Truelle

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.
Outil emblématique du maçon, la truelle triangulaire à embout arrondi des Anciens ou aujourd'hui la truelle italienne ronde.

Une truelle est un instrument dont la partie utile est semblable à une petite pelle effilée, un couteau plat et élargi, une large spatule a priori sans rebord, un outil manuel polyvalent typique du maçon et de plâtrier, du carreleur ou du peintre décorateur, ornemaniste ou stucateur, de l'archéologue et du jardinier, ou encore du paveur d'allée ou du bricoleur constructeur.

Se maniant d'une main, elle est composée d'ordinaire d'une lame mince et plate, en forme de triangle, de trapèze, de losange ou grossièrement rectangulaire ou carrée avec un arrondi au bout, le plus souvent en matériau plus ou moins flexible (métal, fer, laiton, acier, acier trempé, inox, acier spéciaux, voir plastique(s), caoutchouc ou bois) et d'un manche coudé ou recourbé se terminant par une poignée en bois ou en plastique. En général, le manche métallique est inséré dans la poignée et y est fixé à l'aide d'une virole[1]. La truelle trapézoïdale de maçon ou de plâtrier sert à prendre et à étendre le mortier ou le plâtre[2].

Il existe aussi sur les chantiers de finition et de lissage de grandes dalles de béton, diverses machines motorisées à pales tournantes plus ou moins larges, dénommées "truelles mécaniques"

Origine du mot et lexique[modifier | modifier le code]

Le mot correspondant au latin médiéval trulla est attesté en ancien français sous la forme trieule en 1285, puis truele en 1328[3].

Le mot bas latin de genre féminin s'écrit trǔella, il s'agirait d'une probable reformation sur un diminutif de trǔa. Notez que le latin classique reste le féminin trūlla,ae désignant à la fois une petite écumoire (trǔa), une espèce de poêle, une truelle de maçon, une cuvette ou vase de nuit selon le dictionnaire Gaffiot, qui s'étend probablement à la latinité médiévale. On ne connaît pas de forme trūella en latin. Le mot dialectal wallon se prononce "trouelle".

Le verbe construire, attesté en ancien français du XIIIe siècle, dérive du verbe transitif en latin classique, constrǔo, construxi, constructum, construěre, qui signifie en premier lieu "entasser par couches (avec ordre), ranger", puis "bâtir, édifier"[4]. Il semble exister un rapport ancien entre la truelle et l'art de la construction. La truelle et le niveau, associées à la franc-maçonnerie du XVIIIe siècle restent aussi des symboles de la fin du travail maçon. Toutefois la truelle apparaît toujours seule dans le rite français à la fin de la cérémonie d'initiation au grade de compagnon. La symbolique commune de la truelle - fraternité et tolérance - est associée au début des travaux ou à leur entreprise initiale : elle est l'unique outil avec lequel les autorités posent la première pierre, le plus souvent datée, d'un édifice[5].

Le dictionnaire universel d'Antoine Furetière, paru en 1690, mentionne une définition classique largement reprise : "instrument de maçon, de couvreur, de paveur, qui sert à gascher le plastre, ou le mortier, & le ciment, à les employer, & à en faire des enduits". Le lexicographe poursuit : "C'est une lame de fer triangulaire, qui a une poignée par où on la manie. L'équipage d'un maçon est son marteau, son auge, & sa truelle. Une truelle brettée est celle qui a des dents". "Jouer de la truelle" signifie à cette époque exceller dans l'art de bâtir.

Une truellée est une quantité, parfois normée, que peut porter une truelle. Le verbe trueller signifie peindre à pleine pâte, par couches épaisses. Le truellage est le travail exécuté à la truelle, mais aussi parfois la peinture déposée en épais empâtements. La truellisation, selon le dictionnaire des techniques et des métiers édité par Jean Peyroux en 1985, est un travail spécifique réalisé à la truelle d'un enduit ou d'un crépi afin de servir de décoration[6].

Le lexicologue Pierre Larousse affirme que le mot latin trulla, à l'origine de truelle, est un diminutif de trua au sens de "cuiller, chose creuse, outil qui creuse", de même famille gréco-latine que le verbe en grec ancien τρύώ, τρύγηώ ou truô, truchô, signifiant "trouer, creuser"[7]. Dans les bonnes maisons bourgeoises, la truelle est un instrument du service de table, généralement en argent, qui sert à ouvrir et servir le poisson. La truelle désigne familièrement l'action de bâtir ou de faire bâtir, au milieu du XIXe siècle, d'où les expressions aujourd'hui désuètes "aimer la truelle", "avoir le mal de la truelle". Honoré de Balzac, grand observateur de la vie urbaine, écrivait : "La truelle est, à Paris, plus civilisatrice qu'in ne le pense".

