Libertas Schulze-Boysen

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Libertas Schulze-Boysen
Biographie
Naissance
Décès
Nom dans la langue maternelle
Libertas Schulze BoysenVoir et modifier les données sur Wikidata
Nom de naissance
Libertas Viktoria Haas-HeyeVoir et modifier les données sur Wikidata
Nationalité
Activités
Résistante, journaliste, scénariste de films d’animation, écrivaineVoir et modifier les données sur Wikidata
Père
Otto Haas-Heye (en)Voir et modifier les données sur Wikidata
Fratrie
Johannes Haas-Heye (d)Voir et modifier les données sur Wikidata
Conjoint
Autres informations
A travaillé pour
Deutsche Zeichentrickfilme G.m.b.H (en) (-)
Metro-Goldwyn-Mayer (-)Voir et modifier les données sur Wikidata
Parti politique
Membre de
Condamnation
Lieu de détention
Plaque commémorative

Libertas Schulze-Boysen, née Libertas Haas-Heye à Paris le et morte le à Berlin, est une journaliste allemande, membre de la résistance allemande au nazisme au sein du réseau Orchestre rouge. Elle est exécutée par les nazis à la prison de Plötzensee.

Biographie[modifier | modifier le code]

Jeunesse et formation[modifier | modifier le code]

Libertas Haas-Heye nait le à Paris. Elle est la plus jeune des trois enfants du créateur de mode Otto Ludwig Haas-Heye (en) (1879-1959) et de Viktoria Ada Astrid Agnes Comtesse zu Eulenburg (1886-1967). La famille vit à Londres et à Paris, les parents divorcent en 1913[1].

Libertas Haas-Heye passe son enfance près de Berlin, dans le domaine d'Eulenburg, au château de Liebenberg, avec son grand-père, le diplomate Philipp zu Eulenburg[1].

À partir de 1922, elle fréquente une école à Berlin et vit avec son père qui dirige le Département « Mode » du Musée des arts décoratifs de Berlin. De 1926 à 1932, elle fréquente le lycée pour filles de Zurich où elle obtient le baccalauréat (Abitur).

Après un séjour au Royaume-Uni, elle est engagée au printemps 1933 comme attachée de presse par les bureaux berlinois de la société cinématographique Metro-Goldwyn-Mayer qui vient de licencier tout son personnel de confession juive[2]. À partir de 1935, elle travaille comme journaliste indépendante, notamment pour la National Zeitung de Essen. Plus tard, elle est employée dans une organisation cinématographique liée au ministère de l’Éducation du peuple et de la propagande de Joseph Goebbels, la Kulturfilmzentrale[3].

Depuis plusieurs années, Libertas Haas-Heye écrit des critiques de films complaisantes pour l'idéologie national-socialiste. En , elle adhère au Parti national-socialiste des travailleurs allemands (NSDAP) et, en 1935, elle s'implique dans le « Reichsarbeitsdienst der weiblichen Jugend » (RADwJ, Service national du travail de la jeunesse féminine) à Glindow, près de Potsdam[4],[5].

Résistance[modifier | modifier le code]

En 1934, elle rencontre Harro Schulze-Boysen qu'elle épouse le dans la chapelle du château de Liebenberg[1],[6]. Il est l'éditeur d'un journal de la gauche libérale Der Gegner (L'opposant). En il est arrêté avec son ami Henry Erlanger ; ce dernier est assassiné devant ses yeux. Il est torturé, mais libéré grâce à l'influence de sa mère. Il garde des séquelles des mauvais traitements subis, mais reprend secrètement son activité d'opposant politique, tout en entrant au service de Hermann Göring au Ministère de l'armée où il a accès à des informations confidentielles sur la Luftwaffe qu'il diffuse[7].

Le couple Schulze-Boysen fréquente un cercle de jeunes intellectuels et ouvriers parmi lesquels les artistes Kurt et Elisabeth Schumacher, la danseuse Oda Schottmüller, les écrivains Günther Weisenborn, Walter Küchenmeister (en), Greta Kuckhoff et Adam Kuckhoff, les journalistes John Graudenz, Walter Husemann (de) et Gisela von Poellnitz (en), les médecins John Rittmeister et Elfriede Paul[1],[8].

