Alexandrie. Une histoire et un guide

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Alexandrie. Une histoire et un guide (Alexandria. A History and Guide) est un ouvrage de l'écrivain anglais E. M. Forster, dont la première version est parue en 1922. Organisé en deux parties, dont la première est une histoire de la ville d'Alexandrie, en Égypte, depuis sa fondation par Alexandre le Grand jusqu'à l'époque contemporaine et la seconde un guide destiné aux visiteurs, l'ouvrage s'inscrit dans la longue tradition littéraire inspirée par cette ville, représentée aussi au XXe siècle par le poète grec Constantin Cavafy, l'écrivain britannique Lawrence Durrell (Le Quatuor d'Alexandrie) ou encore le romancier égyptien Édouard Al-Kharrat.

Le séjour de Forster à Alexandrie[modifier | modifier le code]

Forster arrive à Alexandrie à l'automne 1915. Jusqu'au début de 1919, il y travaille comme volontaire pour la Croix-Rouge[1]. Cela lui laisse beaucoup de temps pour découvrir la ville en profondeur et accumuler les connaissances et impressions qui vont alimenter les articles qu'il publie dans des journaux anglophones de la ville, surtout l’Egyptian Mail, un hebdomadaire paraissant le dimanche, articles qui seront réunis, avec des remaniements, dans Pharos and Pharillion en 1923[2]. Il amasse aussi la matière de son ouvrage de 1922. Il se lie avec Constantin Cavafy. Il vit sa première véritable relation homosexuelle ; son ami, Mohammed el Adl, est un conducteur de tramway qu'il a rencontré au cours de ses déambulations dans la cité[3]. Au début de l'année 1919, Forster rentre en Angleterre.

L'histoire du livre[modifier | modifier le code]

Le livre a eu une histoire difficile. La première édition, publiée à Alexandrie en 1922 par une entreprise locale, succursale de l'imprimeur londonien Whitehead Morris, connut une diffusion très limitée, car un incendie dans les réserves de l'imprimeur en détruisit la plupart des exemplaires. La deuxième édition, révisée, parue en 1938 chez le même éditeur, n'a pas rencontré le public qu'elle pouvait espérer, en raison du contexte politique et du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale[4],[2]. Quant à la réédition de 1961[5], elle est sortie quand Alexandrie n'était plus la ville cosmopolite décrite par Forster, à la suite de l'expédition de Suez (octobre-novembre 1956) et du départ de nombreuses communautés juives, levantines, méditerranéennes qui faisaient l'originalité de la cité.

Structure de l'ouvrage[modifier | modifier le code]

La première partie, historique, suit la chronologie. L'auteur développe longuement la période gréco-romaine et la période chrétienne de l'Antiquité tardive, jusqu'à la conquête arabe en 641, en s'étendant sur les aspects culturels et religieux. Il passe très rapidement sur la période arabe et, à partir de 1517, turque : pour lui, c'est une période de déclin (« mille ans de silence ») ; l'Égypte arabe se construit autour du Caire. « Avec Napoléon commence une ère nouvelle ». Il met alors en évidence le rôle essentiel de Méhémet Ali pour la renaissance d'Alexandrie et la création de la ville moderne, entre 1805 et 1848. La partie historique se termine par une assez longue évocation des émeutes anti-européennes de juin-juillet 1882 et du bombardement d'Alexandrie (11 juillet 1882) par la flotte anglaise de l'amiral Seymour, prélude de la guerre anglo-égyptienne qui se termine en septembre 1882 par la victoire des Anglais sur Urabi Pacha et le début de l'occupation britannique de l'Égypte. Forster ne continue pas au-delà ; il remarque qu'Alexandrie « est aujourd'hui politiquement plus proche du reste de l'Égypte qu'à tout autre moment de son histoire » ; il affirme que, si sa prospérité matérielle est assurée, elle ne peut pas rivaliser sur le plan culturel avec l'Alexandrie antique. Cette partie s'achève par un poème de Constantin Cavafy, Les dieux désertent Antoine, où l'on trouve ces vers : « Salue Alexandrie qui s'en va… | Et salue Alexandrie que tu perds. »

La statue équestre de Méhémet Ali sur l'ancienne place des Consuls, point de départ des six premières promenades proposées.