Variété de l'outil "truelle" selon les métiers et les tâches[modifier | modifier le code]

On distingue par principe, en oubliant l'art du façadier et du stucateur, dans le bâtiment deux types de truelles, formées généralement d'une lame d'acier et d'un manche recourbé, se terminant par une poignée en bois :

  • la "truelle de maçon" qui présente un bout arrondi permet de projeter le mortier, voir le ciment ou béton encore malléable, et de rejointoyer les parements. La truelle triangulaire à bout arrondi, "façon Bayonne", de 16 cm, en est un exemple[5]. Autrefois en fer de manière ordinaire, la truelle à mortier variait de forme selon les localités ou pays de maçons[8]. Les maçons limousins préféraient à l'usage une truelle composée d'une plaque de tôle ayant la forme d'un triangle isocèle, arrondi à son extrémité la plus aiguë. Sur le milieu du côté opposé à cet angle, se soudait un manche en fer recourbé d'équerre. Cette truelle qui a la pointe arrondie pour faciliter l'entrée du mortier dans les joints étaient encore dénommée "greluchonne". Depuis les années 1850, une longue truelle en fer, de 18 cm de longueur, de 6 cm de largeur à son extrémité, et respectivement 98 cm et 9 cm près du manche s'impose pour sa commodité à prendre le mortier, et encore plus pour dresser les enduits. Elle présente ainsi une forme trapézoïdale similaire à la truelle à plâtre. Les tailles de ces truelles sont numérotées : par exemple les numéros 5, 6, 7 et 8 inscrit sous la lame correspondent à des lames de 17 cm, 17,8 cm, 18,5 cm, 19 cm et à peu près autant de largeur près du manche[9]. La truelle italienne à extrémité ronde, avoisinant 20 à 22 cm, est à notre époque une truelle standard, qui permet de réaliser toutes les finitions en maçonnerie, comme l'enduisage ou le jointoiement de parement. Sa variante à bout carré permet aujourd'hui de maçonner, enduire, voire crépir[10].
  • la "truelle de plâtrier" qui offre un bout carré ou anguleux afin de pouvoir récupérer le plâtre dans les angles des auges, lui permet de gâcher ou mettre en place le plâtre frais. La truelle à plâtre était autrefois en cuivre jaune car le métal fer s'oxydait vite au contact du plâtre qui, de plus, s'y attache fortement en lui faisant perdre son poli. Cet inconvénient ne permet pas au plâtrier de lisser ses enduits avec facilité, ni de nettoyer efficacement son lame en la passant entre ses doigts. Cet outil en cuivre jaune, dont il fallait prendre soin de ne pas ébrécher les côtés de la lame, pour ne pas rayer les enduits au lieu de les lisser, devait être nettoyé et poli avec soin : un morceau de charbon mouillé, choisi bien calciné, ou à défaut un morceau de sapin, recouvert de petits charbons de bois tendres écrasés sous ce dernier, servait à effectuer un vigoureux frottement[8].

Cette distinction est en grande partie caduque, depuis l'apparition de lames de truelle de meilleure résistance et qualité, en acier trempé et inox. Notons qu'un bon ouvrier nettoie avec soin ses outils après usage.

Il existe d'autres instruments similaires à manche pour des usages spéciaux, qui peuvent être des truelles non standard dévoilant d'autres formes ou tailles :

