa Thiong’o a ainsi résisté à la marginalisation culturelle des cultures vernaculaires imposée par l'Empire britannique en développant « une littérature nationale canonique dont l’objet serait de redonner une centralité aux lettres autochtones »[5].

Pays et auteurs abordés[modifier | modifier le code]

Les auteurs suivent le développement des études postcoloniales depuis la période impériale où les terres colonisées sont représentées plus ou moins « fictionnellement » dans des récits de voyage, des documents et des journaux intimes, des appropriations fictionnelles, photographiques et cinématographiques, jusqu'à la littérature indigène écrite sous la « domination impériale[12] et enfin à l’écriture dite « postcoloniale ».

L'ouvrage examine les pays suivants : plusieurs pays africains, l'Australie, le Bangladesh, le Canada, les pays des Caraïbes, l'Inde, la Malaisie, Malte, la Nouvelle-Zélande, le Pakistan, Singapour, des pays insulaires du Pacifique Sud et le Sri Lanka.

Parmi les ouvrages et auteurs analysés figurent Mating Birds (1986) de Lewis Nkosi, présenté comme un exemple d'ouvrage qui fait entendre le silence établi en Afrique du Sud, et représente la manière dont l'État contrôle les moyens de communication. Les auteurs du livre étudient VS Naipaul, un écrivain postcolonial de Trinidad ; The Mimic Men (1967), une nouvelle de Michael Anthony (author) (en), Sandra Street[13] ; Timothy Findley (1984) auteur de Not Wanted on the Voyage  ; The Edge of the Alphabet de Janet Frame (1962) et The Vendor of Sweets de RK Narayan (1967) ; R. Parthasarathy (en), un poète qui a décidé de revenir à l'écriture dans son tamoul natal après des années d'écriture en anglais.

La négritude et la « littérature noire », le modèle de l'« écriture noire »[14],[15] sont également analysées.

Liens entre théorie littéraire et pensée postcoloniale[modifier | modifier le code]

La théorie littéraire a été historiquement le foyer traditionnel de la pensée postcoloniale. Edward Saïd, dont l'ouvrage L'Orientalisme est considéré comme le texte fondateur de la pensée postcoloniale, est un spécialiste de littérature[16]. De même Gayatri Spivak, autrice du célèbre ouvrage Les subalternes peuvent-elles parler ?[17], est une théoricienne de la littérature. Homi K. Bhabha, connu pour ses travaux sur « l'hybridité »[18], l'écrivain e professeur Ngũgĩ wa Thiong'o, souvent cité pour ses travaux sur la « langue », sont également des professeurs de littérature. Ces théoriciens notables sont mentionnés dans toute la littérature postcoloniale et plus particulièrement dans L'Empire vous répond.

Hommage au livre[modifier | modifier le code]

El France le Collectif Write Back, groupe de jeunes chercheurs en littérature et études postcoloniales de l’École normale supérieure de Lyon, s'est donné un nom qui rend hommage à The Empire Writes Back[19],[20],[21].

Références[modifier | modifier le code]

