Portail:Littérature/Invitation à la lecture/Sélection/2006

Une page de Wikipédia, l'encyclopédie libre.

Décembre 2006[modifier le code]

s:L'inconnue

Peu d'instants lui avaient suffi pour s'accoutumer au resplendissement de la salle. Mais, aux premières notes de la Malibran, son âme avait tressailli; la salle avait disparu. L'habitude du silence de bois, du vent rauque des écueils, du bruit de l'eau sur les pierres des torrents et des graves tombées du crépuscule, avait élevé en poète ce fier jeune homme, et, dans le timbre de la voix qu'il entendait, il lui semblait que l'âme de ces choses lui envoyait la prière lointaine de revenir.

Au moment où, transporté d'enthousiasme, il applaudissait l'artiste inspirée, ses mains demeurèrent en suspens; il resta immobile.

Au balcon d'une loge venait d'apparaître une jeune femme d'une grande beauté...

Auguste de Villiers de L'Isle-Adam (1838-1889) - Contes cruels (1883)/ L'inconnue.


Wikisource
Wikisource

s:Pensées sur la comète

C'est ce qui fait que je ne puis pas comprendre comment un aussi grand Docteur que vous qui, pour avoir seulement prédit au vrai le retour de notre Comète, devrait être convaincu que ce sont des corps sujets aux lois ordinaires de la nature et non pas des prodiges, qui ne suivent aucune règle, s'est néanmoins laissé entraîner au torrent et s'imagine avec le reste du monde, malgré les raisons du petit nombre choisi, que les Comètes sont comme des Hérauts d'armes qui viennent déclarer la guerre au genre humain de la part de Dieu. Si vous étiez Prédicateur, je vous le pardonnerais. (…) Mais je ne puis goûter qu'un Docteur qui n'a rien à persuader au Peuple et qui ne doit nourrir son esprit que de raison toute pure, ait en ceci des sentiments si mal soutenus et se paye de tradition et de passages des Poètes et des Historiens.

Pierre Bayle (1647-1706) - Pensées sur la comète, 1682.

Wikisource
Wikisource

s:Conte de Noël

Mais au moins ai-je toujours regardé le jour de Noël, quand il est revenu (mettant de côté le respect dû à son nom sacré et à sa divine origine, si l'on peut les mettre de côté en songeant à Noël), comme un beau jour, un jour de bienveillance, de pardon, de charité, de plaisir, le seul, dans le long calendrier de l'année, où je sache que tous, hommes et femmes, semblent, par un consentement unanime, ouvrir librement les secrets de leurs coeurs et voir dans les gens au-dessous d'eux de vrais compagnons de voyage sur le chemin du tombeau, et non pas une autre race de créatures marchant vers un autre but. C'est pourquoi, mon oncle, quoiqu'il n'ait jamais mis dans ma poche la moindre pièce d'or ou d'argent, je crois que Noël m'a fait vraiment du bien et qu'il m'en fera encore ; aussi je répète « Vive Noël ! »

Charles Dickens, Conte de Noël (1843)

Wikisource
Wikisource

s:Birago Diop

Souffles

Écoute plus souvent

Les Choses que les Êtres

La Voix du Feu s’entend,

Entends la Voix de l’Eau.

Écoute dans le Vent

Le Buisson en sanglots :

C’est le Souffle des ancêtres.


Ceux qui sont morts ne sont jamais partis :

Ils sont dans l’Ombre qui s’éclaire

Et dans l’ombre qui s’épaissit.

Les Morts ne sont pas sous la Terre :

Ils sont dans l’Arbre qui frémit,

Ils sont dans le Bois qui gémit,

Ils sont dans l’Eau qui coule,

Ils sont dans l’Eau qui dort,

Ils sont dans la Case, ils sont dans la Foule :

Les Morts ne sont pas morts.


Écoute plus souvent

Les Choses que les Êtres

La Voix du Feu s’entend,

Entends la Voix de l’Eau.

Écoute dans le Vent

Le Buisson en sanglots :

C’est le Souffle des Ancêtres morts,

Qui ne sont pas partis

Qui ne sont pas sous la Terre

Qui ne sont pas morts.


Ceux qui sont morts ne sont jamais partis :

Ils sont dans le Sein de la Femme,

Ils sont dans l’Enfant qui vagit

Et dans le Tison qui s’enflamme.

