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Charles Vildrac - Si l’on gardait
Si l’on gardait, depuis des temps, des temps,
Si l’on gardait, souples et odorants,
Tous les cheveux des femmes qui sont mortes,
Tous les cheveux blonds, tous les cheveux blancs,
Crinières de nuit, toisons de safran,
Et les cheveux couleur de feuilles mortes,
Si on les gardait depuis bien longtemps,
Noués bout à bout pour tisser les voiles
Qui vont sur la mer,
Il y aurait tant et tant sur la mer,
Tant de cheveux roux, tant de cheveux clairs,
Et tant de cheveux de nuit sans étoiles,
Il y aurait tant de soyeuses voiles
Luisant au soleil, bombant sous le vent,
Que les cheveux gris qui vont sur la mer,
Que ces grands oiseaux sentiraient souvent
Se poser sur eux,
Les baisers partis de tous ces cheveux,
Baisers qu’on sema sur tous ces cheveux,
Et puis en allés parmi le grand vent…
Charles Vildrac (22/11/1882-25/06/1971) - Livre d'amour (1910)
s:novembre 2012 Invitation 1Paul Éluard – Gabriel Péri Il y a des mots qui font vivre Paul Éluard (14/12/1895-18/11/1952) - Au rendez-vous allemand (1944). |
s:novembre 2012 Invitation 2Charles Vildrac - Si l’on gardait Si l’on gardait, depuis des temps, des temps, Charles Vildrac (22/11/1882-25/06/1971) - Livre d'amour (1910) |
s:novembre 2012 Invitation 3José-Maria de Heredia - L’Oubli Le temple est en ruine au haut du promontoire. José-Maria de Heredia (22/11/1842-02/10/1905) – Les Trophées (1893) |
s:novembre 2012 Invitation 4Marcel Proust - L’édifice immense du souvenir La vue de la petite madeleine ne m’avait rien rappelé avant que je n’y eusse goûté ; peut-être parce que, en ayant souvent aperçu depuis, sans en manger, sur les tablettes des pâtissiers, leur image avait quitté ces jours de Combray pour se lier à d’autres plus récents ; peut-être parce que, de ces souvenirs abandonnés si longtemps hors de la mémoire, rien ne survivait, tout s’était désagrégé ; les formes — et celle aussi du petit coquillage de pâtisserie, si grassement sensuel sous son plissage sévère et dévot — s’étaient abolies, ou, ensommeillées, avaient perdu la force d’expansion qui leur eût permis de rejoindre la conscience. Mais, quand d’un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l’odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l’édifice immense du souvenir. Marcel Proust (10/07/1871-18/11/1922) - Du côté de chez Swann - Combray (1913) |
s:novembre 2012 Invitation 5Mo Yan – Un veau bien gaillard Deux d’entre eux (les veaux) étaient de la race Luxi, à la robe beige et au museau blanc. Ils se ressemblaient comme des jumeaux, avec le même air abruti. L’autre, à la robe rousse, avait une double bosse sur l’échine ; c’était un veau de cette vache mongole à la queue en tirebouchon ; je lui avais donné un nom : Double Échine. C’était un sacré chenapan : l’hiver dernier, lorsque nous l’avions gardé, il essayait à tout bout de champ de monter les vaches. Au début, maître Du se moquait de lui, il croyait qu’il grimpait les femelles pour rien, mais très vite il s’était aperçu qu’il était déjà tout à fait capable de commettre le péché de chair. Il s’était empressé de lui lier les deux pattes de devant – ce qui ne l’avait pas empêché de continuer à vouloir sauter toutes les vaches, y compris sa mère. Maître Du avait conclu : « Ce chameau se prend pour le roi, il veut même se taper sa mère. » Mo Yan - Le Veau (Chine, 1998 - trad. du chinois par François Sastourné - Éditions du Seuil, oct. 2012 ) (page 13) |