Théorie mathématique de la viabilité (détails)

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La théorie mathématique de la viabilité, introduite par Jean-Pierre Aubin, fournit un cadre formel pour étudier la compatibilité entre un système dynamique et des contraintes dans l'espace d'état.

Les problèmes étudiés se veulent les plus larges possibles : ce qui est demandé à l'ensemble de contraintes, en général, c'est d'être un fermé. Cela permet de prendre en compte des contraintes qui soient, par exemple, des unions de convexes (qui ne sont pas nécessairement convexes) ; ou des intersections de sous-variétés régulières (qui ne sont pas nécessairement régulières).

On peut écrire les problèmes de viabilité comme des problèmes d'optimisation où la fonction objectif est discontinue (elle vaut, par exemple, dans l'ensemble de contraintes et en dehors. Les stratégies de contrôle viable peuvent faire appel à des opérateurs comme la vitesse de norme minimale. De ce fait les résultats et théorèmes peuvent être différents de ce qui existe en théorie du contrôle ou en contrôle optimal, en particulier pour les systèmes en temps continu.

On considère :

  • un système dynamique défini sur un ouvert d'un espace vectoriel de dimension finie ( dans la suite),
  • un ensemble de contraintes dans l'espace d'état : .


Soit une correspondance de dans . On définit par :

  • en temps continu :
    for almost all (1)
  • en temps discret :
    for all (2)

Définition —  Une évolution du système est viable dans si et seulement si sa trajectoire reste dans .

  • En temps continu :
  • En temps discret :

On note l'ensemble des évolutions gouvernées par issues de l'état .

Un domaine de viabilité pour défini sur est un sous-ensemble tel que, à partir de tout , il existe au moins une évolution gouvernée par qui reste dans

Notation : dans la suite on utilisera ou suivant le cas pour des raisons de simplification des formules en temps discret.

Noyau de viabilité[modifier | modifier le code]

Définition —  Le noyau de viabilité de pour le système est l'ensemble des états de à partir desquels il existe au moins une évolution gouvernée par viable dans .

Par définition, le noyau de viabilité est le plus grand des domaines de viabilité.

Le noyau de viabilité est un ensemble fermé moyennant certaines conditions sur le système dynamique, pour lesquelles nous rappelons les définitions suivantes :

Soit une correspondance de vers ( et étant des espaces vectoriels normés de dimension finie), .

  • Le domaine de est
  • Le graphe de est .
  • On note
  • est à croissance linéaire s'il existe une constante telle que , .


Définition : Soit une correspondance de vers . est Marchaud si :

  • Le graphe et le domaine de sont des fermés non vides
  • , est convexe
  • est à croissance linéaire

Le système dynamique défini par (1) sera dit Marchaud si la correspondance est Marchaud.

Théorème —  Fermeture du noyau de viabilité (système à temps continu).

Si est fermé, et le système dynamique est Marchaud, le noyau de viabilité de pour est fermé.

Théorème —  Fermeture du noyau de viabilité (système à temps discret).

Si est compact, et le système dynamique est tel que est hémicontinue supérieurement et à images fermées, le noyau de viabilité de pour est fermé.

Il existe des variantes de ces théorèmes avec des conditions plus ou moins faibles pour l'ensemble de contraintes et le système dynamique .

Caractérisation par le cône contingent[modifier | modifier le code]

Il est possible de caractériser le noyau de viabilité comme le plus grand des domaines de viabilité de la dynamique .

Un domaine de viabilité peut être caractérisé par le cône contingent.

Soit , , le cône contingent à en est le cône (fermé) des éléments tels que :

est la distance à un ensemble induite par la métrique sur .

Concrètement, cela veut dire que si , il y a une suite convergeant vers , et une suite convergeant vers , telle que pour tout .

Définition —  Domaine de viabilité pour défini par la correspondance

est un domaine de viabilité pour si et seulement si :

On peut montrer l'équivalence entre cette définition et la définition par les évolutions, car le cône contingent caractérise les évolutions non sortantes.

Cette caractérisation permet à la théorie de disposer d'algorithmes généraux de calcul d'approximation du noyau de viabilité avec preuve de convergence[1].