Libertas Schulze-Boysen adopte peu à peu les positions politiques de son mari et rejoint le mouvement d'opposition au régime nazi. En 1937, elle quitte le NSDAP en prétextant un manque de temps depuis son mariage[1]. Sous couvert de critiques de films, elle profite de son travail au ministère du Reich à l'Éducation du peuple et à la propagande pour amasser des informations sur les crimes de guerre nazis[1].

En , elle participe à la distribution du premier pamphlet illégal sur les accords de Munich. On commence à la soupçonner d'espionnage. Lors de vacances en Prusse orientale en , elle est arrêtée puis relâchée au bout de quelques jours, faute de preuves[5].

Elle rédige des articles pour le journal clandestin Die Innere Front, prépare des brochures et des dépliants à distribuer. Le journal est distribué dans de nombreuses villes d'Allemagne avec l'aide de plusieurs centaines d'anti-nazis[3].

En 1939, Harro Schulze-Boysen prend contact avec Arvid Harnack et son groupe, ainsi qu'avec les communistes Hilde et Hans Coppi. De ces réunions émerge un réseau de résistance berlinois, que la Gestapo va appeler l'Orchestre rouge (Rote Kapelle) et auquel appartiennent plus d'une centaine d'opposants de différents horizons sociaux et idéologiques. Plus d'un tiers sont des femmes. Ils considèrent l'Union soviétique comme un allié pour vaincre le régime nazi et font passer aux Soviétiques de nombreuses informations prises au sein des administrations du Troisième Reich. Au printemps 1941, ils informent l'ambassade soviétique des préparatifs de guerre allemands mais Staline ignore tous les avertissements[5],[9].

Le , alors que les troupes allemandes sont aux portes de Moscou, Libertas Schulze-Boysen est contactée par Anatoli Gourevitch, un officier des services secrets soviétiques arrivé à Berlin depuis Bruxelles pour rétablir le lien entre l'URSS et les militants allemands anti-fascistes.

Libertas Schulze-Boysen travaille à la Kulturfilmzentrale à partir de . Elle y a accès à nombreuses photos prises sur le front de l'Est et dans l'arrière-pays, ainsi qu'à des enregistrements d'atrocités contre la population russe. Libertas Schulze-Boysen et Alexander Spoerl (de) commencent à documenter ces crimes commis par les SS Einsatzgruppen, les bataillons de police et la Wehrmacht. Ce matériel sert de base à un fascicule dans lequel Adam Kuckhoff et John Sieg décrivent les crimes contre les civils et appellent les soldats allemands à déserter et rejoindre les partisans russes[7],[5],[6].

En , le service de décryptage du Haut commandement de l'armée allemande réussit à décoder un ancien message contenant les adresses d'Adam Kuckhoff et de Harro Schulze-Boysen[5],[10].

Harro Schulze-Boysen est arrêté le dans son bureau au Ministère de l'aviation.

Lorsque Libertas Schulze-Boysen est prévenue, elle essaie de détruire, avec Alexander Spoerl, la collection de photos sur les crimes commis par les SS et la Wehrmacht. Elle informe leurs amis de l'arrestation et s'enfuit elle-même après avoir entrepris d'écrire de fausses lettres comme preuves de loyauté envers les nazis et après avoir expédié une valise contenant les papiers de Harro Schulze-Boysen à Günther Weisenborn pour qu'il les cache. Le , elle est arrêtée dans le train. Elle est emmenée dans les cellules du sous-sol du Bureau principal de la sécurité du Reich au nº 8 de la rue du Prince-Albert où se trouve la Gestapo[7],[10]. Elle est emprisonnée. Elle se confie à Gertrud Breiter, une agente double qui travaille pour la Gestapo qui feint d'être en révolte contre l'administration. Elle lui remet même des lettres, ce qui lui vaudra d'être suspectée par son camp d'avoir provoqué l'arrestation de plusieurs de ses compagnons, mais plusieurs rapports après la guerre l'en dédouanent : ni elle, ni d'autres accusés, n'ont fait de révélations qui n'étaient pas déjà connues de la Gestapo[7],[5].