Les Morts ne sont pas sous la Terre :

Ils sont dans le Feu qui s’éteint,

Ils sont dans les Herbes qui pleurent,

Ils sont dans le Rocher qui geint,

Ils sont dans la Forêt, ils sont dans la Demeure,

Les Morts ne sont pas morts.


Écoute plus souvent

Les Choses que les Êtres

La Voix du Feu s’entend,

Entends la Voix de l’Eau.

Écoute dans le Vent

Le Buisson en sanglots,

C’est le Souffle des Ancêtres.


Il redit chaque jour le Pacte,

Le grand Pacte qui lie,

Qui lie à la Loi notre Sort,

Aux Actes des Souffles plus forts

Le Sort de nos Morts qui ne sont pas morts,

Le lourd Pacte qui nous lie à la Vie.

La lourde Loi qui nous lie aux Actes

Des Souffles qui se meurent

Dans le lit et sur les rives du Fleuve,

Des Souffles qui se meuvent

Dans le Rocher qui geint et dans l’Herbe qui pleure.

Des Souffles qui demeurent

Dans l’Ombre qui s’éclaire et s’épaissit,

Dans l’Arbre qui frémit, dans le Bois qui gémit

Et dans l’Eau qui coule et dans l’Eau qui dort,

Des Souffles plus forts qui ont pris

Le Souffle des Morts qui ne sont pas morts,

Des Morts qui ne sont pas partis,

Des Morts qui ne sont plus sous la Terre.


Écoute plus souvent

Les Choses que les Êtres

La Voix du Feu s’entend,

Entends la Voix de l’Eau.

Écoute dans le Vent

Le Buisson en sanglots,

C’est le Souffle des Ancêtres.


Birago Diop (1906-1989), Leurres et lueurs (1960) - (éditions Présence Africaine) [1]

Novembre 2006[modifier le code]

Jonathan Littell

Certes je ne participais pas aux exécutions, je ne commandais pas des pelotons ; mais cela ne changeait pas grand-chose, car j'y assistais régulièrement. J'aidais à les préparer et ensuite je rédigeais des rapports ; en outre, c'était un peu par hasard que j'avais été affecté au Stab plutôt qu'aux Teilkommandos. Et si l'on m'avait donné un Teilkommando, aurais-je pu, moi aussi, comme Nagel ou Häfner, organiser des rafles, faire creuser des fosses, aligner des condamnés, et crier << Feu ! >> ? Oui, sans doute. Depuis mon enfance, j'étais hanté par la passion de l'absolu et du dépassement des limites ; maintenant, cette passion m'avait mené au bord des fosses communes de l'Ukraine. Ma pensée, je l'avais toujours voulue radicale ; or l'Etat, la Nation avaient aussi choisi le radical et l'absolu ; comment donc, juste à ce moment-là, tourner le dos, dire non, et préférer en fin de compte le confort des lois bourgeoises, l'assurance médiocre du contrat social ? C'était évidemment impossible. Et si la radicalité, c'était la radicalité de 1'abîme, et si l'absolu se révélait être le mauvais absolu, il fallait néanmoins, de cela au moins j'étais intimement persuadé, les suivre jusqu'au bout, les yeux grands ouverts.

Jonathan Littell - Les Bienveillantes (éd. Gallimard, 2006 - p. 95)

s:Émile Verhaeren

  • Sur la bruyère longue infiniment,

Voici le vent cornant Novembre,

Sur la bruyère, infiniment,

Voici le vent

Qui se déchire et se démembre,

En souffles lourds battant les bourgs,

Voici le vent,

Le vent sauvage de Novembre. (…)


Sur la bruyère, infiniment,

Voici le vent hurlant.

Voici le vent cornant Novembre.

Émile Verhaeren (1855-1916) (Recueil : Les villages illusoires - 1895)

Wikisource
Wikisource

André Malraux

À chaque relais, les nouveaux porteurs abandonnaient leur marche rigide pour le geste prudent et affectueux par lequel ils prenaient les brancards et repartaient avec le han ! du travail quotidien, comme s'ils eussent voulu cacher aussitôt ce que leur geste venait de montrer de leur cœur. Obsédés par les pierres du sentier, ne pensant qu'à ne pas secouer les civières, ils avançaient au pas, d'un pas ordonné et ralenti à chaque rampe : et ce rythme accordé à la douleur sur un si long chemin semblait emplir cette gorge immense où criaient là-haut les derniers oiseaux, comme l'eût emplie le battement solennel des tambours d’une marche funèbre. Mais ce n’était pas la mort qui, en ce moment, s’accordait aux montagnes : c'était la volonté des hommes. André Malraux (1901-1976). L'Espoir (éd. Gallimard - 1937 - LP page 473).

