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Henri Michaux - Paysages

Paysages paisibles ou désolés.
Paysages de la route de la vie plutôt que de la surface de la Terre.
Paysages du Temps qui coule lentement, presque immobile et parfois comme en arrière.
Paysage des lambeaux, des nerfs lacérés, des «saudades».
Paysages pour couvrir les plaies, l'acier, l'éclat, le mal, l'époque, la corde au cou, la mobilisation.
Paysages pour abolir les cris.
Paysages comme on se tire un drap sur la tête.

Henri MichauxPeintures (éd. Gallimard, 1939 – 1964 )

s:mai 2009 Invitation 1

Walt Whitman - O Capitaine ! Mon Capitaine !


Ô Capitaine ! mon Capitaine ! fini notre effrayant voyage,
Le bateau a tous écueils franchis, le prix que nous quêtions est gagné,
Proche est le port, j'entends les cloches, tout le monde qui exulte,
En suivant des yeux la ferme carène, l'audacieux et farouche navire ;

Mais ô cœur ! cœur ! cœur !
Oh ! les gouttes rouges qui lentement tombent
Sur le pont où gît mon Capitaine,
Étendu mort et glacé.

Ô Capitaine ! mon Capitaine ! lève-toi et entends les cloches !
Lève-toi - c'est pour toi le drapeau hissé - pour toi le clairon vibrant,
Pour toi bouquets et couronnes enrubannés - pour toi les rives noires de monde,
Toi qu'appelle leur masse mouvante aux faces ardentes tournées vers toi...

Walt Whitman (31/05/1819-1892) - O Captain! My Captain ! (inspiré par la mort d'Abraham Lincoln - 1865)

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s:mai 2009 Invitation 2

Honoré de Balzac - Une rue de Saumur

Il se trouve dans certaines provinces des maisons dont la vue inspire une mélancolie égale à celle que provoquent les cloîtres les plus sombres, les landes les plus ternes ou les ruines les plus tristes. Peut-être y a-t-il à la fois dans ces maisons et le silence du cloître et l’aridité des landes, et les ossements des ruines. La vie et le mouvement y sont si tranquilles qu’un étranger les croirait inhabitées, s’il ne rencontrait tout à coup le regard pâle et froid d’une personne immobile dont la figure à demi monastique dépasse l’appui de la croisée, au bruit d’un pas inconnu. Ces principes de mélancolie existent dans la physionomie d’un logis situé à Saumur, au bout de la rue montueuse qui mène au château, par le haut de la ville. Cette rue, maintenant peu fréquentée, chaude en été, froide en hiver, obscure en quelques endroits, est remarquable par la sonorité de son petit pavé caillouteux, toujours propre et sec, par l’étroitesse de sa voie tortueuse, par la paix de ses maisons qui appartiennent à la vieille ville, et que dominent les remparts.

Honoré de Balzac (20/05/1799 – 1850) - Eugénie Grandet (1833)

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s:mai 2009 Invitation 3

Henri Michaux - Paysages

Paysages paisibles ou désolés.
Paysages de la route de la vie plutôt que de la surface de la Terre.
Paysages du Temps qui coule lentement, presque immobile et parfois comme en arrière.
Paysage des lambeaux, des nerfs lacérés, des «saudades».
Paysages pour couvrir les plaies, l'acier, l'éclat, le mal, l'époque, la corde au cou, la mobilisation.
Paysages pour abolir les cris.
Paysages comme on se tire un drap sur la tête.

Henri MichauxPeintures (éd. Gallimard, 1939 – 1964 )

s:mai 2009 Invitation 4

John le Carré – Opération secrète

_ Je sers à appâter Issa. Après j'appâte Abdullah, et après vous détruisez Abdullah. C'est ce que vous appelez sauver des vies innocentes.

_ Mais c'est complètement con, ce que vous dites ! hurla Bachmann dans l'oreille d'Annabel après avoir fait le tour de la table pour s'en approcher. Tant que vous coopérez, votre protégé a une chance de tirer sa carte « sortie de prison ». Et pour votre information, je n'ai pas l'intention de toucher à un cheveu de la vénérable caboche d'Abdullah. C'est une icône de tolérance, d'amour et d'intégration, et mon boulot ne consiste pas à déclencher des émeutes! » (...)

« Ne me faites pas le coup du sentimentalisme, Erna, dit Bachmann une fois qu'ils eurent raccompagné Annabel à la camionnette jaune avec sa bicyclette. Il n'y a pas de place pour ça dans cette opération.

_ Parce que dans les autres, il y en avait ? » rétorqua Erna Frey.

John le CarréUn homme très recherché (éd. du Seuil, octobre 2008 - page 253)

s:mai 2009 Invitation 5

Jacques Chessex - Gouffres

La misère sexuelle, comme on la nommera plus tard, s'ajoute aux rôderies de la peur et de l'imagination du mal. Solitaire, on surveille la nuit, ébats d'amour de quelques nantis et de leur râlante complice, frôlements du diable, culpabilité vrillée dans quatre siècle de calvinisme imposé. Sans répit déchiffrer la menace venue du fond de soi et du dehors, de la forêt, du toit qui craque, du vent qui pleure ; de l'au-delà, d'en haut, de dessous, d'en bas : la menace venue d'ailleurs. On se barricade dans son crâne, dans son sommeil, son cœur, ses sens, on se verrouille dans sa ferme, le fusil prêt, l'âme hantée et affamée. L'hiver attise ces violences sous la longue neige amie des fous, les ciels rouges et bistre entre aube et nuit déshéritée, le froid et la mélancolie qui tend et ronge les nerfs. Ah j'oubliais l'effarante beauté des lieux. Et la pleine lune. Et les nuits de pleine lune, les prières et les rituels...

Jacques ChessexLe vampire de Ropraz (éditions Grasset, 2007 - page 14)