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Charles Ford - Thanksgiving

Thanksgiving annonce aussi, bien entendu, le début de la sinistre période des fêtes, vallée des cœurs brisés et des espérances vaines, période au cours de laquelle on enregistre plus de suicides réussis, d'abandons, de violences conjugales, de vols de voiture, de coups de feu et d'interventions chirurgicales d'urgence en vingt-quatre heures qu'à n'importe quel autre moment de l'année si ce n'est le lendemain du Super Bowl. Les jours sont de plus en plus éphémères. Personne ne s’habitue à l'absence de lumière. Nombreuses sont les âmes qui achètent un billet pour n’importe où, simplement pour être en mouvement. L'inquiétude et une conscience de soi inopportune rendent l’atmosphère irrespirable. Curieusement, c’est aussi une période formidable pour vendre des maisons.

Charles Ford - L'état des lieux (p. 42) (trad. Editions de l’Olivier, 2008)

s:décembre 2008 Invitation 1

Alexandre Soljenitsyne - Une journée de passée

Il s'endormait, Choukov, satisfait pleinement. Cette journée lui avait apporté des tas de bonnes choses : on ne l'avait pas mis au cachot ; leur brigade n'avait pas été envoyée à la Cité du Socialisme ; à déjeuner, il avait maraudé une kacha ; les "tantpourcent" avaient été joliment décrochés par le brigadier ; il avait maçonné à cœur joie ; on ne l'avait pas paumé avec sa lame de scie pendant la fouille ; il s'était fait du gain avec César ; il s'était acheté du bon tabac ; et au lieu de tomber malade,il avait chassé le mal.

Une journée de passée. Sans seulement un nuage. Presque de bonheur.

Des journées comme cela, dans sa peine, il y en avait, d'un bout à l'autre, trois mille six cent cinquante-trois.

Les trois de rallonge, c'était la faute aux années bissextiles.

Alexandre Soljenitsyne (11/12/1918 - 3/8/2008) - Une journée d'Ivan Denissovitch(fin) (Fayard, réédition 2007)

s:décembre 2008 Invitation 2

Georges Rodenbach - Vieux quais

(...)Le gothique noirci des pignons se décalque
En escaliers de crêpe au fil dormant de l'eau,
Et la lune se lève au milieu d'un halo
Comme une lampe d'or sur un grand catafalque.
Oh ! les vieux quais dormants dans le soir solennel,
Sentant passer soudain sur leurs faces de pierre
Les baisers et l'adieu glacé de la rivière
Qui s'en va tout là-bas sous les ponts en tunnel.
Oh ! les canaux bleuis à l'heure où l'on allume
Les lanternes, canaux regardés des amants
Qui devant l'eau qui passe échangent des serments
En entendant gémir des cloches dans la brume. (...)

Georges Rodenbach (16/7/1855 - 25/12/1898) - La Jeunesse blanche (1913)

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s:décembre 2008 Invitation 3

J.M.G. Le Clézio - Les derniers hommes libres

Chaque soir, leurs lèvres saignantes cherchaient la fraîcheur des puits, la boue saumâtre des rivières alcalines. Puis, la nuit froide les enserrait, brisait leurs membres et leur souffle, mettait un poids sur leur nuque. Il n'y avait pas de fin à la liberté, elle était vaste comme l'étendue de la terre, belle et cruelle comme la lumière, douce comme les yeux de l'eau. Chaque jour, à la première aube, les hommes libres retournaient vers leur demeure, vers le sud, là où personne d’autre ne savait vivre. Chaque jour, avec les mêmes gestes, ils effaçaient les traces de leurs feux, ils enterraient leurs excréments. Tournés vers le désert, ils faisaient leur prière sans paroles. lls s'en allaient, comme dans un rêve, ils disparaissaient.

J.M.G. Le Clézio (prix Nobel de littérature 2008) - Désert (dernière page) (éd. Gallimard, 1980)

s:décembre 2008 Invitation 4

Charles Ford - Thanksgiving

Thanksgiving annonce aussi, bien entendu, le début de la sinistre période des fêtes, vallée des cœurs brisés et des espérances vaines, période au cours de laquelle on enregistre plus de suicides réussis, d'abandons, de violences conjugales, de vols de voiture, de coups de feu et d'interventions chirurgicales d'urgence en vingt-quatre heures qu'à n'importe quel autre moment de l'année si ce n'est le lendemain du Super Bowl. Les jours sont de plus en plus éphémères. Personne ne s’habitue à l'absence de lumière. Nombreuses sont les âmes qui achètent un billet pour n’importe où, simplement pour être en mouvement. L'inquiétude et une conscience de soi inopportune rendent l’atmosphère irrespirable. Curieusement, c’est aussi une période formidable pour vendre des maisons.

Charles Ford - L'état des lieux (p. 42) (trad. Editions de l’Olivier, 2008)

s:décembre 2008 Invitation 5

Hoffmann - Jours bénis

Tu sais, ami, que le retour de ces fêtes de Noël et du nouvel an, qui vous inspire à tous tant de joie et de franche allégresse, m’arrache invariablement à ma paisible retraite pour me jeter à la merci d’une mer houleuse et mugissante. Noël ! ce sont des jours bénis qui depuis longtemps brillent à mes yeux d’une clarté propice : je les attends avec une impatience sans égale ; je deviens meilleur, plus ingénu que pendant tout le reste de l’année ; mon âme, pleine d’un pur sentiment de volupté céleste, ne nourrit plus aucune pensée sombre ni haineuse ; je redeviens un enfant enivré de plaisir. De gracieux visages d’anges me sourient du milieu des figurines bigarrées et dorées qui garnissent les boutiques resplendissantes de la Noël ; et à travers le bruit confus de la foule, j’entends retentir, comme à une grande distance, les merveilleux accords des orgues saints.

Hoffmann - Contes : Les Aventures de la nuit de Saint-Sylvestre (1814)


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