Paul Lafargue

Une étrange folie possède les classes ouvrières des nations où règne la civilisation capitaliste. Cette folie traîne à sa suite des misères individuelles et sociales qui, depuis des siècles, torturent la triste humanité. Cette folie est l'amour du travail, la passion moribonde du travail, poussée jusqu'à l'épuisement des forces vitales de l'individu et de sa progéniture. Au lieu de réagir contre cette aberration mentale, les prêtres, les économistes, les moralistes, ont sacro-sanctifié le travail. Hommes aveugles et bornés, ils ont voulu être plus sages que leur Dieu ; hommes faibles et méprisables, ils ont voulu réhabiliter ce que leur Dieu avait maudit. Moi, qui ne professe d'être chrétien, économe et moral, j'en appelle de leur jugement à celui de leur Dieu ; des prédications de leur morale religieuse, économique, libre penseuse, aux épouvantables conséquences du travail dans la société capitaliste. Paul Lafargue (1842-1911). Le Droit à la paresse (1880).

Œuvre complète


Octobre 2006[modifier le code]

Jack London

Il attendit. Les crocs se refermèrent doucement ; leur pression s'accentua ; le loup puisait dans ses dernières forces pour essayer d'enfoncer ses dents dans la nourriture qu'il attendait depuis si longtemps. Mais l'homme aussi attendait depuis longtemps, et sa main lacérée se referma sur la mâchoire. Lentement, pendant que le loup luttait faiblement et que la main serrait faiblement, l'autre main parvint à se placer pour assurer une prise. Cinq minutes plus tard, le corps de l'homme pesait de tout son poids sur celui du loup. Ses mains n'avaient pas assez de force pour l'étouffer mais son visage était pressé tout contre la gorge de l'animal et sa bouche était pleine de poils, Au bout d'une demi-heure, il sentit que quelque chose de chaud s'écoulait dans sa gorge. Ce n'était pas une sensation agréable. On aurait dit du plomb fondu introduit de force dans son estomac - et c'était sa volonté seule qui l'obligeait à l'avaler. Plus tard l'homme roula sur le dos et s'endormit.

Jack London - La rage de vivre (Love of live) - Presses Pocket, 1988

Richard Jorif

Quelque huit cent mille fidèles, sans compter les sous-diacres et les enfants de Marie, boutonnaient dans la divine avenue, armés de slogans jaculatoires qui vouaient les trublions à la fosse d'aisances, François Mitterrand aux fourches patibulaires, les communistes au chaudron et Daniel Cohn-Bendit à l'expiation crématoire. Levés au premier chant du coq gaulois, ils avaient, faisant la figue aux pompistes, sauté dans les autocars et gagné sans coup férir une Ville abandonnée aux nourrissons de l'anarchie. Jusqu'à l'heure de l'Allocution, contenus à grand-peine dans les contre-allées, le répertoire des chants patriotiques avait nourri leur ferveur. Maintenant, les yeux au Ciel, ils marchaient à la gloire derrière leurs députés extatiques, et un grand frisson les soulevait à la pensée de ce bonheur suprême : Michel Debré allait chanter La Marseillaise.

Richard Jorif - Le Navire Argo - éditions François Bourin, 1987 (p.200)

Guillaume Apollinaire

Guillaume Apollinaire, de son vrai nom Wilhelm Albert Włodzimierz Apolinary de Wąż-Kostrowicki ou "Kostrowitzky", est un écrivain naturalisé français (né polonais), né le à Rome et mort le à Paris.

C'est l'un des principaux poètes français du début du XXe siècle, auteur notamment du Pont Mirabeau. Il écrit également des nouvelles et des romans érotiques. Il pratique le calligramme (terme de son invention désignant ses poèmes écrits en forme de dessins et non de forme classiques en vers et strophes). Il est le chantre de toutes les avant-gardes artistiques, notamment le cubisme, poète et théoricien de l'Esprit nouveau, et précurseur du surréalisme dont il a forgé le nom.

