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Jean Teulé - Le cauchemar de la Saint-Barthélemy

Le monarque découvre une infinité de corbeaux appuyés contre les pavillons du Louvre en chantier. Il y en a si grand nombre que c'est un épouvantement. Charles en saute sur place. C'est une tourbe grouillante, un immense tas confus, et tout le palais semble une masse ondulante de plumes noires. Les oiseaux sont perchés sur les toits, les échafaudages, les rebords des étages et des fenêtres, les cariatides qui illustrent les façades. On dirait que ces statues respirent. La nauséeuse vision flottante soulève le cœur. Quand les corbeaux s'envolent en bancs énormes à la verticale du château, leurs ombres tourbillonnent en cyclone dans l'extase aboyant de cris : <<Croa! Croa!>>, de plaintes : <<Côaaa?> Ces silhouettes croassantes se heurtent, vocifèrent et tout cela ne forme qu'une voix où il y a du mugissement d'océan... Les corbeaux se reposent en nuée sur les toits du Louvre entourant la cour carrée. De là, ils plongent par vagues et l'on a le sentiment chaque fois que c'est un bâtiment qui se désagrège.

Jean Teulé - Charly 9 (éd Julliard, 2011) – (page32)

s:janvier 2012 Invitation 1

Beaumarchais - Ce coquin de Figaro

Figaro : Voilà précisément la cause de mon malheur, Excellence. Quand on a rapporté au ministre que je faisais, je puis dire assez joliment, des bouquets à Chloris, que j’envoyais des énigmes aux journaux, qu’il courait des madrigaux de ma façon ; en un mot, quand il a su que j’étais imprimé tout vif, il a pris la chose au tragique et m’a fait ôter mon emploi, sous prétexte que l’amour des lettres est incompatible avec l’esprit des affaires.
Le comte : Puissamment raisonné ! Et tu ne lui fis pas représenter…
Figaro : Je me crus trop heureux d’en être oublié, persuadé qu’un grand nous fait assez de bien quand il ne nous fait pas de mal.
Le comte : Tu ne dis pas tout. Je me souviens qu’à mon service tu étais un assez mauvais sujet.
Figaro : Eh ! mon Dieu, Monseigneur, c’est qu’on veut que le pauvre soit sans défaut.
Le comte : Paresseux, dérangé…
Figaro : Aux vertus qu’on exige dans un domestique, Votre Excellence connaît-elle beaucoup de maîtres qui fussent dignes d’être valets ?
Le comte, riant : Pas mal !

Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais (24/01/1732-18/05/1799) - Le Barbier de Séville (1775) (Acte I, scène 2)

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s:janvier 2012 Invitation 2

Lewis Carroll - Le lapin blanc

Alice s’était mise à réfléchir, (tant bien que mal, car la chaleur du jour l’endormait et la rendait lourde,) se demandant si le plaisir de faire une couronne de marguerites valait bien la peine de se lever et de cueillir les fleurs, quand tout à coup un lapin blanc aux yeux roses passa près d’elle.

Il n’y avait rien là de bien étonnant, et Alice ne trouva même pas très-extraordinaire d’entendre parler le Lapin qui se disait : « Ah ! j’arriverai trop tard ! » (En y songeant après, il lui sembla bien qu’elle aurait dû s’en étonner, mais sur le moment cela lui avait paru tout naturel.) Cependant, quand le Lapin vint à tirer une montre de son gousset, la regarda, puis se prit à courir de plus belle, Alice sauta sur ses pieds, frappée de cette idée que jamais elle n’avait vu de lapin avec un gousset et une montre. Entraînée par la curiosité elle s’élança sur ses traces à travers le champ, et arriva tout juste à temps pour le voir disparaître dans un large trou au pied d’une haie.

Un instant après, Alice était à la poursuite du Lapin dans le terrier, sans songer comment elle en sortirait.