Systèmes contrôlés[modifier | modifier le code]

Il existe une formulation plus explicite de ces théorèmes pour les systèmes contrôlés.

Définition —  Système contrôlé

Soit une correspondance , et une fonction de plusieurs variables . On définit le système dynamique contrôlé par:

  • en temps continu :
    pour presque tout , avec (3)
  • en temps discret :
    pour tout , avec (4)

est la correspondance qui à chaque état associe l'ensemble des contrôles admissibles en . est la fonction qui à un état et un contrôle associe un nouvel état.

Le système dynamique contrôlé en temps continu est Marchaud si :

  • f est continue
  • Le graphe de U est fermé
  • Les ensembles sont convexes pour tout
  • f et U sont à croissance linéaire

Définition —  Noyau de viabilité d'un système contrôlé Le noyau de viabilité de l'ensemble de contraintes pour le système contrôlé est l'ensemble (éventuellement vide) des états de à partir desquels il est possible de trouver une fonction de contrôle telle qu'une évolution gouvernée par reste dans indéfiniment :

Théorème —  Fermeture du noyau d'un système contrôlé quand est fermé

Le noyau de viabilité est fermé quand le système contrôlé en temps continu est Marchaud.

Le noyau de viabilité est fermé quand le système contrôlé en temps discret vérifie :

  • est continue
  • le graphe de est fermé
  • est à croissance linéaire

Cartes de régulation[modifier | modifier le code]

Dans le cas des systèmes contrôlés, quand le noyau de viabilité n'est pas vide, on peut définir la correspondance des contrôles viables qui à chaque état du noyau associe le sous-ensemble des contrôles admissibles qui permet de garder les évolutions dans le noyau : est un ensemble invariant pour le système contrôlé .

En temps continu, si l'état est dans l'intérieur du noyau de viabilité, tous les contrôles de sont viables : . C'est sur la frontière du noyau que l'ensemble des contrôles viables peut être strictement plus petit que l'ensemble des contrôles admissibles.

A partir des cartes de régulation viable, on peut définir des stratégies de régulation en boucle fermée. On peut citer en particulier :

  • La stratégie du contrôle lourd[2] qui consiste à sélectionner un contrôle qui minimise
  • La stratégie du contrôle lent[3] qui sélectionne le contrôle de norme minimale en tout état  :

L'inconvénient de ces stratégies est que les trajectoires qu'elles gouvernent passent beaucoup de temps sur la frontière du noyau de viabilité[4], ce qui les expose à quitter le noyau de viabilité en cas de perturbation. Des heuristiques de trajectoires "prudentes" ont été proposées pour remédier à ce problème.

Bassin de capture[modifier | modifier le code]

La théorie de la viabilité s'intéresse à la possibilité intrinsèque de capturer une cible en temps fini tout en respectant des contraintes de viabilité. Le bassin de capture d'une cible rassemble les états de l'ensemble de contraintes à partir desquels il existe une évolution viable atteignant la cible en temps fini.

Définition —  Le bassin de capture d'une cible pour le système est l'ensemble des états de à partir desquels au moins une évolution gouvernée par atteint en un temps , et qui est viable dans jusqu'au temps .

Viabilité garantie[modifier | modifier le code]

La propriété de viabilité garantie est recherchée dans le cas des systèmes dynamiques contrôlés qui prennent en compte des incertitudes de nature ensembliste (tychastique).

Définition —  Système contrôlé et tychastique

Soit une correspondance , une correspondance , et une fonction de plusieurs variables . On définit le système dynamique tychastique contrôlé par:

  • en temps continu :
    pour presque tout , avec et (5)
  • en temps discret :
    for all , avec (6)

est la correspondance qui à chaque état associe l'ensemble des contrôles admissibles en . est la correspondance qui à chaque état associe l'ensemble des perturbations admissibles en . est la fonction qui à un état et un contrôle associe un nouvel état.

Aubin définit la propriété de viabilité garantie[5] d'un ensemble comme la possibilité de trouver une carte de contrôle définie sur cet ensemble, pour laquelle l'ensemble est invariant, c'est à dire que pour le système défini avec cette carte de contrôle, toutes les évolutions restent dans l'ensemble, quelles que soient les perturbations (admissibles).