Lire l'article


Septembre 2006[modifier le code]

Erri De Luca

Je lis des vieux livres parce que les pages tournées de nombreuses fois et marquées par les doigts ont plus de poids pour les yeux, parce que chaque exemplaire d'un livre peut appartenir à plusieurs vies. Les livres devraient rester sans surveillance dans les endroits publics pour se déplacer avec les passants qui les emporteraient un moment avec eux, puis ils devraient mourir comme eux, usés par les malheurs, contaminés, noyés en tombant d'un pont avec les suicidés, fourrés dans un poêle l'hiver, déchirés par les enfants pour en faire des petits bateaux, bref ils devraient mourir n'importe comment sauf d'ennui et de propriété privée, condamnés à vie à l'étagère.

Erri De Luca - Trois Chevaux - éditions Gallimard, 2001 (p.22)

John Fante

Une belle journée, aussi belle qu'une fille. Il roula sur le dos et regarda les nuages filer vers le Sud. Tout là-haut le vent soufflait en tempête ; il avait entendu dire qu'il venait du fin fond de l'Alaska et de la Russie, mais les hautes montagnes protégeaient la ville. Il pensa aux livres de Rosa, à leurs couvertures de toile cirée aussi bleue que le ciel ce matin. Une journée paisible, deux chiens en balade, s'arrêtant brièvement au pied de chaque arbre. Il colla son oreille contre le sol. Là-bas, au nord de la ville, dans le cimetière des hautes terres, on descendait Rosa dans sa tombe. Il souffla doucement sur le sol, l'embrassa, mit un peu de terre sur le bout de sa langue. Un jour, il demanderait à son père de tailler une stèle pour la tombe de Rosa.


John Fante - Bandini - Christian Bourgois éditeur, 1985 (p.242)

Maurice Genevoix

Portrait au trait (crayon papier) de Maurice Genevoix, dessin réalisé par Anne Tassin.
Portrait au trait (crayon papier) de Maurice Genevoix, dessin réalisé par Anne Tassin.

Maurice Genevoix ( - ) est un romancier-poète français, héritier du réalisme. L’ensemble de son œuvre témoigne des relations d’accord entre les hommes, entre l’Homme et la Nature, mais aussi entre l’Homme et la Mort. Son écriture est servie par une mémoire vive, le souci d’exactitude, et le sens poétique. Normalien lettré, il admire tout autant l’éloquence des artisans ou des paysans. D’une grande vitalité malgré ses blessures reçues lors de la Première Guerre mondiale près du village des Éparges, en , et animé de la volonté de témoigner, il écrit jusqu’à ses derniers jours. Son œuvre, portée par le souci de perpétuer ce qu’il a tenu pour mémorable, produit d’une grande longévité littéraire, rassemble 56 ouvrages.


Août 2006[modifier le code]

Bertolt Brecht

Mon jeune fils m'a dit : Dois-je apprendre les mathématiques ?

J'ai pensé répondre : A quoi bon ! Deux morceaux de pain

Sont plus qu'un seul, tu t'en apercevras sans étude.

Mon jeune fils m'a dit : Dois-je apprendre le français?

J'ai pensé répondre : A quoi bon ! Ce pays, la France,

Est près de succomber. Tu n'as qu'à frotter ton ventre

Avec ta main et puis gémir, on te comprendra.

Mon jeune fils m'a dit : L'histoire, dois-je l'apprendre ?

J'ai pensé répondre : A quoi bon! Apprends à rentrer

Ta tête sous terre et peut-être survivras-tu.


Oui, apprends les mathématiques, ai-je

Dit, apprends le français, apprends l'histoire !

Bertolt Brecht, poème IV, 1940. (poète, metteur en scène et dramaturge allemand)

Federico García Lorca

Cordoue

lointaine et seule.


cheval noir, immense lune

olives dans mon sac

bien que je connaisse cette route

à Cordoue jamais n’arriverai.


À travers les plaines, à travers vent

cheval noir, lune rouge

la mort m’observe

du haut des hautes tours de Cordoue.


Ay ! quelle longue route.

Ay ! quel cheval courageux.

Ay ! Mort tu veux me prendre

sur la route de Cordoue.