Lewis Carroll (27/01/1832-14/01/1898) - Alice au pays des merveilles (1865) (incipit)

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s:janvier 2012 Invitation 3

Molière – Prose et vers

Maître de philosophie : ... Sont-ce des vers que vous lui voulez écrire ?
Monsieur Jourdain : Non, non, point de vers.
Maître de philosophie : Vous ne voulez que de la prose ?
Monsieur Jourdain : Non, je ne veux ni prose ni vers.
Maître de philosophie : Il faut bien que ce soit l’un, ou l’autre.
Monsieur Jourdain : Pourquoi ?
Maître de philosophie : Par la raison, Monsieur, qu’il n’y a pour s’exprimer que la prose, ou les vers.
Monsieur Jourdain : Il n’y a que la prose ou les vers ?
Maître de philosophie : Non, Monsieur : tout ce qui n’est point prose est vers ; et tout ce qui n’est point vers est prose.
Monsieur Jourdain : Et comme l’on parle qu’est-ce que c’est donc que cela ?
Maître de philosophie : De la prose.
Monsieur Jourdain : Quoi ? quand je dis : « Nicole, apportez-moi mes pantoufles, et me donnez mon bonnet de nuit », c’est de la prose ?
Maître de philosophie : Oui, Monsieur.
Monsieur Jourdain : Par ma foi ! il y a plus de quarante ans que je dis de la prose sans que j’en susse rien, et je vous suis le plus obligé du monde de m’avoir appris cela. Je voudrais donc lui mettre dans un billet : Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour ; mais je voudrais que cela fût mis d’une manière galante, que cela fût tourné gentiment.

Molière (janvier 1622-17/02/1673) - Le Bourgeois gentilhomme (1670) - (Acte I, sc.4)

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s:janvier 2012 Invitation 4

Dino Buzatti – Destin ?

– Oh ! si seulement je ne t'avais pas écouté, s'écria le capitaine. Je vais me faire bien du souci pour toi, maintenant. Ce que tu vois émerger de l'eau et qui nous suit, n'est pas une chose, mais bel et bien un K. C'est le monstre que craignent tous les navigateurs de toutes les mers du monde. C'est un squale effrayant et mystérieux, plus astucieux que l'homme. Pour des raisons que personne ne connaîtra peut-être jamais, il choisit sa victime et une fois qu'il l'a choisie, il la suit pendant des années et des années, toute la vie s'il le faut, jusqu'au moment où il réussit à la dévorer. Et le plus étrange c'est que personne n'a jamais pu l'apercevoir, si ce n'est la future victime ou quelqu'un de sa famille.

– C'est une blague que tu me racontes, papa !

– Non, non, et je n'avais encore jamais vu ce monstre, mais d'après les descriptions que j'ai si souvent entendues, je l'ai immédiatement identifié. Ce mufle de bison, cette gueule qui ne fait que s'ouvrir et se fermer spasmodiquement, ces dents terribles...

Dino Buzatti - Le K (1966) (éditions Pocket)

s:janvier 2012 Invitation 5

Jean Teulé - Le cauchemar de la Saint-Barthélemy

Le monarque découvre une infinité de corbeaux appuyés contre les pavillons du Louvre en chantier. Il y en a si grand nombre que c'est un épouvantement. Charles en saute sur place. C'est une tourbe grouillante, un immense tas confus, et tout le palais semble une masse ondulante de plumes noires. Les oiseaux sont perchés sur les toits, les échafaudages, les rebords des étages et des fenêtres, les cariatides qui illustrent les façades. On dirait que ces statues respirent. La nauséeuse vision flottante soulève le cœur. Quand les corbeaux s'envolent en bancs énormes à la verticale du château, leurs ombres tourbillonnent en cyclone dans l'extase aboyant de cris : <<Croa! Croa!>>, de plaintes : <<Côaaa?> Ces silhouettes croassantes se heurtent, vocifèrent et tout cela ne forme qu'une voix où il y a du mugissement d'océan... Les corbeaux se reposent en nuée sur les toits du Louvre entourant la cour carrée. De là, ils plongent par vagues et l'on a le sentiment chaque fois que c'est un bâtiment qui se désagrège.

Jean Teulé - Charly 9 (éd Julliard, 2011) – (page32)