Loi sur les mancommunautés provinciales

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La loi sur les mancommunautés provinciales, formellement décret royal du 18 décembre 1913 sur la décentralisation administrative et les mancommunautés provinciales (en espagnol Real Decreto de 18 de diciembre de 1913 sobre descentralización administrativa y mancomunidades provinciales[1]) est un texte législatif ouvrant la possibilité d'association à des fins administratives des députations provinciales espagnoles[2], sans attributions proprement politiques[3].

Ayant un précédent dans un projet de loi de 1907, la nouvelle proposition est impulsée en 1912 par le président du gouvernement José Canalejas, prenant compte des revendications régionalistes, notamment celles des secteurs catalanistes. L'assassinat du président paralyse son approbation au Sénat. Il faudra attendre 1913 pour que le nouveau président Eduardo Dato le promulgue finalement par décret royal[3],[4]. Bien qu'il s'agisse d'une loi ayant un caractère général, la seule mancommunauté provinciale créée fut la mancommunauté de Catalogne, le 6 avril 1914, bien qu'il y eût plusieurs initiatives dans d'autres régions, comme la Mancommunauté castillane ou la Mancommunauté valencienne. La seule entité créée en vertu de cette loi fut en fin de compte la mancommunauté de Catalogne, en 1914.

Contexte[modifier | modifier le code]

Refrán en acción (« Proverbe en action »), dessin satirique de Joaquín Moya, publié dans Gedeón le 22 avril 1904, représentant Antonio Maura nourrissant un bébé qui représente la Catalogne et tenant un biberon portant l'inscription Catalanismo (« Catalanisme ») ; en dessous figure le proverbe «El que no llora, no mama» (« Celui qui ne pleure pas, ne tête pas »).

Le centralisme qui prévalait durant la Restauration se trouva affaibli par les crises progressives survenues à partir de la fin du XIXe siècle, les communes et provinces agissant comme forces centrifuges, surtout dans la première moitié du XXe siècle[5]. L'idée d'une association des ressources provinciales à des fins spécifiques était déjà présente dans les dernières décennies du XIXe siècle, défendue par la bourgeoisie catalane, sous l'influence des Bases de Manresa, en confluence avec les forces politiques catalanistes prédominantes, notamment la Lliga Regionalista[6]. Les modérés comme Francesc Cambó et Díaz-Aguado revendiquaient la création d'organes régionaux dotés de pouvoirs de discussion sur les travaux publics, l'éducation, l'enseignement et les services sociaux, tandis que ceux plus à gauche aspiraient à une autonomie politique[7].

Les forces politiques catalanes intervinrent dans le projet de loi sur les mancommunautés d'Antonio Maura de 1907, débattue à la seconde assemblée des Conseils provinciaux, tenue à Séville. À l'issue de cette proposition, un débat eut lieu aux Cortès[6]. Les forces conservatrices étaient réticentes à l'égard de la proposition ; lors du débat devant, ils se prononcèrent défavorablement car ils estimaient que les régions ou une nouvelle division régionale ne pouvaient pas être imposées, car ils défendaient les provinces comme une réalité et que les sentiments régionalistes n’étaient prégnants que dans certaines régions spécifiques. D'autre part, Maura et d'autres pensaient qu'il s'agissait là d'une revendication uniquement portée par une petite élite militante, et sans demande populaire, c'est pourquoi le projet de loi présenté, modéré, était jugé satisfaisant, même si les régionalistes, à travers Solidaritat Catalana, répondirent que la seule façon de connaître la volonté du peuple était d'avoir recours à un plébiscite[8]. Quoi qu'il en soit, le projet fut approuvé par le Congrès des députés, mais fut bloqué au Sénat[6], en raison de la situation politique et sociale difficile suite aux événements de la Semaine Tragique de Barcelone en 1909[8], qui causa la chute du gouvernement Maura et la paralysie de la loi[9].

Présentation et débat[modifier | modifier le code]

José Canalejas proposa la loi, qui fut approuvée par le Congrès, mais après son assassinat en 1912, le nouveau président, Romanones, ne réussit pas à obtenir l'approbation du Sénat.

