Martin-Eloy Lignereux

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Martin-Eloy Lignereux
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Martin-Eloy Lignereux (1751-1809) est l’un des plus prestigieux créateurs d’objets d’art ou marchands-merciers français. Actif à Paris dès 1781, il a fondé la Maison Lignereux. De son vivant, Martin-Eloy Lignereux est recherché par une clientèle sophistiquée et exigeante. Il est sollicité pour orner de ses créations les demeures des plus grands collectionneurs de son temps, en France, mais aussi en Angleterre, en Hongrie, à Saint-Pétersbourg, Naples et Madrid.

Biographie[modifier | modifier le code]

Débuts[modifier | modifier le code]

Martin-Eloy Lignereux naît en à Cuvilly (60), de parents issus d’un milieu de petits commerçants du Valois. C’est vraisemblablement auprès de son père, avant d’arriver à Paris, qu’il fait son apprentissage et obtient sa maîtrise, selon les statuts de la Corporation des Marchands. Le contrat de mariage de Martin-Eloy Lignereux stipule qu’il exerce dès 1781 le métier de "marchand-mercier" à Paris[1].

Il épouse Anne-Henriette de Milleville le . Âgé de 29 ans, Lignereux possède alors sa propre enseigne sur la rue Saint-Honoré, rue qui concentre les plus importantes boutiques de luxe de l’époque. Bien que n’étant pas issu du sérail, il semble avoir réussi à prendre pied très tôt dans le petit monde des marchands-merciers parisiens. En 1782, il choisit Dominique Daguerre, l’un des plus illustres marchands-merciers de la seconde moitié du XVIIIe siècle, pour parrain de sa fille.

La Maison Daguerre & Lignereux[modifier | modifier le code]

Martin-Eloy Lignereux s’associe le avec Dominique Daguerre[2].

Daguerre, "marchand bijoutier" renommé et recherché en particulier par la reine Marie-Antoinette, a son magasin "à la Couronne d’Or" (ancien magasin de son prédécesseur Simon-Philippe Poirier) au 85, rue Saint-Honoré, en face de l’hôtel d’Aligre.

Martin-Eloy Lignereux, lorsqu’il rejoint Daguerre, a acquis une expérience solide dans le marché du luxe et l’artisanat d’art parisiens. Daguerre quant à lui, bénéficie d’une clientèle prestigieuse[3]. L’assemblage de leurs talents permettra à la Maison Daguerre & Lignereux de se déployer malgré les accidents de l’histoire.

Paris et Londres[modifier | modifier le code]

L’arrivée de Lignereux peu après le traité Eden-Rayneval de 1786, permet à la Maison Daguerre & Lignereux de s’implanter outre-Manche et de tisser des liens décisifs entre la France et l’Angleterre :

  • Immédiatement après leur association, Lignereux et Daguerre deviennent distributeurs exclusifs de la Manufacture de Josiah Wedgwood à Paris [4].
  • Dès 1787, Dominique Daguerre multiplie les longs séjours outre-Manche. À la fin de 1789, il s’établit à Londres, Lignereux prenant quant à lui la direction du magasin parisien au 85, rue St-Honoré. Daguerre ouvre sa première enseigne londonienne sur Piccadilly, puis déménage au 42, Sloane Street. La maison Daguerre & Lignereux, grâce à cette double implantation, peut répondre à la demande croissante de la clientèle anglaise. Elle joue un rôle prépondérant dans l’ameublement de Carlton House et du Pavillon Royal du Prince de Galles, futur George IV[5].
  • Les associés obtiennent de la Manufacture de Sèvres de distribuer les porcelaines de Sèvres dans leur magasin londonien.

Au cours de leur association, Lignereux et Daguerre organisent plusieurs ventes de leurs stocks de marchandise. Cette pratique courante pour les marchands au XVIIIe siècle, permettait de renouveler les objets et meubles proposés. Au moins deux ventes sont organisées par les marchands, l’une chez Christie’s à Londres en 1791 (), l’autre à Paris le [6].

Gardien des objets de Marie-Antoinette[modifier | modifier le code]

Le , la reine Marie-Antoinette, échaudée par les journées d’octobre, confie à "Daguerre et Lignereux, marchands bijoutiers", sa collection personnelle d'objets d'art et de curiosités. Après la mort de la reine, Lignereux remettra à l'Etat français cet ensemble inestimable[7],[8].