Procès et exécution[modifier | modifier le code]

Libertas Schulze-Boysen est accusée de préparation d'un acte de haute trahison, d'aide à l'ennemi et d'espionnage. Le premier procès devant la Cour martiale du Reich réunit les couples Harnack, Schulze-Boysen et Schumacher, ainsi que cinq autres accusés. Il se termine le . Dix condamnations à mort sont prononcées, dont quatre avec exécution immédiate. La peine de mort pour Mildred Harnack et Erika von Brockdorff est prononcée mi-. Environ 139 personnes liées à l'Orchestre rouge sont arrêtées. En , plus de 90 personnes sont inculpées, dont 50 sont condamnées à mort, dont 20 femmes[5],[7].

Libertas Schulze-Boysen est condamnée à mort le et guillotinée trois jours plus tard, le , à la prison de Plötzensee, son mari est pendu le même jour[11],[12].

Post-mortem[modifier | modifier le code]

Libertas Schulze-Boysen a demandé que son corps soit remis à sa mère pour qu'elle puisse l'enterrer — si possible — « dans un endroit magnifique au milieu d'une nature ensoleillée ». Sa dernière volonté ne sera pas exécutée. À peine quinze minutes après sa mort, le corps de Libertas Schulze-Boysen se trouve sur la table de dissection du médecin anatomiste Hermann Stieve de l'université de Berlin qui étudie les effets du stress sur l'ovulation chez les jeunes femmes. L'assistante d'Hermann Stieve, Charlotte Pommer, reconnaît ce jour-là plusieurs des personnes envoyées à l'autopsie, parmi lesquelles Libertas Schulze-Boysen et décide de donner sa démission[9],[13].

Entre 1933 et 1945, au moins 174 prisonnières exécutées se sont retrouvées dans les salles de dissection d'Hermann Stieve, comme le révèlent les recherches de l'anatomiste Sabine Hildebrandt de l'hôpital pour enfants de Boston[14]. Au moins dix instituts d'anatomie du Reich ont utilisé les cadavres de 3 228 prisonniers exécutés. Ces médecins admettent, après la guerre, s'être abstenus de poser des questions sur l'origine des corps. « Personne ne s'en souciait, et pourquoi devrions-nous nous en soucier ? »[9],[15] En 2016, 300 pièces de tissu humain sont retrouvées dans le laboratoire d'Herman Stieve. Après un long processus d'identification, ils sont inhumés le dans le cimetière de Dorotheenstadt, à Berlin par l’hôpital de la Charité et le Mémorial de la résistance allemande[13].

Distinctions[modifier | modifier le code]

Stopersteine en hommage à Libertas et Harro Schulze-Boysen.
  • En 1972, une rue du quartier berlinois de Lichtenberg est baptisée en l'honneur du couple Schulze-Boysen[16].
  • L'écrivain allemand Alexander Spoerl (de) dédie son roman Memoiren eines mittelmässigen Schülers (Mémoires d’un élève moyen, 1950) à Libertas Schulze-Boysen.
  • La chapelle Libertas dans le château de Liebenberg où Libertas et Harro Schulze-Boysen se sont mariés lui est dédiée. Depuis 2004, une exposition spéciale du Mémorial de la résistance allemande sur la vie de Libertas Schulze-Boysen et la résistance au sein de l'Orchestre rouge contre le national-socialisme y est présentée, documentée par des photographies et de nombreux écrits.
  • Une plaque commémorative est apposée au nº 19 de l'allée Altenburger à Berlin-Westend où vivait le couple[17].
  • Une école à Löwenberg porte le nom de Libertasschule.
  • En 2011, la fondation DKB lui rend hommage à l'occasion de la Journée internationale des droits des femmes[18]
  • En 2017, deux Stolpersteine sont apposées devant l'entrée du château de Liebenberg, une pour Libertas Schulze-Boysen, l'autre pour Harro Schulze-Boysen[19].

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Noman Ohler, Olivier Mannoni (trad.), Les infiltrés, Paris, Payot, 2020
  • (de)Rolf Aurich, Wolfgang Jacobsen (ed.), Libertas Schulze-Boysen: Filmpublizistin, Edition Text + Kritik, 2008, 170 pages
  • (de) Elsa Boysen: Harro Schulze-Boysen. Das Bild eines Freiheitskämpfers, Fölbach, Koblenz 1992 d'après l'édition originale de 1947 (ISBN 3-923532-17-2)
  • (en) Bernard A. Cook, Women and War. ABC Clio, 2006, Lire en ligne
  • (de)Silke Kettelhake, "Erzähl allen, allen von mir!": Das schöne kurze Leben der Libertas, Droemer, 2008 (ISBN 978-3426274378)
  • (de) Harro Schulze-Boysen, Dieser Tod passt zu mir: Harro Schulze-Boysen, Grenzgänger im Widerstand : Briefe 1915 bis 1942, Aufbau Verlag, 1999 (ISBN 978-3351024932)
  • (de) Frank Wecker, Der Tod der Freiheit: Der letzte Tag im Leben von Libertas Schulze-Boysen, Winterwork, 2018 (ISBN 978-3960144359)

