Malus sieversii

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Malus sieversii est une espèce de plantes à fleurs de la famille des Rosaceae. C'est un pommier sauvage originaire des montagnes d'Asie centrale (Kazakhstan, Kirghizistan, Tadjikistan, et Xinjiang en Chine) où il pousse en populations groupées qui forment des forêts de pommiers. Les barrières naturelles de ces régions montagneuses ont isolé l'espèce, favorisant ainsi une évolution intraspécifique. Malus sieversii est l'unique ancêtre de la plupart des cultivars de pommier domestique (Malus pumila) sauf pour certains cultivars peu nombreux issus d'hybridations principalement avec M. sylvestris ou Malus floribunda. L'espèce est aujourd'hui considérée comme vulnérable[1] par l'Union internationale pour la conservation de la nature. Ce pommier devant son existence et sa pérennité aux caractéristiques géographiques, pédoclimatiques du Tian Shan ainsi qu'à l'absence totale de présence humaine propre aux forêts primaires, sa protection pose donc un défi unique : celui de conserver ces conditions exceptionnelles in situ[2].

Découverte[modifier | modifier le code]

Il a initialement été décrit par le naturaliste allemand Johann August Carl Sievers, qui l'avait repéré dans les montagnes de l'Altaï en 1793. Il fut nommé Pyrus sieversii en 1833 par Karl Friedrich von Ledebour, qui reprit les travaux de Sievers[3].

Distribution[modifier | modifier le code]

On trouve des peuplements de Malus sieversii le long de la vallée de la rivière Ili.

Malus sieversii est endémique du nord du massif du Tian Shan. On le trouve entre 1 100 et 1 600 m d'altitude[1] sur toute la zone frontalière entre le sud du Kazakhstan d'une part et le nord de l'Ouzbékistan et du Kirghizistan ainsi que l'ouest de la Chine (province du Xinjiang) d'autre part. Il est présent en peuplements clairsemés le long de la vallée de la rivière Ili (dans la réserve naturelle Aksou-Jabagly et les contreforts du Trans-Ili Alataou (région d'Almaty) ainsi que dans la zone frontalière chinoise (région du lac Balkhach et massifs du Jungar Alatau et Tarbagataï) où il forme des forêts fruitières avec d'autres espèces de pommiers sauvages[4] mais aussi en peuplement mixte avec de nombreuses autres Rosacées telles qu'abricotiers sauvages, pruniers et aubépines.

Sa répartition est la suivante[source insuffisante][5] :

Description[modifier | modifier le code]

Malus sierversii en fleurs.
Fleurs de Malus sieversii.
Fruit des Monts Tarbagatai (Kazakhstan).
Fruit des Monts Karatau (Kazakhstan).
Feuillage de Malus sieversii.

Malus sieversii est un arbre caduc mesurant de 5 à 14 mètres de haut et jusqu'à 80 cm de diamètre[6], très ressemblant au pommier domestique.

Les fruits de certains individus sont les plus gros de toutes les espèces de pommiers sauvages, ces pommes mesurant en effet jusqu'à 7 cm de diamètre et rivalisant en taille avec de nombreux cultivars modernes.

Génétique[modifier | modifier le code]

Malus sieversii, ancêtre de la pomme domestique[modifier | modifier le code]

Pendant de nombreuses années, il y eut un débat sur les origines des cultivars du pommier domestique : étaient-ils issus d'hybrides de différentes espèces sauvages, ou d'autres espèces?

