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Georges Simenon - Suspense

Les vieilles s'éveillaient toutes à la fois. Les pieds remuaient sur les froids carreaux bleus du temple. Une paysanne se dirigea vers la sortie, puis une autre. Le sacristain parut avec un éteignoir, et un filet de fumée bleue remplaça la flamme des bougies...

Le jour était né. Une lumière grise pénétrait dans la nef en même temps que les courants d'air.

Il restait trois personnes... Deux... Une chaise remuait... Il ne restait plus que la comtesse, et les nerfs de Maigret se crispèrent d'impatience...

Le sacristain, qui avait terminé sa tâche, regarda Mme Saint-Fiacre. Une hésitation passa sur son visage. Au même moment le commissaire s'avança.

Ils furent tous deux près d'elle, à s'étonner de son immobilité, à chercher à voir le visage que cachaient les mains jointes.

Maigret, impressionné, toucha l'épaule. Et le corps vacilla, comme si son équilibre n'avait tenu qu'à un rien, roula par terre, resta inerte.

La comtesse de Saint-Fiacre était morte.

Georges Simenon (12/02/1903-04/09/1989) - L'Affaire Saint-Fiacre (éd. Fayard, 1932)

s:février 2013 Invitation 1

Raymond Queneau - Un poème

Bien placés bien choisis
quelques mots font une poésie
les mots il suffit qu’on les aime
pour écrire un poème
on ne sait pas toujours ce qu’on dit
lorsque naît la poésie
faut ensuite rechercher le thème
pour intituler le poème
mais d’autres fois on pleure on rit
en écrivant la poésie
ça a toujours kékchose d’extrème
un poème

Raymond Queneau (21/02/1903-25/10/1976 ) – L'instant fatal (éd. Gallimard – 1948)

s:février 2013 Invitation 2

Molière – Prose et vers

Maître de philosophie : ... Sont-ce des vers que vous lui voulez écrire ?
Monsieur Jourdain : Non, non, point de vers.
Maître de philosophie : Vous ne voulez que de la prose ?
Monsieur Jourdain : Non, je ne veux ni prose ni vers.
Maître de philosophie : Il faut bien que ce soit l’un, ou l’autre.
Monsieur Jourdain : Pourquoi ?
Maître de philosophie : Par la raison, Monsieur, qu’il n’y a pour s’exprimer que la prose, ou les vers.
Monsieur Jourdain : Il n’y a que la prose ou les vers ?
Maître de philosophie : Non, Monsieur : tout ce qui n’est point prose est vers ; et tout ce qui n’est point vers est prose.
Monsieur Jourdain : Et comme l’on parle qu’est-ce que c’est donc que cela ?
Maître de philosophie : De la prose.
Monsieur Jourdain : Quoi ? quand je dis : « Nicole, apportez-moi mes pantoufles, et me donnez mon bonnet de nuit », c’est de la prose ?
Maître de philosophie : Oui, Monsieur.
Monsieur Jourdain : Par ma foi ! il y a plus de quarante ans que je dis de la prose sans que j’en susse rien, et je vous suis le plus obligé du monde de m’avoir appris cela. Je voudrais donc lui mettre dans un billet : Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour ; mais je voudrais que cela fût mis d’une manière galante, que cela fût tourné gentiment.

Molière (janvier 1622-17/02/1673) - Le Bourgeois gentilhomme (1670) - (Acte I, sc.4)

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s:février 2013 Invitation 3

Marivaux - Manipulation


ARAMINTE : Méchant valet ! Ne vous présentez plus devant moi.

DUBOIS, comme étonné  : Hélas ! Madame, j'ai cru bien faire.

ARAMINTE : Allez, malheureux ! Il fallait m'obéir ; je vous avais dit de ne plus vous en mêler : vous m'avez jetée dans tous les désagréments que je voulais éviter. C'est vous qui avez répandu tous les soupçons qu'on a eus sur son compte, et ce n'est pas par attachement pour moi que vous m'avez appris qu'il m'aimait, ce n'est que par le plaisir de faire du mal. Il m'importait peu d'en être instruite : c'est un amour que je n'aurais jamais su, et je le trouve bien malheureux d'avoir eu affaire à vous, lui qui a été votre maître, qui vous affectionnait, qui vous a bien traité, qui vient, tout récemment encore, de vous prier à genoux de lui garder le secret. Vous l'assassinez, vous me trahissez moi-même. Il faut que vous soyez capable de tout. Que je ne vous voie jamais, et point de réplique.

DUBOIS s'en va en riant  : Allons, voilà qui est parfait.

Marivaux (4/02/1688-12/02/1763) - Les Fausses Confidences (1737) (Acte III, scène 9)

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s:février 2013 Invitation 4

Georges Simenon - Suspense

Les vieilles s'éveillaient toutes à la fois. Les pieds remuaient sur les froids carreaux bleus du temple. Une paysanne se dirigea vers la sortie, puis une autre. Le sacristain parut avec un éteignoir, et un filet de fumée bleue remplaça la flamme des bougies...

Le jour était né. Une lumière grise pénétrait dans la nef en même temps que les courants d'air.

Il restait trois personnes... Deux... Une chaise remuait... Il ne restait plus que la comtesse, et les nerfs de Maigret se crispèrent d'impatience...

Le sacristain, qui avait terminé sa tâche, regarda Mme Saint-Fiacre. Une hésitation passa sur son visage. Au même moment le commissaire s'avança.

Ils furent tous deux près d'elle, à s'étonner de son immobilité, à chercher à voir le visage que cachaient les mains jointes.

Maigret, impressionné, toucha l'épaule. Et le corps vacilla, comme si son équilibre n'avait tenu qu'à un rien, roula par terre, resta inerte.

La comtesse de Saint-Fiacre était morte.

Georges Simenon (12/02/1903-04/09/1989) - L'Affaire Saint-Fiacre (éd. Fayard, 1932)

s:février 2013 Invitation 5

Montaigne - Paternité

J'essayeroy par une douce conversation, de nourrir en mes enfans une vive amitié et bien-vueillance non feinte en mon endroict. (…) Je veux mal à cette coustume, d’interdire aux enfants l’appellation paternelle (...). Nous appellons Dieu tout-puissant, pere, et desdaignons que noz enfants nous en appellent. J'ay reformé cett' erreur en ma famille. C'est aussi folie et injustice de priver les enfans qui sont en aage, de la familiarité des peres, et vouloir maintenir en leur endroit une morgue austere et desdaigneuse, esperant par là, les tenir en crainte et obeissance. Car c'est une farce tres-inutile, qui rend les peres ennuieux aux enfans, et qui pis est, ridicules. Ils ont la jeunesse et les forces en la main, et par consequent le vent et la faveur du monde ; et reçoivent avecques mocquerie, ces mines fieres et tyranniques, d'un homme qui n'a plus de sang, ny au coeur, ny aux veines : vrais espouvantails de cheneviere. Quand je pourroy me faire craindre, j'aimeroy encore mieux me faire aymer.

Michel de Montaigne - Essais - livre II-chapitre VIII De l'affection des peres aux enfans

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