En 1911, le Parti libéral, dirigé par José Canalejas, occupa le gouvernement espagnol. En Catalogne, la Ligue régionaliste contrôlait alors la Députation provinciale de Barcelone, présidée par Enric Prat de la Riba, et se mobilisa pour constituer un organe supraprovincial[8]. En 1911, une commission formée par les quatre présidents des députations provinciales catalanes élaborèrent les dénommées « Bases de la Mancommunauté Catalane », qui prévoyaient le transfert des services des députations à la mancommunauté, et la délégation de diverses compétences de l'administration centrale[9],[10]. Les revendications des régionalistes, Francesc Cambó en tête[11], furent présentées au président du gouvernement qui, se faisant l'écho de la loi précédemment présentée par Maura, présenta le 25 mai 1912 au Congrès un court projet de loi réglementant en termes généraux la constitution et l'organisation des mancommunautés provinciales ainsi que leurs pouvoirs et ressources économiques[9],[10].

Le projet de loi établissait d'emblée et explicitement, dans son premier article, que « Les provinces représentées par leurs députations pourront constituer une mancommunauté à des fins exclusivement administratives[12] », puis établissait ses pouvoirs, correspondant aux facultés et services des députations, et finalement les compétences en matière de travaux publics, d'instruction ou de bienfaisance que le gouvernement central était prêt à déléguer. De cette manière, le projet dilua considérablement les revendications initialement approuvées par les députations provinciales[10].

Les députés catalans décidèrent malgré tout de soutenir l'initiative et défendirent le projet, à l'exception des lerrouxistes du Parti radical. Néanmoins ces derniers présentèrent des amendements qui, s'il avaient été approuvés, aurait accru le pouvoir et l'autonomie des mancommunautés par rapport au gouvernement central. Le seul à s'opposer à l'ensemble du projet fut le carliste Juan Vázquez de Mella, qui qualifiait la loi de timide et de fragmentaire[10]. Pour sa part, le Parti conservateur s'abstint de participer au débat[13]. L'opposition provenait davantage des dissidents du Parti libéral, principalement Moret et Alcalá-Zamora[11], qui argumentaient notamment que le la loi affaiblissait dangereusement l’État et menaçait l’unité de la nation, qu'elle signifiait céder à une revendication catalaniste parmi tant d’autres, ce qui était susceptible d'avoir un effet domino sur d’autres régions du pays, conduisant au fédéralisme et à la désintégration ; ils soutenaient que la réforme du système administratif devait commencer au niveau le plus bas, celui des municipalités[13].

Malgré les divergences autour du texte parmi les députés, la volonté de Canelejas de satisfaire les revendications catalanes fit que la loi fut finalement approuvée par le Congrès des députés le 17 octobre 1912, avec l'abstention des conservateurs et des lerrouxistes, et le vote contre des partisans de Moret et ceux d'Alcalá-Zamora[11]. Cependant, avant qu'elle pût être débattue au Sénat, le président Canalejas, principal défenseur de la loi, mourut assassiné dans un attentat. Le nouveau président, le comte de Romanones, tenta de le faire approuver par la chambre haute, mais il échoua dans les débats et le premier article de la loi fut rejeté[9]. En juin 1913 le débat reprit au Sénat, mais la démission de Romanones laissa un vide de pouvoir et les Cortès furent dissoutes. Un plébiscite fut alors organisé dans les ayuntamientos de Catalogne, au cours duquel 95,7% soutinrent le projet de loi, ainsi que plusieurs actes de revendication en faveur de la loi sur les mancommunautés[14].

Approbation et effets[modifier | modifier le code]

La loi fut finalement approuvée par décret royal sous l'impulsion du nouveau président du gouvernement, Eduardo Dato, ici sur une photographie de 1907 du photographe Kaulak.