Dans la deuxième partie (le guide), Forster présente huit itinéraires de visite. Les six premiers partent de la Grand-Place (ancienne place des Consuls, aujourd'hui place Tahrir, c'est-à-dire place de la Libération), où se trouve la statue équestre en bronze de Méhémet Ali[6]. Le premier itinéraire part de la Grand-Place vers l'est et rejoint l'ancienne rue de Rosette, qui suit le tracé de la voie Canopique, artère principale de l'Alexandrie des Ptolémées (rues Fouad et El-Horeya) ; il permet d'atteindre à gauche le musée gréco-romain dont les collections sont décrites de manière extrêmement détaillée. Le deuxième itinéraire va de la Grand-Place à Ras El-Tin, sur l'ancienne île de Pharos devenue une presqu'île, et à la nécropole d'Anfouchi, avec retour par le fort de Qaitbay, à l'emplacement du phare d'Alexandrie, et le port oriental. La troisième promenade se dirige vers le sud, jusqu'au canal Mahmoudieh (en), le canal qui relie Alexandrie au Nil, en passant par la cathédrale Sainte-Catherine d'Alexandrie, la « colonne de Pompée », qui date en fait de l'époque de Dioclétien, et les vestiges du sanctuaire de Sérapis, et enfin les catacombes de Kôm-el-Chougafa. La quatrième promenade va vers l'est et aboutit aux jardins Nouzha et au palais d'Antoniadis, tandis que la cinquième se dirige vers le nord-est, passe par la cathédrale Saint-Marc, siège du patriarcat copte orthodoxe, puis à l'emplacement du Caesareum, où se trouvaient les Aiguilles de Cléopâtre, et continue en suivant les stations du tram vers Sidi Gaber, Ramleh, qui était alors la banlieue chic où résidaient les expatriés, San Stafano, pour aboutir au collège Victoria. Le texte de la sixième section est très court : l'itinéraire part de la Grand-Place et se dirige vers le sud-ouest ; il passe par la butte de Kom el-Nadoura, surmontée par un sémaphore, traverse le canal Mahmoudieh puis le faubourg Gabbari, et aboutit au Mex (ou Max), à mi-chemin sur la grande courbe du port occidental. Les deux dernières sections correspondent à des excursions plus lointaines, qui pouvaient se faire par le train. La septième permet de visiter Aboukir[7] et Rosette, et au passage les jardins du palais de Montazah, résidence d'été des khédives, et, près d'Aboukir, les vestiges de la cité de Canope. La huitième, intitulée « Le désert libyen », se dirige vers l'ouest ; les points d'intérêt sont les ruines d'Abousir[8], en bord de mer, et le monastère de Saint-Ménas, à la limite du désert, avec possibilité de prolonger plus loin au sud, dans le désert, jusqu'au Ouadi Natroun[9].

Suivent quatre appendices développant des points particuliers : 1. Les communautés religieuses modernes.– 2. La mort de Cléopâtre.– 3. Les évangiles apocryphes d'Égypte.– 4. La profession de foi de Nicée.

Des renvois sont établis régulièrement de la première à la seconde partie et réciproquement. Une bibliographie complète l'ouvrage.

Alexandrie dans l'œuvre de Forster[modifier | modifier le code]

