Chronopathologie

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La chronopathologie est une branche de la chronobiologie qui consiste en l’étude des perturbations de l'organisation temporelle liée à un processus pathologique. Ainsi, elle étudie les troubles fonctionnels des organes et maladies en relation avec le rythme de jour-nuit.

Notre organisme est rythmé, c'est-à-dire que nous sommes synchronisés et qu’il y a résonance entre nos rythmes biologiques et l’environnement. Une désynchronisation du fonctionnement de l’horloge peut être dû à l'environnement (désynchronisation externe) ou à une pathologie (désynchronisation interne). Ces désynchronisations sont susceptibles de générer des pathologies, mais des maladies peuvent également provoquer des désordres au niveau des rythmes circadiens. Ainsi, l’altération de l'organisation temporelle de l’organisme peut être soit la cause, soit le résultat d’un processus pathologique. L’altération de la structure temporelle est quantifiable par des différences de période, d'acrophase ou d'amplitude qui précède, suit ou coïncide avec un changement d'état de santé. «Par exemple, des douleurs traumatiques répétées et nocturnes sont susceptibles de perturber le sommeil et d'avoir de réelles conséquences: une fatigue importante, une forte irritabilité, des troubles du comportement, voire un état dépressif et d'éventuels troubles métaboliques»[1]. La chronopathologie permet d'identifier les différentes phases de déviation de la norme. Reconnaître les caractéristiques dépendantes du temps peut être d'une grande importance dans le diagnostic et le traitement d'une maladie. L'anatomie intelligente est la base des médicaments qui possèdent un délai thérapeutique[2].

Les perturbations des rythmes circadiens peuvent être d’origine génétique ou acquises durant la vie de l’individu en raison d’un événement (par exemple, le décalage horaire). Une perturbation chronique du rythme circadien est reliée à diverses pathologies : troubles métaboliques, obésité, diabète, maladies cardiovasculaires et cancers. Des perturbations génétiques du rythme circadien sont le résultat de mutations de gènes de l’horloge responsables de générer la rythmicité circadienne cellulaire [3]. Le polymorphisme des gènes responsables de la bonne synchronisation du cycle ont souvent été associées dans les études sur des cancers[4].

Histoire et développement de la chronopathologie[modifier | modifier le code]

Le domaine de la chronobiologie a considérablement progressé ces dernières années, réalisant des percées importantes dans la recherche scientifique. La chronobiologie est maintenant un domaine multidisciplinaire, notamment dans le domaine médical. Le début de la chronobiologie remonte en 1729 lorsque Jean-Jacques Dortous de Mairan observa les mouvements journaliers de l’ouverture des feuilles du Mimosa, ceci était la première notion du temps biologique. Depuis, les nombreuses recherches scientifiques sur les rythmes biologiques de la santé et de la maladie ont eu un impact sur la médecine, à la fois en termes de diagnostic et de thérapie des patients[5].

Évolution de la chronobiologie médicale[modifier | modifier le code]

Bien qu'il existe des observations très anciennes sur la variation quotidienne des fonctions physiologiques et physiopathologiques, des rapports plus détaillés n'ont été publiés qu'au début du XVIIe siècle[6]. Jürgen Aschoff (1913-1998), considéré comme l'un des fondateurs de la chronobiologie, a mené des recherches sur le rythme biologique en étudiant notamment le cycle journalier de la température corporelle. Arthur Jores (1901-1982), médecin et professeur à l'Université de Hambourg, apporta d'importantes contributions au domaine des rythmes de la fonction rénale, de la perception de la douleur et de nombreux autres domaines de la chronobiologie médicale[6]. Gunther Hildebrandt (1924-1999), professeur à l'Université de Giessen, introduit la chronobiologie dans la médecine par de nombreuses recherches scientifiques telles que la balnéologie, la perception de la douleur et la fonction pulmonaire et cardiaque [6].

Quelques années plus tard, Mauricio Garcia-Sainz et Franz Halberg ont identifié une rythmicité mitotique de 24 heures dans des échantillons de biopsie de cancer du sein humain par des analyses informatiques, mais pas dans les cancers squameux et basocellulaire obtenus avant ou après radiothérapie[7]. Cette découverte a permis d’introduire la chronopathologie comme nouvelle discipline scientifique et a ouvert la possibilité conceptuelle pour le développement de chronothérapie. La pratique chronobiologique améliore la capacité de nos organes à assumer les substances biologiques vitales. Cette nouvelle discipline a permis de développer plusieurs branches sous-jacentes à la chronobiologie médicale telle que la chronopharmacologie, la chronotoxicité et la chronothérapie.