La Maison Lignereux[modifier | modifier le code]

Lorsque Dominique Daguerre meurt en 1796 (), Lignereux se retrouve à la tête d’une maison solidement établie, forte d’une réputation internationale. Un rapport du préfet de la Seine du indique que "la maison Daguerre et Lignereux en temps de paix faisait avec l'étranger de 1.500.000 à 200.000.000 d'affaires"[9].

Toutefois le marché du luxe parisien est sinistré par la Révolution ; les échanges avec l’Angleterre, à l’exception de la courte Paix d’Amiens (1802-1803), sont fortement compromis par la guerre entre les deux pays. Malgré ces défis, Lignereux n’a de cesse que de poursuivre son activité de créateur d’objets d’art.

Pour se rapprocher d’une clientèle qui se renouvelle sous le Directoire et le Consulat, il choisit de déplacer son magasin parisien en 1795 (2 germinal An III, ) au 2, rue Christine, puis en 1800 (27 germinal An VIII, ) au 44 rue Vivienne, enfin en 1803 (1er messidor An IX, ) au 44 rue Taitbout.

Martin-Eloy Lignereux invite les meilleurs artisans de la capitale à élaborer sous sa direction des meubles et objets "d’un goût nouveau". Sous le Consulat et l’Empire, la réputation de la maison Lignereux continue de s’imposer. En 1802 et en 1803, Lignereux obtient la médaille d'or à l'Exposition des Produits de l'Industrie. Sa boutique est un lieu prisé par les plus grands amateurs, et devient une destination touristique pour les riches étrangers de passage dans la capitale[10].

Postérité[modifier | modifier le code]

Lignereux a une fille unique, Adélaïde-Anne, née en 1782. En 1798, cette dernière épouse l’ébéniste François-Honoré-Georges Jacob, issu de la dynastie des Jacob, menuisiers et ébénistes depuis 1765[11].

En 1804, affaibli par la maladie, Lignereux vend son stock d’objets et de meubles au bronzier Pierre-Philippe Thomire. Lignereux s’éteint à Paris en 1809[1].

Créations[modifier | modifier le code]

Faiseur de modes[modifier | modifier le code]

En tant que marchand-mercier, Martin-Eloy Lignereux est recherche en permanence les moyens de satisfaire et surprendre une clientèle de plus en plus exigeante[12]. De 1787 au Premier Empire, l’univers des créations de Lignereux évolue considérablement : les objets Louis XVI des débuts, influencés par l’anglomanie ou le "goût chinois", laissent place à des créations toujours plus audacieuses, qui puisent dans les civilisations égyptienne, grecque et romaine pour proposer des réalisations remarquablement abouties du goût du jour sous le Directoire, le Consulat, puis l’Empire[13].

Collaborations[modifier | modifier le code]

Martin-Eloy Lignereux, en raison de sa position dans le monde de la création parisienne des années 1780-1800, est au cœur d’un réseau d’artistes de grand talent[12].

Il invite les plus grands artisans à dessiner et confectionner, sous sa direction, les objets et les meubles de ses collections. Parmi les collaborateurs de Lignereux, on identifie avec certitude l’ébéniste Adam Weisweiler et les bronziers François Rémond et Pierre-Philippe Thomire. Un faisceau d’indices laisse à penser que les ébénistes Bernard Molitor, Claude-Charles Saunier, le bronzier Lucien-Francois Feuchère, et les architectes et ornemanistes Charles Percier (1764-1838) et Pierre François Léonard Fontaine (1762-1853), ont aussi collaboré aux créations de la maison Lignereux[14].

Lignereux tisse des liens privilégiés avec la Manufacture de Sèvres. Outre le mandat de distribution à Londres dans les années 1790, la Maison Lignereux, de 1800 à 1801 puis de 1802 à 1804, est distributeur exclusif des porcelaines de Sèvres à Paris[15].

Clientèle[modifier | modifier le code]

Martin-Eloy Lignereux bénéficie de la clientèle de Daguerre puis, après le décès de son associé, renouvelle et augmente ce carnet d’adresses prestigieux.

De 1787 à 1804, les amateurs d’art les plus influents ont acquis des créations de Lignereux. La liste (non exhaustive) des clients de Daguerre et Lignereux, provenant des "Etats des débiteurs, émigrés, non émigrés ou condamnés, de la Société Daguerre et Lignereux", établis à la Révolution, permet d’énumérer "M. Perregaux, M. Tolozan, M. d'Aumont Valentinois, les comtes d'Artois, d'Angivillers, de Dillon, de Villequier, le baron de Breteuil, les marquis de Balleroy, de Lusignan, de Polignac, les princes et princesses de Condé, de Lamballe, de Montmorency"[16].