Cordoue

lointaine et seule

Federico García Lorca (poète espagnol assassiné par les franquistes le 19 août 1936 à Grenade)- "Chant du cavalier"
(traduction personnelle Vicente Pradal - source : http://www.espritsnomades.com/sitelitterature/garcialorca.html )

Antonio Machado

On le vit marchant entre des fusils

Par une longue rue

Qui donnait sur la campagne froide

de l'aube, encore sous les étoiles.

Ils tuèrent Federico

Alors que pointait la lumière.

Le peloton de bourreaux

N'osa pas le regarder au visage.

Tous fermèrent les yeux ;

Ils prièrent...Dieu lui-même ne le sauverait pas...

-

Federico tomba mort

- du sang sur le front, du plomb dans les entrailles -

... C'est à Grenade que le crime eut lieu,

Vous savez - pauvre Grenade ! - dans sa Grenade !

[...]

On les vit s'éloigner...

Taillez, amis,

Dans la pierre et le rêve, à l'Alhambra,

Une tombe au poète,

Sur une fontaine, où l'eau pleure,

et, éternellement dise :

Le crime eut lieu à Grenade ... dans sa Grenade !

Hommage d'Antonio Machado à Lorca :
(Traduit par G. Pillement)


Juillet 2006[modifier le code]

Francis Walder

Mes souvenirs les plus vivaces de 1570, demeurent liés à cette royale résidence, si belle, si riante dans sa pierre grise et ses briques roses dont le roi François Ier ramena le goût d'Italie. Du fond du parc je revois sa façade aux balustres gracieux, et l'angle unique, très ingénieux, qui en prolonge la perspective en lui donnant un style. Les bords de la haute vallée, par là, dominent la Seine, et la forêt de Laye pousse contre le château ses obscures avancées. Eté de 1570, vous étiez beau de ciel et de lumière lorsque je discutais derrière ces balustres, lorsque je marchais et devisais dans ce site avec les personnages dont je vais parler maintenant. Les courses que j'y ai faites par la suite n'ont plus marqué de la même façon, de sorte qu'en ma mémoire la façade du château n'existe que baignée de soleil, la forêt ne détache le feuillage de ses hauts charmes que sur un ciel bleu et chaud. J'ignore, j'ignorerai toujours le Saint-Germain d'automne et d'hiver.
Francis Walder (1906-1997) - Saint-Germain ou la négociation, (Prix Goncourt) - Gallimard 1958.

George Bernard Shaw

Il y a des fous partout, même dans les asiles.

Le seul sport que j'aie jamais pratiqué, c'est la marche à pied, quand je suivais les enterrements de mes amis sportifs.

On compare souvent le mariage à une loterie. C'est une erreur, car à la loterie, on peut parfois gagner.

La démocratie est une technique qui nous garantit de ne pas être mieux gouvernés que nous le méritons.

L'homme est le seul animal qui rougisse; c'est d'ailleurs le seul animal qui ait à rougir de quelque chose.

L'assassinat sur l'échafaud est la forme la plus exécrable d'assassinat, parce qu'il est investi de l'approbation de la société.

George Bernard Shaw, (juillet 1856 - 1950), Citations.

Juin 2006[modifier le code]

Pierre Corneille

Tristan Bernard

Anniversaire de la naissance de Pierre Corneille le 6 juin 1606


AUGUSTE (pardonnant à Cinna)

Je suis maître de moi comme de l'univers ;

Je le suis, je veux l'être. Ô siècles, ô mémoire !

Conservez à jamais ma dernière victoire !

Je triomphe aujourd'hui du plus juste courroux

De qui le souvenir puisse aller jusqu'à vous.

Soyons amis, Cinna, c'est moi qui t'en convie :

Comme à mon ennemi je t'ai donné la vie,

Et, malgré la fureur de ton lâche destin,

Je te la donne encor comme à mon assassin.

Commençons un combat qui montre par l'issue

Qui l'aura mieux de nous ou donnée ou reçue.

Tu trahis mes bienfaits, je les veux redoubler ;

Je t'en avais comblé, je t'en veux accabler.

Pierre Corneille - Cinna (1641) - Acte V, scène 3 (v.1696-1708)


Marquise, si mon visage

A quelques traits un peu vieux,

Souvenez-vous qu'à mon âge

Vous ne vaudrez guère mieux.