En 1929, le botaniste Nikolaï Vavilov, adepte précurseur de la notion de biodiversité, découvre les forêts de pommiers sauvages de la province d’Almaty, dans le massif du Tian Shan (partagé entre le nord du Kirghizistan et l'oblys d'Almaty, au sud du Kazakhstan). Il émet alors déjà l’idée que ces forêts de pommiers du Tian Shan pourraient être ce qu'il appelle le « centre de diversité » pour la pomme, une notion indiquant également la région concernée comme étant le lieu d’origine de ce fruit. L’agronome kazakh Aymak Djangaliev poursuit ses travaux après 1945[7]. Les scientifiques occidentaux n’ont accès aux premières analyses moléculaires de cette richesse génétique qu’après la chute du mur de Berlin[4]. Quatre explorations botaniques ont ainsi été financées par les services de recherches génétiques de l'USDA dans douze régions du Kazakhstan, du Tadjikistan et d'Ouzbékistan entre 1989 et 1996[8]. 949 spécimens de Malus sieversii ont été collectés lors de ces explorations. Les analyses génétiques de ces spécimens ont montré que M. sieversii n'est pas une espèce panmictique puisqu'on a pu regrouper ces spécimens en quatre sous-groupes (deux présents partout et deux uniquement dans le sud-ouest du Kazakhstan). La zone la plus riche en biodiversité pour l'espèce étant la région de Karataou[9] et plus généralement toute la région longeant la rivière Ili du Kirghizistan à la Chine (région de Gongliu)[10].

En 2002, les travaux génétiques de Barrie E. Juniper[11], membre émérite du département de botanique de l'université d'Oxford, prouvent erronée la théorie soutenant que les pommiers domestiques seraient seulement issus d'hybrides de différentes espèces. Ses analyses incitent à pencher vers l'hypothèse que M. sieversii, toujours florissant au sud-est du Kazakhstan, soit l'origine principale voire unique pour la plupart des variétés de pommes que nous consommons aujourd'hui. L'analyse génétique de feuilles de pommiers de cette région a montré de nombreuses séquences d'ADN communes entre M. sieversii et M. pumila [4]. Barrie Juniper considère même que M. pumila et M. sieversii ne sont qu'une seule et même espèce, M. pumila n'étant qu'une version génétiquement appauvrie de M. sieversii du fait d'une sorte de "consanguinité" liée à l'utilisation d'un petit nombre d'individus pour créer depuis 2 000 ans l'ensemble des variétés cultivées actuelles[12]. En effet, 64 %, des 439 variétés commerciales étudiées par Noiton et Alspach[13] en 1996 utilisent depuis plus d'un siècle seulement cinq géniteurs (Mc Intosh (101 cultivars), Golden delicious (87 cultivars), Jonathan (74 cultivars), Red delicious (56 cultivars) ou Cox's Orange Pippin (59 cultivars), respectivement quatre américaines et une anglaise) ou leur descendance[14].

En 2010, la description complète du génome de la pomme et la comparaison des gènes de toutes les espèces entre elles établit définitivement que les pommiers domestiques sont apparentés aux pommiers sauvages kazakhs, et effectivement distincts des espèces sauvages européennes et des autres espèces[4].

En langue kazakhe, on nomme la pomme alma, terme que l'on retrouve dans le nom de l'ancienne capitale et principale ville du Kazakhstan : Almaty, qui signifie « riche en pommes » fut appelée, de 1921 à 1993, Alma-Ata, soit « grand-père des pommes ».

Richesse génétique et résistance aux maladies[modifier | modifier le code]

Ces arbres sont depuis le début des années 1990 étudiés par l'United States Agricultural Research Service, dans l'espoir de trouver des informations génétiques permettant de développer de nouveaux cultivars de pommes répondant mieux aux maladies. Les espèces sauvages cohabitant au Kazakhstan montrent en effet une résistance inhabituelle aux infections[4], notamment le feu bactérien et la tavelure[15]. Cette réponse face aux maladies est en elle-même une indication sûre que leur génome est bien plus riche que celui de leurs descendants domestiques[4],[16].