  1. Bill Ashcroft, Graham Griffiths, Gareth Griffiths, Frances M. Ashcroft et Tiffin, The Empire Writes Back : Theory and Practice in Post-Colonial Literatures, (ISBN 0415280206)
  2. Evan Mwangi, Africa Writes Back to Self : Metafiction, Gender, Sexuality, SUNY Press, , 235–236 p. (ISBN 978-1438426976, lire en ligne)
  3. « Les littératures post-coloniales après Star Wars », sur ActuaLitté.com (consulté le )
  4. « Il faut que l’on traite, disent les auteurs de l'ouvrage, le problème plus général de la façon dont ces littératures ont été marquées par les forces politiques, économiques et culturelles qui ont agi sur elles dans le cadre de l’Empire colonial et de la façon dont ceci est lié au déplacement [dislocation] de la langue imposée dans un nouveau contexte géographique et culturel », « COMBE Dominique : Études postcoloniales et genres littéraires – Société française de Littérature générale et comparée » (consulté le )
  5. a b c d e f et g Jennifer Randall, « Fidèle au « post » », Acta fabula, no vol. 14, n° 1,‎ (ISSN 2115-8037, lire en ligne, consulté le )
  6. a b c d e et f « COMBE Dominique : Études postcoloniales et genres littéraires – Société française de Littérature générale et comparée » (consulté le )
  7. Creutzberg, « Indonesia; Selected Documents on Colonialism and Nationalism 1830–1942. Chr. L.M. Penders (ed.). University of Queensland Press. St. Lucia, Queensland, Australia, 1977. XV, plus 367 p. Paperback. A.$ 9.50. (ISBN 07 022 1029 3). », Itinerario, vol. 2, no 2,‎ , p. 84 (ISSN 0165-1153, DOI 10.1017/s0165115300018362, S2CID 161284827, lire en ligne)
  8. Moore, « W. H. new.among worlds:An introduction to modern commonwealth and South African fiction. Ontario: Press Porcepic, 1975 », World Literature Written in English, vol. 15, no 2,‎ , p. 463–465 (ISSN 0093-1705, DOI 10.1080/17449857608588429, lire en ligne)
  9. Jeffares, « Reviews : Lawson Memorial Henry Lawson, Collected Prose, ed. C. Roderick, Vol. I : Short Stories and Sketches I888-I922; Vol. II: Autobiographical and Other Writings I887-I922. Angus & Robertson, Sydney and London, I972; Henry Lawson, Letters I890-I922, ed. C. Roderick, Angus & Robertson, Sydney and London, I970 », The Journal of Commonwealth Literature, vol. 10, no 1,‎ , p. 77–79 (ISSN 0021-9894, DOI 10.1177/002198947501000110, lire en ligne)
  10. Richey et Stow, « Visitants », World Literature Today, vol. 56, no 4,‎ , p. 749 (ISSN 0196-3570, DOI 10.2307/40138437, JSTOR 40138437, lire en ligne)
  11. Tutuola, Amos, The palm-wine drinkard and his dead palm-wine tapster in the Deads' Town, , 112 p. (ISBN 978-0-571-31154-5, OCLC 1125074973, lire en ligne)
  12. Jane Poyner, J.M. Coetzee and the Paradox of Postcolonial Authorship, Routledge, , 214 p. (ISBN 978-1-317-11164-1, DOI 10.4324/9781315590233, lire en ligne)
  13. Anthony, Michael, Sandra Street, and other stories, Heinemann Educational, (OCLC 891486951, lire en ligne)
  14. Aïta, « Spécificités de la traduction du Cahier d'un retour au pays natal vers l'espagnol », Présence Africaine, vol. N° 189, no 1,‎ , p. 211–217 (ISSN 0032-7638, DOI 10.3917/presa.189.0211, lire en ligne)
  15. Wake, Senghor et Irele, « Selected Poems of Leopold Sedar Senghor », The Modern Language Review, vol. 74, no 4,‎ , p. 952 (ISSN 0026-7937, DOI 10.2307/3728275, JSTOR 3728275, lire en ligne)
  16. Said, Edward Wadie, Orientalism, , 436 p. (ISBN 978-0-394-74067-6, OCLC 489670330, lire en ligne)
  17. Morris, Rosalind C., éditeur intellectuel., Can the subaltern speak? : reflections on the history of an idea, , 340 p. (ISBN 978-0-231-14385-1, OCLC 690365912, lire en ligne)
  18. Bhabha, Homi K., The Location of Culture., Taylor and Francis, (ISBN 978-0-203-82055-1, OCLC 1027300496, lire en ligne)
  19. « Postcolonial studies / Revue Hermès », sur France Culture, (consulté le )
  20. Claire Riffard, « Collectif Write Back (dir.), Postcolonial studies : modes d’emploi », sur Crier-écrire, (consulté le )
  21. https://www.academieoutremer.fr/images/files/Postcolonial-studies-(59_207).pdf

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Halen, P. (2013). « Compte rendu de [ASHCROFT (Bill), GRIFFITHS (Gareth) & TIFFIN (Helen), L’Empire vous répond. Théorie et pratique des littératures post-coloniales. Traduction de Jean-Yves Serra et Martine Mathieu-Job. Pessac, Presses universitaires de Bordeaux, 2012. », Études littéraires africaines, (35), 216–217. https://doi.org/10.7202/1021758a
  • Jennifer Randall, « Fidèle au « post » », Acta fabula, no vol. 14, n° 1,‎ (ISSN 2115-8037, lire en ligne, consulté le ) (compte rendu)
  • Bill Ashcroft, Gareth Griffiths et Helen Tiffin, L’Empire vous répond. Théorie et pratiques des littératures post-coloniales, [The Empire Writes Back], Trad. de Jean-Yves Serra et Martine Job, Bordeaux, P..U.B., 2012.