Le temps aux plus belles choses

Se plaît à faire un affront,

Et saura fâner vos roses

Comme il a ridé mon front.


Le même cours des planètes

Règle nos jours et nos nuits:

On m'a vu ce que vous êtes

Vous serez ce que je suis.

Pierre Corneille, Stances, 1660


La malicieuse réponse imaginée par Tristan Bernard :

Peut-être que je serai vieille,

Répond Marquise, cependant

J'ai vingt-six ans, mon vieux Corneille,

Et je t'emmerde en attendant.


Avril 2006[modifier le code]

Paul Verlaine

Samuel Beckett

Heinrich Heine

Heinrich Heine Portrait par Moritz Daniel Oppenheim (1831).
Heinrich Heine
Portrait par Moritz Daniel Oppenheim (1831).

Christian Johann Heinrich Heine (né le 13 décembre 1797 à Düsseldorf sous le nom de Harry Heine et mort le 17 février 1856 à Paris) est un des plus importants poètes et journalistes allemands du XIXe siècle.

Heine naquit dans une famille juive assimilée de Düsseldorf, en Allemagne (Le judaïsme, cette maladie de famille des juifs allemands). Son père, un commerçant, avait prospéré durant l’occupation française. Après de retentissants échecs dans le monde des affaires, Heine se tourna vers des études de droit à Göttingen, Bonn et Berlin, mais bien qu’ayant obtenu un diplôme en 1825, il se dirigeait déjà vers la littérature.

Lire l’article

Jean Moréas

  • Verlaine

Il pleure dans mon cœur
Comme il pleut sur la ville ;
Quelle est cette langueur
Qui pénètre mon cœur ?
0 bruit doux de la pluie
Par terre et sur les toits !
Pour un cœur qui s'ennuie
0 le chant de la pluie !
Il pleure sans raison
Dans ce cœur qui s'écœure.
Quoi ! nulle trahison ? ...
Ce deuil est sans raison.
C'est bien la pire peine
De ne savoir pourquoi
Sans amour et sans haine
Mon cœur a tant de peine!

Paul Verlaine, Romances sans paroles


(Il écoute la bande ancienne) : "J'ai dit encore que ça me semblait sans espoir et pas la peine de continuer. Et elle a fait oui sans ouvrir les yeux. (Pause) Je lui ai demandé de me regarder et après quelques instants - (pause) - et après quelques instants, elle l'a fait, mais les yeux comme des fentes à cause du soleil. Je me suis penché sur elle pour qu'ils soient dans l'ombre et ils se sont ouverts. (Pause) M'ont laissé entrer. (Pause) Nous dérivions parmi les roseaux et la barque s'est coincée. Comme elle se pliait avec un soupir devant la proue, je me suis coulé sur elle, mon visage dans son sein et ma main sur elle. Nous restions là couchés. Sans remuer. Mais sous nous, tout remuait, et nous remuait, doucement, du haut en bas, et d'un côté à l'autre."

- Passé minuit. Jamais entendu pareil silence. La terre pourrait être inhabitée. (FIN)

Samuel Beckett, La Dernière Bande © Editions de Minuit, Paris, 1960 (droit de citation)

Heinrich Heine (1797, Düsseldorf - 17 février 1856, Paris). L'Allemagne commémore en 2006 le cent cinquantième anniversaire de la mort d'un de ses plus célèbres poètes.

I

Au splendide mois de mai, alors que tous les bourgeons rompaient l'écorce, l'amour s'épanouit dans mon cœur.

Au splendide mois de mai, alors que tous les oiseaux commençaient à chanter, j'ai confessé à ma toute belle mes vœux et mes tendres désirs.

II

De mes larmes naît une multitude de fleurs brillantes, et mes soupirs deviennent un chœur de rossignols.

Et si tu veux m'aimer, petite, toutes ces fleurs sont à toi, et devant ta fenêtre retentira le chant des rossignols.

Heinrich Heine, "Intermezzo" - 1823 (extrait - traduction en prose de Gérard de Nerval.)


  • "L'investiture"


Nous longerons la grille du parc,

A l'heure où la Grande Ourse décline ;

Et tu porteras - car je le veux -

Parmi les bandeaux de tes cheveux

La fleur nommée asphodèle.


Tes yeux regarderont mes yeux ;

A l'heure où la grande Ourse décline. -

Et mes yeux auront la couleur

De la fleur nommée asphodèle.