Vulnérabilité, conservation[modifier | modifier le code]

Un Malus sierversii de 300 ans (Kazakhstan)

Depuis 1935 les forêts du Kazakhstan abritant le Malus sieversii sont estimées avoir diminué de 70%[4],[1]. En 1992, la superficie des forêts de pommiers était d'environ 11 000 hectares, elle a depuis encore diminué. Déjà rendues vulnérables par l'agriculture soviétique et l'excès de pâture[1] qui amènerent la dégradation des sols et de son habitat, elles sont toujours menacées par l'urbanisation tout azimuts (notamment autour d'Almaty), l'agriculture industrielle. Egalement, la pollinisation croisée entre l'espèce sauvage au sein des forêts avec des variétés cultivées entraîne des hybridations induisant une fragilisation et une dégénérescence de l'espèce sauvage. Par ailleurs, le phénomène attirant la curiosité, et notamment celles de touristes ou de professionnels étrangers occidentaux oblige les responsables locaux à refuser des projets d'écotourisme dans ces zones. Les forêts étant primaires, leur équilibre écosystémique repose sur la non-intrusion humaine. L'installation de filières touristiques menacerait inéluctablement la faune et flore d'impact anthropique auquel elles ne peuvent pas s'adapter.

Le Malus sieversii est listé comme vulnérable depuis 1998 par l'Union internationale pour la conservation de la nature.

La partie ouest du massif du Tian Shan a été proposée candidate au patrimoine mondial de l'UNESCO en 2010[4].

Nécessité d'une protection in situ : le pommier face aux impacts anthropiques[modifier | modifier le code]

L'exceptionnalité de l'espèce motive amateurs comme professionnels à chercher à se procurer des graines pour en faire des plantations en dehors du Kazakhstan, ou à se rendre sur place. Il convient de préciser que la diversité et le dynamisme fragile qui caractérisent cette espèce ne peuvent exister ailleurs que dans la chaîne du Tian Shan. Malus sieversii dépend en effet biologiquement de multiples conditions géographiques et pédoclimatiques strictement endémiques. Malus sieversii ne peut donc exister que dans ces conditions spécifiques, que toute forme de présence humaine, même minime peut durablement dérégler.

Quoi qu'il en soit, le Kazakhstan est souverain de ses ressources génétiques, sa législation interdit toute exportation de matériel (plants, semences, scions...). Enfreindre les accords en vigueur peut être considéré comme de la biopiraterie et est passable de peines judiciaires. Préserver l'espèce Malus sieversii en revient à travailler à sa protection in situ en forêt, excluant toute possibilité de développement de filières touristiques, même écologiques et éthiques[17].

Au Kazakhstan et en France la Fondation Internationale de Protection Malus sieversii (The International Fund for Preservation the Malus sieversii) et l'association Alma, les amis d'Aymak Djangaliev[18] travaillent depuis plusieurs années sur ces aspects. La documentariste et scientifique Catherine Peix a réalisé le documentaire Les Origines de la Pomme, retraçant les divers combats menés pour la sauvegarde de ces forêts[19].

Références[modifier | modifier le code]

  1. a b c et d (en) Malus sieversii sur le site de l'IUNC.
  2. « Création d’une fondation – ALMA » (consulté le )
  3. Travaux qu'on peut retrouver dans "Neue Nordische Beyträge". 1781-1796. 7.Bd., 1796. de Pallas, P.S. Seules quelques lignes sont dédiées à ce que Sievers semblait considérer comme une nouvelle espèce de Pyrus (Poirier) :

    « Son nom Kirghize est alma. J'ai aimé ce Pyrus presque assez pour en acheter. - suit la description suivante en latin : Arbre d'une brasse (1,86 m) et souvent de deux (3,72 m), plusieurs troncs sur une même racine. Feuilles ovales à dessous tomenteux, fleurs en ombelles. - Les paysans sibériens, qui étaient avec moi, et qui ont eu leurs arbres, venaient de Pologne et de petite Russie et bien qu'ils aient beaucoup entendu parler de la culture du pommier, n'en ont jamais vu de tels. Quoi qu'il en soit, je ne doute pas que mes bonnes pommes du Tarbagataï proviennent de Sibérie, en particulier d'autour d'Ustkammenogorsk où le sol et le climat local sont les plus semblables. Si ces lieux ont retenu l'attention locale, cela pourrait venir des habitants sibériens qui possèdent des forets fruitières et qui mangent les pommes qu'elles comportent, ce que peu ou personne n'a encore réussi à faire. »