À ces noms évocateurs, il convient d’ajouter la comtesse du Barry[17], le prince de Galles (futur Roi George IV d’Angleterre)[10],[18], l’empereur Napoléon, l’impératrice Joséphine de Beauharnais, la Reine Hortense, le comte d’Elgin (Thomas 7th Earl of Elgin and 11th of Kincardine), Quentin Craufurd, Talleyrand, William Beckford[19], le duc de Wellington, le comte de Malmesbury[20], le comte d’Egremont[21], le duc de Bedford[22], le tsar Paul Ier de Russie, Louis Ier de Bourbon, le Prince Miklos Esterhazy, le général Charles Moreau, Lady Elizabeth Foster, Lord Whitworth (ambassadeur d’Angleterre à Paris), Sir Harry Fetherstonhaugh[1].

Hommages[modifier | modifier le code]

En l’An IX en en l’An X (1801, 1802) Martin-Eloy Lignereux obtient la médaille d'or à l'Exposition des Produits de l'Industrie[10]. Les numéros de la Gazette Nationale ou le Moniteur Universel relatent ainsi en 1801 : "Les meubles du Citoyen Lignereux ont paru remarquables par l’élégance et la richesse, par l’accord de toutes les parties, par le choix de formes appropriées à la destination de chaque chose, enfin par l’exactitude et le fini du travail intérieur et extérieur." ; puis en 1802 : "Lignereux, rue Vivienne, qui a obtenu une médaille d’or en l’an IX. Objet admis : meubles. Motif : richesse et élégance"[1].

Par ailleurs, plusieurs visiteurs admiratifs ont rapporté la qualité exceptionnelle des objets proposés chez Lignereux :

  • "1796. Paris. Lignereux. beautiful furniture" (comte de Malmesbury)[1]
  • "le nous avons été voir le beau magasin de meubles de Lignereux. C'est une réunion des choses du meilleur goût, des pendules délicieuses, beaucoup de glaces à la Psyché, des tables, des garnitures de salon." (Journal de Madame de Cazenove d'Arlens)[10].
  • "Nothing can be more beautiful (…). All [objects] are in the richest and best taste." (Journal de Bertie Greatheed)[10].

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Lien externe[modifier | modifier le code]

Références[modifier | modifier le code]