Lien avec les autres branches de la chronobiologie[modifier | modifier le code]

L’horloge circadienne permet de contrôler l’expression de plusieurs de nos gènes. Cette rythmicité résulte en une temporalité de l’organisme, défini comme étant la chronophysiologie. L’étude de la chronophysiologie permet d’identifier des fonctions métaboliques, neurologiques ou endocriniennes qui varient selon l’heure de la journée, entraînant une rythmicité fonctionnelle selon les besoins de l'organisme. La chronopharmacologie est une application de la chronobiologie qui étudie les effets des médicaments sur les cellules cibles qui dépendent d’un rythme circadien en étudiant les modifications des rythmes biologiques. Cette discipline permet d’introduire la chronotoxicité, défini comme étant la variation de la toxicité d’une substance selon son heure d’administration ainsi que la chronotolérence, c’est-à-dire l’horaire d'administration d’un médicament étant le plus favorable à l’organisme[1]. La chronothérapie englobe toutes ces disciplines et prend en compte les données chronobiologiques, chronopathologiques ainsi que des résultats chronotoxicologiques et chronoparmacocinétiques afin d'améliorer et d'optimiser l'efficacité thérapeutique ainsi que de diminuer les effets indésirables sur l’organisme. Établir la chronotoxicité des médicaments et les relier à la chronotolérance permet un traitement beaucoup plus efficace et sécuritaire [1]. Ainsi, la chronothérapie permet de restaurer les rythmes biologiques perturbés d’un individu dont l’organisation temporelle a été causée par une chronopathologie. La chronothérapie tient compte de deux systèmes qui cohabitent: l'homéostasie et le système circadien.»[1].

Marqueurs de chronopathologie[modifier | modifier le code]

Des études ont cherché à identifier des marqueurs SNP (single nucleotid polymorphism) candidats de chronopathologies humaines. 53 candidats ont été identifiés[8]. Ces marqueurs candidats pourraient modifier l’affinité de la protéine de liaison TATA aux promoteurs des gènes, soit en l’amplifiant soit, en la réduisant. Par exemple, les études ont identifié un marqueur candidat rs568650510 qui semblerait augmenter les risques de développer de l’asthme[9]. Or l’asthme est une pathologie dont les symptômes semblent s’aggraver particulièrement la nuit [10].  Ainsi, l’identification de ce marqueur chez les patients par les médecins pourrait permettre d’adapter les prises de médicaments afin d’éviter l’amplification des symptômes la nuit. Ainsi, l’étude de ces marqueurs candidats pourrait améliorer la capacité de traitement par les médecins, et pourrait aussi permettre aux patients d’adopter un certain mode de vie afin d’éviter toute complication circadienne [9].

Exemples de pathologies[modifier | modifier le code]

Dépression[modifier | modifier le code]

Plusieurs troubles dépressifs peuvent être associés aux différents cycles de l’horloge biologique des individus. En effet, dans le trouble dépressif majeur (TDM), les rythmes quotidiens de l’activité locomotrice, la température corporelle, la noradrénaline, la thyréostimuline et la mélatonine présentent une amplitude plus faible. L’amplitude du cortisol est, à l’inverse, augmentée. Dans le trouble affectif saisonnier (TAS), des épisodes dépressifs surviennent à l’automne et/ou à l’hiver durant lesquels on peut observer une perturbation des cycles circadiens repos-activité [11].

Plusieurs facteurs internes et externes contribuent à la dépression. La perturbation des rythmes circadiens constitue un facteur de risque ; lorsque des signaux environnementaux modifient significativement l’horloge circadienne, des épisodes dépressifs ou des modifications de l’humeur peuvent survenir. Ces signaux peuvent être très variés : exposition à la lumière la nuit, les voyages transméridiens (décalage horaire), le travail de nuit, etc[11]. Au niveau du TAS, un des facteurs environnementaux principaux qui peut être en cause est la diminution de l’exposition au soleil en automne et en hiver. En effet, ce trouble est considéré comme un dysfonctionnement pinéal se traduisant par une réaction inadaptée à la baisse de luminosité survenant lors de la période hivernale, conduisant à des taux diurnes en mélatonine trop élevés. Un déphasage, une hypersomnie et un état dépressif chronique en résultent. La photothérapie rétablit l’équilibre endocrinien en inhibant cette sécrétion inappropriée en mélatonine, ce qui contribue à améliorer l’humeur [11].

Dépendance à l’alcool[modifier | modifier le code]

Certains rythmes biologiques sont perturbés par la prise d’alcool ; le plus important est le sommeil. En effet, l’alcool peut causer des problèmes de sommeil, tels que l'insomnie, l’apnée, l’augmentation de réveils nocturnes et une diminution des phases de sommeil profond [12]. Ces phénomènes sont encore plus accentués dans les périodes de sevrage d’alcool [13].

Pour ce qui est du problème de l’alcoolisme, une perturbation plus importante et difficile à renverser de certains rythmes circadiens est observée. En effet, la chronocinétique de l’absorption et de l’oxydation de l’alcool démontre que la métabolisation de l’alcool est plus rapide le matin et l’après-midi que pendant la soirée chez les individus non alcooliques, alors que chez les alcooliques c’est l’inverse[14]. Des études chez des patients dépendants à l’alcool montrent que les rechutes ne suivent pas des apparitions linéaires, au contraire elles apparaissent souvent à la même étape du sevrage, indépendamment des conditions extérieures. Une survenue cyclique (circadienne ou ultradienne) de l’envie d’alcool semble pouvoir nous permettre de diagnostiquer de l’alcoolodépendance (à ne pas lier à des pathologies liées à l’alcool qui ne sont pas liées à une appétence particulière pour l’alcool) [15].