Références[modifier | modifier le code]

  1. a b c d e et f (de) Rainer Blasius, « Libertas Schulze-Boysen: Ein Weihnachtsengel vor der Hinrichtung », Frankfurter Allgemeine Zeitung,‎ (ISSN 0174-4909, lire en ligne, consulté le )
  2. (en) Norman Ohler, Tim Mohr, Marshall Yarbrough, The Bohemians : the lovers who led Germany's resistance against the Nazis, Boston, Houghton Mifflin Harcourt, (ISBN 9781328566232)
  3. a et b « Schulze-Boysen, Libertas (1913–1942) | Encyclopedia.com », sur www.encyclopedia.com (consulté le )
  4. (de) Silke Kettelhake, Erzähl allen, allen von mir! Das schöne kurze Leben der Libertas Schulze-Boysen, Droemer, , 432 p. (ISBN 978-3-426-27437-8)
  5. a b c d e f et g (de) Hans Coppi, Johannes Tuchel, Libertas Schulze-Boysen und die Rote Kapelle, Berlin, Gedenkstätte Deutscher Widerstand Berlinauf Schloss & Gut Liebenberg, (ISBN 978-3-926082-55-8, lire en ligne)
  6. a et b Hans Coppi: Nachdenken über Libertas Schulze-Boysen. Gedenkfeier zum 100. Geburtstag von Libertas Schulze-Boysen am 17. November 2013 in Liebenberg. Lire en ligne (pdf)
  7. a b c d et e (en) Shareen Blair Brysac, Resisting Hitler: Mildred Harnack and the Red Orchestra, Oxford University Press, (ISBN 978-0-19-992388-5, lire en ligne)
  8. (en) Corina L. Petrescu, Against All Odds: Models of Subversive Spaces in National Socialist Germany, Peter Lang, (ISBN 978-3-03911-845-8, lire en ligne)
  9. a b et c (en) Heather Pringle, « The Last Word On Nothing | The Sad Fate of Libertas Schultze-Boysen », sur www.lastwordonnothing.com (consulté le )
  10. a et b (en) Anne Anne Nelson, Red Orchestra : the story of the Berlin underground and the circle of friends who resisted Hitler, New York, Random House, (ISBN 978-1-4000-6000-9, lire en ligne)
  11. « The Red Orchestra », sur www.gedenkstaette-ploetzensee.de (consulté le )
  12. (de) « Document officiel . Décision de Hitler concernant les exécutions », sur web.archive.org, (consulté le )
  13. a et b Johanna Luyssen, « Nazisme : en Allemagne, les fantômes du docteur Stieve », sur Libération, (consulté le )
  14. (en) Sabine Hildebrandt, « The women on stieve's list: Victims of national socialism whose bodies were used for anatomical research », Clinical Anatomy, vol. 26, no 1,‎ , p. 3–21 (ISSN 1098-2353, DOI 10.1002/ca.22195, lire en ligne, consulté le )
  15. Emily Bazelon, « Les anatomistes du Troisième Reich: les cadavres des victimes de Hitler hantent encore la science moderne », sur Slate.fr, (consulté le )
  16. (de) kaupert media gmbh, « Berlinlexikon, Straßenlexikon und Berliner Geschichte - Luisenstädtischer Bildungsverein », sur www.berlingeschichte.de (consulté le )
  17. (en) « Plaquette Libertas en Harro Schulze-Boysen - Berlin-Westend - TracesOfWar.nl », sur www.tracesofwar.nl (consulté le )
  18. « Starke Charaktere zum Internationalen Frauentag : Libertas Schulze-Boysen », sur Stiftung DKB,
  19. (de) « Stolpersteine in Liebenberg – DKB STIFTUNG » (consulté le )

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]