  1. a b c et d Jérôme Merceron, Martin-Eloy Lignereux, marchand-mercier à Paris à la fin du XVIIIe siècle, Paris, Mémoire de DEA sous la direction de MM. Alain Mérot et Bill Pallot,
  2. Lignereux s’associe avec Daguerre le 1er avril 1787 par un acte dressé sous seing privé, dont la date est précisée dans un acte d’association passé ultérieurement devant notaire le 11 mai 1789 (A.N.M.C. ET/CXVIII/648).
  3. (en) Alvar Gonzalez-Palacios, « Daguerre, Lignereux and the King of Naples’s Cabinet at Caserta », The Burlington Magazine,‎ (lire en ligne)
  4. Cet accord commercial se fait par l’intermédiaire du banquier Jean-Frédéric Perrégaux le 22 avril 1787.
  5. Des factures anciennes attestent de l’importation par Daguerre et Lignereux de cheminées richement ornées depuis Paris, qui furent ajustées par des artisans à Londres. La Maison Daguerre & Lignereux fut mise à contribution pour de luxueux chantiers de décoration à Carlton House pour le Prince de Galles, à Woburn Abbey pour le duc de Bedford, et Althorp pour le comte Spencer. Voir http://www.sothebys.com/es/auctions/ecatalogue/2012/treasures-princely-taste-l12307/lot.29.html
  6. Une longue annonce prévient les amateurs de la disponibilité d'une « notice » dans laquelle sont décrits les principaux meubles, bibelots, lustres et autres objets de luxe proposés aux enchérisseurs le 25 mars et jours suivants, résultat de commerce de société entre les citoyens Daguerre et Lignereux (Affiches, annonces et avis divers, ou Journal général de France, n°81, vendredi 22 mars 1793, p. 1215-1216).
  7. "Inventaire des laques anciennes et des objets de curiosité de Marie-Antoinette confiés à Daguerre et Lignereux”, voir https://archive.org/stream/archivesdelartfr08guifuoft/archivesdelartfr08guifuoft_djvu.txt 142 pièces en tout furent confiées à Lignereux et Daguerre : 6 objets en cristal de roche ; 6 en bois pétrifié ; 7 de diverses matières ; 13 de pierres colorées ;14 porcelaines ; 96 laques essentiellement du Japon.
  8. « http://www.lesartsdecoratifs.fr/francais/nissim-de-camondo/l-hotel-et-les-collections/parcours-132/rez-de-chaussee-haut/le-grand-salon/paire-de-vases-couverts-en-bois%2520 », sur www.lesartsdecoratifs.fr (consulté le )
  9. Rapport du Préfet de la Seine au Ministre de l'Intérieur, cité in http://www.christies.com/lotfinder/LotDetailsPrintable.aspx?intObjectID=5474045
  10. a b c d et e (en) Geoffrey de Bellaigue, « Martin-Eloy Lignereux and England », Gazette des Beaux-Arts,‎ , pp. 283-294
  11. Jean-Pierre Samoyault, « The Jacob-Lignereux alliance (14 March 1798) », The Furniture History Society, no Studies in Honour of Geoffrey de Bellaigue,‎ , p. 21-28
  12. a et b Pierre Verlet, « Le Commerce des Objets d’Art et les marchands merciers à Paris au XVIIIe siècle », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations,‎ (lire en ligne)
  13. Christophe Huchet de Quénetain, Les styles Consulat et Empire, Paris, Eyrolles, Les éditions de l’Amateur,
  14. L’estampille de Weisweiller apparaît sur plusieurs meubles provenant du magasin de Lignereux, notamment dans les anciennes collections des comtes d'Elgin et de Quentin Craufurd. Les attributions à Lignereux sont rendues possibles grâce aux factures d’époque (chez les comtes d’Elgin) et à l’inventaire après décès de Craufurd.
  15. http://www.sevresciteceramique.fr/documents/inventaire_des_collections_documentaires_de_la_cita_=doc51.pdf p.31, Carton U4. Voir aussi (Archives de la Manufacture de Sèvres) A.M.N.S. V4 L2 et A.M.N.S. T1 L6 D1. Sources mentionnées in Merceron, 2000.
  16. La liste de ces clients de Daguerre et Lignereux est donnée dans la notice suivante : http://www.piasa.auction.fr/_fr/lot/secretaire-de-dame-en-cabinet-il-est-en-placage-de-citronnier-hellip-2274399#.VTEnzmbXcfE
  17. « ATTRIBUES A PIERRE GOUTHIERE, DERNIER QUART DU XVIIIEME SIECLE -PAIRE DE VASES COUVERTS D'EPOQUE LOUIS XVI », sur www.christies.com (consulté le )
  18. « 'Lignereux' au sein des Collections Royales anglaises », sur www.royalcollection.org.uk (consulté le )
  19. William Beckford est mentionné comme client de Lignereux dans les notices suivantes : http://www.christies.com/lotfinder/LotDetailsPrintable.aspx?intObjectID=3933065 et http://www.sothebys.com/en/auctions/ecatalogue/lot.pdf.N08822.html/f/749/N08822-749.pdf
  20. James Harris, premier comte de Malmesbury. Son journal stipule pour l’année 1796: “Thursday, Nov. 17. Went to Barais bought books. To Lignereux bought furniture. Perregaux at dinner.” http://www.forgottenbooks.com/readbook_text/Diaries_and_Correspondence_of_James_Harris_First_Earl_of_Malmesbury_v3_1000691187/323 et http://www.forgottenbooks.com/readbook_text/Diaries_and_Correspondence_of_James_Harris_First_Earl_of_Malmesbury_v3_1000691187/297 Il est aussi mentionné comme client dans la notice suivante : http://www.christies.com/lotfinder/LotDetailsPrintable.aspx?intObjectID=3933065
  21. George Wyndham, 3e comte d'Egremont. Il achète à Lignereux une paire de candélabres à cinq branches figurant des caryatides :  https://thethingsthatcatchmyeye.wordpress.com/tag/william-pitt-the-younger/ et http://www.thefreelibrary.com/French+fashion+at+Petworth%3A+although+the+3rd+Earl+of+Egremont+is+now...-a0185291650
  22. John Russel, sixième duc de Bedford, fit plusieurs acquisitions auprès de Lignereux pendant la Paix d’Amiens : http://www.sothebys.com/en/auctions/ecatalogue/2009/important-furniture-silver-ceramics-l09767/lot.16.html, http://files.shareholder.com/downloads/BID/56365219x0x331701/0140C153-FBB0-4516-93A0-84402AD67949/331701.pdf, http://www.sothebys.com/it/auctions/ecatalogue/lot.pdf.L09767.html/f/17/L09767-17.pdf