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Philippe Forest – Les hydravions

C’était l’été sans doute. Les vacances étaient déjà commencées. Il avait couché son vélo dans l’herbe toute brûlée par la chaleur du soleil. Peut-être attendait-il allongé sur le sol ou bien se tenait-il assis sur un ponton, les jambes se balançant au-dessus du courant très lent. A perte de vue, le grand ciel bleu du beau temps recouvrait le monde. Il regardait descendre vers lui le signe en forme de croix de la carlingue et des ailes. Lorsque l’avion heurtait l’eau, le choc le ralentissait net. Forant dans le fleuve une tranchée immatérielle, il creusait son sillage entre les rives, rebondissant formidablement d’avant en arrière, basculant sur l’un et puis l’autre de ses flancs, oscillant sur ses deux flotteurs jusqu’à ce qu’il s’arrête enfin : rond avec son ventre vaste comme celui d’une baleine, inexplicable parmi les péniches et les navires de plaisance, immobile comme un paquebot étrange mouillant au milieu des terres.

Philippe ForestLe siècle des nuages (éditions Gallimard, 2010)

s:octobre 2010 Invitation 1

Lamartine – L’Automne

Salut ! bois couronnés d’un reste de verdure !
Feuillages jaunissants sur les gazons épars !
Salut, derniers beaux jours; Le deuil de la nature
Convient à la douleur et plaît à mes regards.

Je suis d’un pas rêveur le sentier solitaire ;
J’aime à revoir encor, pour la dernière fois,
Ce soleil pâlissant, dont la faible lumière
Perce à peine à mes pieds l’obscurité des bois.

Oui, dans ces jours d’automne où la nature expire,
À ses regards voilés je trouve plus d’attraits :
C’est l’adieu d’un ami, c’est le dernier sourire
Des lèvres que la mort va fermer pour jamais.[...]

Alphonse de Lamartine (21/10/1890-1869) – Premières méditations poétiques (1820)

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s:octobre 2010 Invitation 2

Daniel Defoe — Naufragé

J’ignorais encore où j’étais. Était-ce une île ou le continent ? Était-ce habité ou inhabité ? Étais-je ou n’étais-je pas en danger des bêtes féroces ? À un mille de moi au plus, il y avait une montagne très haute et très escarpée qui semblait en dominer plusieurs autres dont la chaîne s’étendait au nord. Je pris un de mes fusils de chasse, un de mes pistolets et une poire à poudre, et armé de la sorte je m’en allai à la découverte sur cette montagne. Après avoir, avec beaucoup de peine et de difficulté, gravi sur la cime, je compris, à ma grande affliction, ma destinée, c’est-à-dire que j’étais dans une île au milieu de l’Océan, d’où je n’apercevais d’autre terre que des récifs fort éloignés et deux petites îles moindres que celle où j’étais, situées à trois lieues environ vers l’ouest.

Daniel DefoeRobinson Crusoé (1719), ch. 10 Le radeau.

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s:octobre 2010 Invitation 3

Carlo Collodi – La marionnette


Arrivé chez lui, Geppetto prit sans attendre ses outils et se mit à tailler le morceau de bois afin de confection­ner sa marionnette.

— Quel nom lui donner ? – se demanda-t-il – Je l’appellerai bien Pinocchio. Ce nom lui portera bonheur. J’ai  connu une famille entière de Pinocchio. Le père, la mère, les enfants, tous se la coulaient douce. Et le plus aisé d’entre eux se contentait de mendier.  

Ayant trouvé le nom de sa marionnette, il se mit à travailler sérieusement. Il commença par sculpter la cheve­lure, puis le front et les yeux. Les yeux terminés, imaginez son étonnement quand il s’aperçut qu’ils bougeaient et le regardaient avec impu­dence. Ces deux yeux qui le fixaient énervèrent Geppetto. Il dit d’un ton irrité :

— Gros yeux du bois, pourquoi me regardez-vous ainsi ? Pas de réponse.

Alors il fit le nez, mais le nez à peine fini commença à grandir. Il grandit, grandit, grandit tellement qu’il devint, en quelques minutes, un nez d’une longueur incroyable. Le pauvre Geppetto avait beau s’éreinter à le retailler, plus il le retaillait pour le raccourcir, plus ce nez imperti­nent s’allongeait.

Carlo Collodi (1826-26/10/1890) – Les aventures de Pinocchio (1883) (Ch. 3)

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s:octobre 2010 Invitation 4

Paul Scarron - Je vous aimais... 

Je vous aimais : vous me l’aviez permis ;
J’espérais d’être aimé : vous me l’aviez promis.
Mais, hélas ! belle Iris, je vois bien le contraire ;
Je n’ose en murmurer
De peur de vous déplaire ;
Mais il m’est permis d’expirer,
S’il m’est ordonné de me taire.

Dedans vos fers, charmé de vos appas,
Je souffrais mes tourments et ne m’en plaignais pas ;
Vous feigniez de m’aimer, je vous aimais sans feindre ;
Vous m’avez fait souffrir
Les maux les plus à craindre ;
Mais il m’est permis de mourir,
S’il m’est défendu de me plaindre.

Paul Scarron (1610-6/10/1660) - Poésies

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s:octobre 2010 Invitation 5

Philippe Forest – Les hydravions

C’était l’été sans doute. Les vacances étaient déjà commencées. Il avait couché son vélo dans l’herbe toute brûlée par la chaleur du soleil. Peut-être attendait-il allongé sur le sol ou bien se tenait-il assis sur un ponton, les jambes se balançant au-dessus du courant très lent. A perte de vue, le grand ciel bleu du beau temps recouvrait le monde. Il regardait descendre vers lui le signe en forme de croix de la carlingue et des ailes. Lorsque l’avion heurtait l’eau, le choc le ralentissait net. Forant dans le fleuve une tranchée immatérielle, il creusait son sillage entre les rives, rebondissant formidablement d’avant en arrière, basculant sur l’un et puis l’autre de ses flancs, oscillant sur ses deux flotteurs jusqu’à ce qu’il s’arrête enfin : rond avec son ventre vaste comme celui d’une baleine, inexplicable parmi les péniches et les navires de plaisance, immobile comme un paquebot étrange mouillant au milieu des terres.

Philippe ForestLe siècle des nuages (éditions Gallimard, 2010)