  • la "truelle à briques", grande et large, de forme rectangulaire ou carrée à bout arrondi, d'une quinzaine de centimètre de longueur, qui est recommandée aux maçons poseurs de briques. Elle était autrefois en laiton ou en cuivre[5]. La truelle à briqueter façon Reims s'utilise pour maçonner, voire sectionner les briques. Il en existe aussi des truelles façon belge et des "cazzuolas" carrés.
  • la "doloire" du maçon, qui présente la forme d'une truelle et d'un râteau, servant à mêler et gâcher le sable et la chaux[11].
  • la "truelle à dégrossir", de forme trapézoïdale, d'une vingtaine de centimètre de long[5]. La "greluchonne" du maçon est une truelle à mortier de forme similaire[12].
  • la "truelle d'angle" est conçue par sa forme pour assurer la finition dans les angles de cloisons, elle existe en deux versions : angle intérieur et angle extérieur.
  • la "truelle pointue" ou truelle de finition. La truelle triangulaire, à bout pointu, permet de réaliser les finitions, particulièrement au niveau des angles difficilement accessible. On peut compter parmi cette catégorie la langue de chat, petite truelle fine et effilée qui sert à réaliser les finitions, en particulier la réalisation et le rebouchage de joints, notamment entre les éléments d'un parement. La petite truelle, dénommée spatule, d'une longueur de 12 cm et de 3 à 4 cm de largeur, se terminant en pointe arrondie, à l'instar de la greluchonne, servait à assurer les rejointoiements.
  • la "truelle des plafonneurs", en acier très mince, est plus allongée que l'ancienne truelle à plâtre en cuivre : environ 22 à 25 cm de longueur de lame, 12 à 15 cm de largeur près du manche, 7 à 9 cm à son extrémité souvent arrondie.
  • la "petite truelle à plâtre" est une truelle de finition pour appliquer et lisser le plâtre, le stuc et autres matériaux de finition. La petite truelle à profiler du plâtrier, de 8 cm de long, à lame triangulaire légèrement arrondie, en fait partie[5].
  • Le "stucateur", encore nommé truelle de façadier, présente une forme de truelle carrée en inox, elle est destinée à appliquer un enduit.
  • la "truelle brettée ou brettelée", également nommée "truelle dentée ou crantée", présente des rebords dentés. Il peut s'agir soit d'une lame à plaque de fer mince, tantôt à bord lisse et dentelée, soit d'une lame dont l'un des côtés est taillé en dents carrées ou en lame de scie, l'autre restant lisse et tranchant ; de forme souvent rectangulaire, elle permet le grattage de surface et le lissage de l'enduit, tout en nettoyant la surface à préparer. La truelle brettée ou brettelée en maçonnerie est une truelle à deux tranchant, l'un uni l'autre dentelée[13]. Selon le Grand dictionnaire universel de Pierre Larousse, "la truelle brettée est une plaque d'acier de forme rectangulaire, au centre de laquelle est fixé un manche perpendiculaire à son plan. Les deux grands côtés de cette plaque sont taillés en biseau, et l'un d'eux est denté". Outil capital pour le plâtrier, qui l'emploie fréquemment, avec un tact et une habilité experte, il sert à nettoyer et dresser les enduits en plâtre : le côté denté est passé sur les enduits sitôt que le plâtre a fait prise, et le côté uni permet ensuite une finition souhaitée[8]. La truelle "Berthelet" en est une variante en forme de râteau, le côté cranté permet de retirer le surplus de plâtre, de gratter les surfaces imparfaites en plâtre ou d'étaler de la colle avant la pose de carreau de carrelage[5]. Une truelle brettée peut aussi servir à dresser des revêtements lisses en ciment romain, mais dans ce cas spécifique, elle possède une lame épaisse et très dure, pour que le frottement sur les grains de sable qui contient le mortier l'use le moins vite possible[8].
  • la "truelle dentée à colle", pour appliquer du béton cellulaire, est équipée de son réservoir à colle.
  • le fer à joint désigne une truelle fine qui sert à réaliser les joints de mortier entre les briques.
  • la "truelle à marge"
  • la "truelle de jaugeage" ou "truelle à godet"
Truelle à lisser.
  • la truelle à lisser, ou encore la demi-lune, sorte de truelle à plaque arrondie pour dégrader ou lisser les joints[14].
  • la "truellette", petite truelle, permet au plafonneur d'appliquer les ornements en relief[14].
  • le "répondant" en céramique est une truelle en bois appliquée pendant le façonnage des poteries, il sert à soutenir les parois de pièces quand l'opérateur s'occupe de la surface extérieure[15].

Truelle mécanique, machine motorisée à pales rotatives en acier[modifier | modifier le code]

L'industrie du bâtiment utilise pour lisser et talocher béton ou ciment, coulé en dalles ou chapes de grandes surfaces, avant sa prise complète et définitive, la "truelle mécanique", encore appelée lisseuse ou talocheuse mécanique. Elle est constituée d'un moteur (électrique, thermique ou pneumatique) qui fait tourner un rotor muni de pales ou longues truelles en acier, entre 50 et 130 tours par minute, elle est équipée de longs manches qui permettent de la déplacer sur la dalle. Il s'agit d'obtenir des surfaces très planes en un temps minimal, dans la construction et rénovation de bâtiments et de routes, tout en commençant par araser et lisser la surface. Les passages finissent par modifier la densité de la lame supérieure de béton en voie de séchage. Un apport de quartz en surface est souvent opéré aussi pour améliorer les propriétés de surface, la couche supérieure de béton devient plus dense, favorisant glaçage et planéité.

Il en existe a minima trois sortes :

  • les truelles mécaniques autoportées, employées pour les plus larges, sur des surfaces de l'ordre de 330 m².
  • les truelles mécaniques, travaillant sur un diamètre de l'ordre de 60 cm, pour aplanir et lisser des dalles de béton petites ou moyennes.
  • les "hélicoptères à béton", c'est-à-dire des truelles mécaniques à pales créant au dessus du sol, un mouvement circulaire de diamètre entre 90 et 120 cm.