L'ouvrage « est à la fois œuvre de romancier et d'amateur. L’Alexandrie de Forster est née, en effet, du coup de foudre d'un hôte de passage »[10]. C'est une promenade littéraire ; on pense aux Promenades dans Rome de Stendhal[10]. « Parcourir la ville devient dans ces conditions une sorte de pèlerinage dans lequel se mêlent présent et passé, histoire et légende. On voit la ville grecque sous la ville moderne, la voie Canopique sous la rue Rosette, le Pharos sous le fort de Kaït Bey[10]. » C'est ce pouvoir d’évocation qui fait le charme et l'intérêt pérenne de l'œuvre. Le livre aide le visiteur à retrouver l'Alexandrie hellénistique et romaine, mais aussi l'Alexandrie cosmopolite, méditerranéenne plus qu'arabe, de la première moitié du XXe siècle sous l'Alexandrie d'aujourd'hui. Mais il ne peut plus servir de guide pratique pour séjourner dans une ville qui a été bouleversée démographiquement et sociologiquement depuis l'époque de Forster ; certains édifices ou musées n'existaient pas encore à cette époque, certains monuments antiques n'avaient pas encore été redécouverts. Même la partie historique est rendue obsolète par les découvertes archéologiques et les travaux des historiens.

Éditions récentes[modifier | modifier le code]

  • L'édition de référence en anglais a été procurée par Miriam Allott en 2004 et contient aussi Pharos and Pharillon ; elle est accompagnée d'un abondant commentaire et de plusieurs documents intéressants comme le Memoir que Forster a écrit sur son amant alexandrin Mohammed el Adl : E. M. Forster, Alexandria. A History and a Guide and Pharos and Pharillon, edited by Miriam Allott [Abinger edition, vol. 16], Londres, André Deutsch, 2004 (ISBN 0-233-05078-7). Une étude détaillée de cette édition a été publiée par Frederick Williams[2].
  • (fr) Alexandrie. Une histoire et un guide, traduit de l'anglais par Claude Blanc, postface de Robert Ilbert, coll. 10/18 no 2404, Quai Voltaire, 1990. (ISBN 2-264-01924-7))

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Il n'est pas combattant, car il bénéficie du statut d'objecteur de conscience.
  2. a b et c (en) Frederick Williams, « E.M. Forster's Alexandrian Quartet », Hermathena, 179 (In honour of J. M. Dillon), 2005, p. 165-193 (en ligne).
  3. Samuel Cross, Alexandria: A History and a Guide.
  4. Voir l'introduction écrite par E. M. Forster pour l'édition de 1961 et la postface de Robert Ilbert pour l'édition française, p. 304.
  5. Sur la base de la première édition (1922).
  6. La statue, réalisée en 1872, est l'œuvre du sculpteur français Henri-Alfred Jacquemart.
  7. L'intérêt est notamment de comprendre in situ le déroulement de la bataille navale (1798) et de la bataille terrestre (1799).
  8. À ne pas confondre avec le site archéologique d'Abousir, près du Caire.
  9. Alors que les sept premiers itinéraires sont faciles à suivre à l'époque, à pied, en tram ou en train, le huitième comporte des sites d'accès plus difficile. Pour Saint-Ménas : « À douze kilomètres au sud de la gare de Bahig, dans la solitude du désert, se trouvent les ruines de la grande cité chrétienne. Avec un bon cheval, on peut la visiter entre deux trains, mais il est préférable d'y camper pour la nuit. » (p. 284-285) Pour le Ouadi Natroun : « Une demi-journée de désert vers le sud conduit un cavalier au Ouadi Natroun. » « La meilleure façon de visiter le Ouadi est de prendre contact avec l’Egyptian Salt and Soda Company qui a la concession d'exploitation du secteur… Le chemin de fer de la compagnie part de Khatatbeh, sur la ligne secondaire Le Caire-Tel el-Baroud. » (p. 291-292)
  10. a b et c Postface de Robert Ilbert pour l'édition française.

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • (en) Jane Lagoudis Pinchin, Alexandria Still. Forster, Durrell, and Cavafy (= coll. « Princeton Legacy Library », 1464), Princeton University Press, 1977, 262 p. (Chapter 3. « The Bridge. E. M. Forster in Alexandria »).
  • (en) David Cowart, « Where Sense Verges into Spirit: E. M. Forster's Alexandria After 75 Years », Michigan Quarterly Review, vol. XXXVI, no 3,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  • (en) Frederick Williams, « E.M. Forster's Alexandrian Quartet », Hermathena, no 179 (In honour of J. M. Dillon),‎ , p. 165-193 (lire en ligne, consulté le ).

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]