Références[modifier | modifier le code]

  1. a b c et d Guillemine Dubois, « De la chronobiologie médicale à la chronothérapeutique », Actualités Pharmaceutiques, vol. 59, no 597, Supplement,‎ , p. 12–15 (ISSN 0515-3700, DOI 10.1016/S0515-3700(20)30285-8, lire en ligne, consulté le )
  2. (en-US) « Chronobiology: The Science of Time », sur Chronobiology.com (consulté le )
  3. Helen McKenna, Gijsbertus T. J. van der Horst, Irwin Reiss et Daniel Martin, « Clinical chronobiology: a timely consideration in critical care medicine », Critical Care (London, England), vol. 22, no 1,‎ , p. 124 (ISSN 1466-609X, PMID 29747699, PMCID 5946479, DOI 10.1186/s13054-018-2041-x, lire en ligne, consulté le )
  4. (en) Katja A. Lamia, « Ticking time bombs: connections between circadian clocks and cancer », F1000Research (prépublication), no 6:1910,‎ (lire en ligne, consulté le )
  5. (en) Serge Daan, « A History of Chronobiological Concepts », dans The Circadian Clock, Springer, coll. « Protein Reviews », (ISBN 978-1-4419-1262-6, DOI 10.1007/978-1-4419-1262-6_1, lire en ligne), p. 1–35
  6. a b et c Björn Lemmer, « Discoveries of Rhythms in Human Biological Functions: A Historical Review », Chronobiology International, vol. 26, no 6,‎ , p. 1019–1068 (ISSN 0742-0528, DOI 10.3109/07420520903237984, lire en ligne, consulté le )
  7. M. Garcia-Sainz et F. Halberg, « Mitotic rhythms in human cancer, reevaluated by electronic computer programs. Evidence for chronopathology », Journal of the National Cancer Institute, vol. 37, no 3,‎ , p. 279–292 (ISSN 0027-8874, PMID 5923902, DOI 10.1093/jnci/37.3.279, lire en ligne, consulté le )
  8. (en) Guglielmo M Trovato, « Sustainable medical research by effective and comprehensive medical skills: overcoming the frontiers by predictive, preventive and personalized medicine », EPMA Journal, vol. 5, no 1,‎ , p. 14 (ISSN 1878-5077 et 1878-5085, PMID 25250099, PMCID PMC4171719, DOI 10.1186/1878-5085-5-14, lire en ligne, consulté le )
  9. a et b (en) Mikhail Ponomarenko, Dmitry Rasskazov, Olga Arkova et Petr Ponomarenko, « How to Use SNP_TATA_Comparator to Find a Significant Change in Gene Expression Caused by the Regulatory SNP of This Gene’s Promoter via a Change in Affinity of the TATA-Binding Protein for This Promoter », BioMed Research International, vol. 2015,‎ , p. 1–17 (ISSN 2314-6133 et 2314-6141, PMID 26516624, PMCID PMC4609514, DOI 10.1155/2015/359835, lire en ligne, consulté le )
  10. (en) Hannah J Durrington, Stuart N Farrow, Andrew S Loudon et David W Ray, « The circadian clock and asthma », Thorax, vol. 69, no 1,‎ , p. 90–92 (ISSN 0040-6376 et 1468-3296, DOI 10.1136/thoraxjnl-2013-203482, lire en ligne, consulté le )
  11. a b et c (en) Jorge Mendoza, « Circadian insights into the biology of depression: Symptoms, treatments and animal models », Behavioural Brain Research, vol. 376,‎ , p. 112186 (DOI 10.1016/j.bbr.2019.112186, lire en ligne, consulté le )
  12. G Lac, « Dosages salivaires en clinique et en recherche biologique », Pathologie Biologie, vol. 49, no 8,‎ , p. 660–667 (ISSN 0369-8114, DOI 10.1016/s0369-8114(01)00228-0, lire en ligne, consulté le )
  13. T Danel et Y Touitou, « Alcool, chronobiologie et sommeil », Pathologie Biologie, vol. 49, no 9,‎ , p. 726–731 (DOI 10.1016/S0369-8114(01)00231-0, lire en ligne, consulté le )
  14. M. Yap, D. J. Mascord, G. A. Starmer et J. B. Whitfield, « Studies on the chronopharmacology of ethanol », Alcohol and Alcoholism (Oxford, Oxfordshire), vol. 28, no 1,‎ , p. 17–24 (ISSN 0735-0414, PMID 8471083, lire en ligne, consulté le )
  15. RB SMITH, ROWINSKI G et GERSTEIN KK, « EVIDENCE OF CHRONOPATHOLOGY IN ALCOHOLISM », EVIDENCE OF CHRONOPATHOLOGY IN ALCOHOLISM,‎ (lire en ligne, consulté le )