Définition —  Propriété de viabilité garantie Soit un ensemble , soit un système tychastique contrôlé sur , a la propriété de viabilité garantie s'il existe une carte de régulation , définie sur telle que et , et telle que pour tous les états , toutes les évolutions à partir de et gouvernées par sont viables dans . est appelé domaine de viabilité garantie.

Contrairement au cas de la viabilité contrôlé, ou de la viabilité tychastique sans contrôle, le plus grand des domaines de viabilité garantie dans un ensemble de contraintes fermé n'a pas, en général, cette propriété pour un système dynamique en temps continu. Il est nécessaire d'exiger des conditions supplémentaires[6]

On rappelle la définition d'une correspondance lipschitzienne. Soit (espaces vectoriels de dimension finie), est lipschitzienne de constante si pour tout dans , (où est la boule unité).

Dans le cas des systèmes continus, on peut montrer l'existence du noyau de viabilité garantie dans le cas où la carte de contrôle est lipschitzienne de constante . Le noyau de viabilité n'est donc pas absolu, il est défini en fonction de la constante de Lipschitz.

Définition —  Noyau de viabilité garantie

  • en temps continu

Soit un ensemble de contraintes, soit un système tychastique contrôlé sur , tel que soit -Lipschitz. Le noyau de viabilité de pour est le plus grand des domaines de viabilité inclus dans .

  • en temps discret

Soit un ensemble de contraintes, soit un système tychastique contrôlé en temps discret sur , le noyau de viabilité garanti de pour est le plus grand des domaines de viabilité inclus dans .

Dans le cas discret, la fermeture du noyau de viabilité garantie est réalisée dans les mêmes conditions que pour le noyau de viabilité. Dans le cas continu, on peut montrer qu'elle est réalisée si lipschitzienne, ainsi que et .

Théorème —  Fermeture du noyau de viabilité garantie quand est fermé : conditions suffisantes en temps continu

Le noyau de viabilité garanti de pour le système tychastique contrôlé et la constante est fermé si :

  • f est lipschitzienne de constante
  • U et V sont à images compactes et lipschitziennes de constante

Théorème —  Fermeture du noyau de viabilité garantie quand est fermé : conditions suffisantes en temps discret

Le noyau de viabilité garanti de pour le système tychastique contrôlé est fermé si :

  • et sont continues
  • le graphe de est fermé
  • est à croissance linéaire

Fonctions Valeurs[modifier | modifier le code]

Algorithmes[modifier | modifier le code]

Références[modifier | modifier le code]

  1. Saint-Pierre, P., Approximation of the viability kernel. Applied Mathematics and Optimization 29 (2), 187–209. 1994.
  2. Aubin, J-P. et Frankowska, H. Trajectoires lourdes de systèmes contrôlés. Comptes rendus de l'Académie des sciences, Paris. Série 1, Mathématique. Tome 298, série I n°20, pp 521-524. 1984.
  3. Falcone, M. et Saint-Pierre, P. Slow and quasi-slow solutions of differential inclusions. Nonlinear Alalysis, Theory, Methods and Applications. Vol. 11, No. 3, pp. 367-377. 1987.
  4. Alvarez, I. et Martin, S. Geometric robustness of viability kernels and resilience basins. Viability and resilience of complex systems: concepts, methods and case studies from ecology and society., Springer, pp.193-218, 2011.
  5. Aubin, J.-P., 1997. Dynamic Economic Theory: A Viability Approach, Vol. 5. Springer Verlag
  6. Doyen, L. Lipschitz Kernel of a Closed Set-Valued Map. Set-Valued Analysis 8 (1),101–109. 2000.

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Les ouvrages et documents suivants ont servis à rédiger ce texte :

Viability Theory, Aubin J.P, Birkhauser, 1991.

Viability Theory: New Directions, Aubin, J.-P., Bayen, A., & Saint-Pierre, P. (2011). Springer.

Modélisation, exploration de modèles, théorie de la viabilité pour l’aide à la gestion des espèces végétales invasives : application au cas des renouées asiatiques le long d’un cours d’eau. Lavallée, F. Mathématiques [math]. Thèse de Sorbonne Université, 2020.