Tes yeux regarderont mes yeux,

Et vacillera tout ton être,

Comme le mythique rocher

Vacillait, dit-on, au toucher

De la fleur nommée asphodèle.


Jean Moréas (poète symboliste, né le 15 avril 1856, mort en 1910)

(Recueil : "Le pèlerin passionné" 1891)


Mars 2006[modifier le code]

Philippe Besson

Marguerite Duras

"Je suis né au milieu de l'automne, un jour de brume, un jour comme un autre, en somme. La brume, elle est là presque tout le temps. Elle recouvre tout, elle nous accompagne, elle sera là jusqu'à notre mort. Elle est notre unique certitude. Ce voile sur nos visages. Ce gris dans nos regards. Ces gouttes qui perlent sur l'avant de nos bras."

Philippe Besson - Un instant d'abandon (page18) - © Editions Julliard, Paris, 2005 (droit de citation)


Anniversaire Marguerite Duras (décédée il y a dix ans, le 3 mars 1996)

"C'est quand elle avait atteint l'auto qu'il avait crié.

C'était un cri sombre, long, d'impuissance, de colère et de dégoût comme s'il était vomi. C'était un cri parlé de la Chine ancienne. Et puis tout à coup ce cri avait maigri, il était devenu la plainte discrète d'un amant, d'une femme. C'est à la fin, quand il n'a plus été que douceur et oubli, que l'étrangeté est revenue dans ce cri, terrible, obscène, impudique, illisible, comme la folie, la mort, la passion.

L'enfant n'avait plus rien reconnu. Aucun mot. Ni la voix. C'était un hurlement à la mort, de qui, de quoi, de quel animal, on ne savait pas bien, d'un chien, oui, peut-être, et en même temps d'un homme. Les deux confondus dans la douleur d'amour."

Marguerite Duras - L'amant de la Chine du nord - © Editions Gallimard, Paris, 1991 (droit de citation)


Février 2006[modifier le code]

Charles Baudelaire

Beaumarchais

Lecteur, as-tu quelquefois respiré

Avec ivresse et lente gourmandise

Ce grain d'encens qui remplit une église,

Ou d'un sachet le musc invétéré ?

Charme profond, magique, dont nous grise

Dans le présent le passé restauré !

Ainsi l'amant sur un corps adoré

Du souvenir cueille la fleur exquise.

De ses cheveux élastiques et lourds,

Vivant sachet, encensoir de l'alcôve,

Une senteur montait, sauvage et fauve,

Et des habits, mousseline ou velours,

Tout imprégnés de sa jeunesse pure,

Se dégageait un parfum de fourrure.

Charles Baudelaire, « Le Parfum » (extrait) Les Fleurs du Mal, 1857.


[...] Je broche une comédie dans les mœurs du sérail. Auteur espagnol, je crois pouvoir y fronder Mahomet sans scrupule : à l'instant un envoyé... de je ne sais où se plaint que j'offense dans mes vers la Sublime-Porte, la Perse, une partie de la presqu'île de l'Inde, toute l'Égypte, les royaumes de Barca, de Tripoli, de Tunis, d'Alger et de Maroc : et voilà ma comédie flambée pour plaire aux princes mahométans, dont pas un, je crois, ne sait lire, et qui nous meurtrissent l'omoplate, en nous disant : chiens de chrétiens.[...]. Las de nourrir un obscur pensionnaire, on me met un jour dans la rue ; et comme il faut dîner, quoiqu'on ne soit plus en prison, je taille encore ma plume et demande à chacun de quoi il est question : on me dit que, pendant ma retraite économique, il s'est établi dans Madrid un système de liberté sur la vente des productions, qui s'étend même à celles de la presse ; et que, pourvu que je ne parle en mes écrits ni de l'autorité, ni du culte, ni de la politique, ni de la morale, ni des gens en place, ni des corps en crédit, ni de l'Opéra, ni des autres spectacles, ni de personne qui tienne à quelque chose, je puis tout imprimer librement, sous l'inspection de deux ou trois censeurs. Pour profiter de cette douce liberté, j'annonce un écrit périodique, et, croyant n'aller sur les brisées d'aucun autre, je le nomme Journal inutile.

Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais, Le Mariage de Figaro, Acte V, scène 3, 1784.