  4. a b c d e f g et h Sauvons les pommes, dans Science et Vie, no 1130, novembre 2011, p. 90-97.
  5. Dzhangala AD, 1977
  6. (en) A. D. Dzhangaliev, T. N. Salova, & P. M. Turekhanova, « The Wild Fruit and Nut Plants of Kazakhstan », Horticultural Reviews, Jules Janick, vol. 29,‎ , p. 305-372 (ISBN 0-471-21968-1, lire en ligne). originellement traduit depuis le russe par I. N. Rutkovskaya.
  7. « Aymak. D. Djangaliev et Malus sieversii/ », sur www.originedelapomme.com (consulté le )
  8. (en) Philip L. Forsline, Herb S. Aldwinckle, Elizabeth E. Dickson, James J. Luby et Stan C. Hokanson, « Collection, Maintenance, Characterization, and Utilization of Wild Apples of Central Asia », Horticultural Reviews, John Wiley & Sons, Inc.,‎ , p. 1-61 (DOI 10.1002/9780470650868.ch1, lire en ligne).
  9. Genetic diversity and population structure in Malus sieversii, a wild progenitor species of domesticated apple - Christopher M. Richards & Gayle M. Volk & Ann A. Reilley & Adam D. Henk & Dale R. Lockwood & Patrick A. Reeves & Philip L. Forsline. 2007
  10. (en) Chunyu Zhang, Xuesen Chen, Tianming He, Xiaoli Liu, Tao Feng et Zhaohe Yuan, « Genetic Structure of Malus sieversii Population from Xinjiang, China, Revealed by SSR Markers », Journal of Genetics and Genomics, Elsevier BV, vol. 34, no 10,‎ , p. 947-955 (ISSN 1673-8527, DOI 10.1016/s1673-8527(07)60106-4, lire en ligne).
  11. (en) Stephen A. Harris, Julian P. Robinson et Barrie E. Juniper, « Genetic clues to the origin of the apple », Trends in Genetics, Elsevier BV, vol. 18, no 8,‎ , p. 426-430 (ISSN 0168-9525, DOI 10.1016/s0168-9525(02)02689-6, lire en ligne).
  12. (en) Barrie E. Juniper et David J. Mabberley, The Story of the Apple, Timber Press, , 240 p. (ISBN 9781604691726 et 1604691727), p. 56
  13. Founding Clones, Inbreeding, Coancestry, and Status Number of Modern Apple Cultivars - Dominique A.M. Noiton, Peter A. Alspach - 1996
  14. (en) S.C. Hokanson, W.F. Lamboy, A.K. Szewc-McFadden et J.R. McFerson, « Microsatellite (SSR) variation in a collection of Malus (apple) species and hybrids », Euphytica, Springer Nature, vol. 118, no 3,‎ , p. 281-294 (ISSN 0014-2336, DOI 10.1023/a:1017591202215, lire en ligne) (Lire en ligne).
  15. (en) D.D. Miller, « Evaluation of Malus sieversii seedlings from Kazakhstan for disease resistance and time of leafing », Acta Horticulturae, International Society for Horticultural Science (ISHS), no 663,‎ , p. 535-538 (ISSN 0567-7572, DOI 10.17660/actahortic.2004.663.93, lire en ligne).
  16. (en) P.L. Forsline et H.S. Aldwinckle, « Evaluation of Malus sieversii seedling populations sor disease resistance and horticultural traits », Acta Horticulturae, International Society for Horticultural Science (ISHS), no 663,‎ , p. 529-534 (ISSN 0567-7572, DOI 10.17660/actahortic.2004.663.92, lire en ligne).
  17. « ÉTHIQUE. Quand écotourisme rime avec néolibéralisme », sur Courrier international, (consulté le )
  18. « L’association – ALMA » (consulté le )
  19. « Le film – ALMA » (consulté le )

Liens externes[modifier | modifier le code]

Sur les autres projets Wikimedia :

  • ALMA : Association française pour la protection de l'espèce Malus sieversii et pour la protection de l'œuvre et la mémoire d'Aymak D. Djangaliev

Références taxonomiques[modifier | modifier le code]