Utilisation manuelle dans le bâtiment[modifier | modifier le code]

Maçon maniant une truelle

La truelle du maçon sert à prendre le mortier dans une auge ou sur une taloche, car le mortier ne doit jamais être en contact direct avec la peau de la main : il reste abrasif et la chaux, corps chimique basique, qui le constitue est corrosive. La truelle sert aussi à protéger la main du maçon.

Elle sert au façonnage des mortiers : petit gâchage, projection ou gobetis, application, lissage...

Le tranchant de la lame sert à racler le mortier, le plâtre ou le béton superflu.

La pointe terminale sert à excaver le mortier encore frais joignant des moellons ou des parpaings en vue d'un travail ultérieur.

L'extrémité métallique du manche peut servir à percuter des matériaux de petites tailles comme de petits moellons ou des briquettes, afin de les caler dans le lit de mortier, la massette restant souvent inapproprié et dans certains cas trop lourde.

Références[modifier | modifier le code]

  1. La lame métallique s'engage dans le manche en bois après un double coude. Hubert de Graffigny, opus cité, truelle.
  2. La Grande Encyclopédie de Marcellin Berthelot se limite à une définition classique et laconique pour le bâtiment, outil à lame de fer ou de laiton muni d'un manche recourbé.
  3. TLFi entrée truelle.
  4. TLF i entrée construire. Le premier sens figuré n'est attesté qu'en 1466, le sens géométrique en 1690.
  5. a b c d e et f Jean-Paul Paireault, opus cité.
  6. Jean Peyroux (1925-2012), opus cité.
  7. Pierre Larousse, Grand dictionnaire universelle du XIXe siècle, opus cité.
  8. a b c et d Pierre Larousse, opus cité.
  9. Pierre Larousse, opus cité. La truelle 7 était la plus usitée, du vivant de Pierre Larousse.
  10. Dans la tradition française, crépir signifie recouvrir un mur d'un enduit de sable et de chaux, de plâtre ou de mortier de ciment, appelé crépi, au moyen d'un balai et sans truelle, comme le rappelle Hubert de Graffigny, opus cité.
  11. Hubert de Graffigny, opus cité, p. 286
  12. Hubert de Graffigny, opus cité, p. 410
  13. Hubert de Graffigny, opus cité, Truelle ou truelle brettée, p. 805
  14. a et b Hubert de Graffigny, opus cité.
  15. Hubert de Graffigny, opus cité, p. 696

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Henry de Graffigny, Dictionnaire des termes techniques employés dans les sciences et dans l'industrie, Imprimerie Deslis Frères (Tours), H. Dunod et E. Pinat éditeurs, Paris, 1906, 839 pages, préface de Max de Nansouty. Recueil de 25.000 mots techniques avec leurs différentes significations. Entrées Truelle, truellée, truellette p. 805, Truelle brettée ou brettelée, p. 117, crépir (opération sans truelle) p. 228, Crochet (truelle avec embout crochet) p. 231, décrotter p. 256, Demi-lune p. 261, Doloire p. 286, épigeonner p. 329, gobeter p. 402, Greluchonne p. 410, Pigeon p. 619, Répondant (Céramique) p. 696, Sole p. 739.
  • Pierre Larousse, Grand dictionnaire universel du XIXe siècle : français, historique, géographique, mythologique, bibliographique etc. in folio, Administration du grand Dictionnaire universel, Paris, 1866-1877, en 17 volumes ou tomes. En particulier, tome 17, de la lettre TESTAM à Z, en particulier entrée truelle, truellage, truellée, truellette etc. p. 560.
  • Jean-Paul Paireault, Le grand livre de l'outil, Centre France Livres SAS, De Borée, 2020, 2e édition, 349 pages, (ISBN 978-2-8129-2672-3). En particulier, truelles en fer et bois, présentées et illustrées page 333 : truelle de maçon trapézoïdale à dégrossir 20 cm, truelle de plâtrier triangulaire pour profiler 8 cm, truelle berthelet pour la pose de carrelage, truelle triangulaire façon Bayonne 16 cm, sans oublier deux truelles à brique 14 cm, à lame carrée à bout arrondi, respectivement en laiton et en cuivre.
  • Jean Peyroux, Dictionnaire des mots de la technique et des métiers, simple couverture cartonnée bleue, diffusion A. Blanchard, Paris, 1985, 426 pages.

Autres liens[modifier | modifier le code]

Sur les autres projets Wikimedia :

Liens internes[modifier | modifier le code]

  • Truelle brettée ou brettelée

Liens externes[modifier | modifier le code]