Après l'échec du Sénat, ce sera finalenent le nouveau président du gouvernement Eduardo Dato, qui avait préalablement reçu le résultat des votes municipaux communiqué par Prat de la Riba[14], qui concrétisa le projet, en le faisant approuver par un décret royal du 18 décembre 1913, dont le texte fut ensuite ratifié par le ministre de l'Intérieur José Sánchez Guerra. Sous la pression de la Lliga, Dato promulga la loi en vue de la tenue de nouvelles élections générales, où les électeurs catalans étaient susceptibles d'exprimer leur mécontentement[9],[13]. La voie du décret-loi fut suggérée à Sánchez Guerra par les députés Cambó, Abadal et Duran, comme un moyen d'éviter de possibles émeutes populaires[14]. Avec ce décret, le gouvernement espagnol autorisait les provinces à s'unir et ainsi elles furent intégrées dans une Assemblée générale des provinces unies (Junta General de las Provincias mancomunadas en espagnol), et un conseil permanent desdites provinces avec un président à sa tête[5].

La seule entité de ce type finalement constituée fut la mancommunauté de Catalogne, obtenue par les représentants de la Lliga Regionalista, approuvée par décret royal le 26 mars 1914 et finalement créé le 6 avril suivant, son premier président étant Enric Prat de la Riba, qui ne dépassa pas la sphère administrative[5],[15]. Dans d'autres régions d'Espagne, l'idée fut également bien accueillie : en janvier 1914, la Députation provinciale de Madrid demanda aux autres provinces castillanes de participer à un débat pour constituer une Mancommunauté castillane. Elles consultèrent Prat de la Riba au sujet de comment agir et reçurent le soutien d’ABC, le journal catholique et monarchique de la capitale, qui n'avait jamais été favorable aux demandes catalanes. Un autre projet de mancommunauté fut celle de la zone de l'Èbre, lancé par la Députation provinciale de Logroño et accepté par celle de Saragosse, qui le transmit aux autres parties intéressées. Une initiative similaire fut le projet de Mancommunauté valencienne lancé en 1919 (ainsi qu'un « avant-projet de statut de Mancommunauté valencienne », en 1924)[16],[17]. Cependant, aucune de ces initiatives n’a jamais été mise en œuvre[18].

Changement juridique sous la dictature de Primo de Rivera[modifier | modifier le code]

Pendant la dictature de Primo de Rivera, une réforme de l'organisation municipale et provinciale fut promue à travers deux statuts, selon l'argument suivant lequel l'existence des régions reposait sur l'association des municipalités et non des députations provinciales ; ainsi, c'est aux municipalités intéressées qu'incomberait de mener à bien l'initiative de mise en commun des ressources et des services et, quoi qu'il en soit, la région aurait un caractère purement administratif et serait contrôlée par le gouvernement central. Cela supposa un changement de légalité impliquant la suppression de la mancommunauté de Catalogne[19].

Références[modifier | modifier le code]

(es)/(ca) Cet article est partiellement ou en totalité issu de la page de Wikipédia en espagnol intitulée « Ley de mancomunidades provinciales » (voir la liste des auteurs) et de la page de Wikipédia en catalan intitulée « Llei de mancomunitats provincials » (voir la liste des auteurs).

  1. (es) España. Ministerio de la Gobernación, « Real Decreto sobre Mancomunidades provinciales, de 18 de diciembre de 1913 », sur Biblioteca Virtual Miguel de Cervantes, (consulté le )
  2. Muñoz Muñoz 2013, p. 80.
  3. a et b Polo Martín 2014, p. 323-324.
  4. Álvarez Domínguez 2007, p. 227.
  5. a b et c García Rubio 2007, p. 119.
  6. a b et c Martín-Retortillo, Cosculluela et Orduña 1978, p. 281.
  7. López-Aranguren 1983, p. 81.
  8. a b et c López-Aranguren 1983, p. 82.
  9. a b c d et e Martín-Retortillo, Cosculluela et Orduña 1978, p. 282.
  10. a b c et d López-Aranguren 1983, p. 83.
  11. a b et c Grau Mateu 2006, p. 201.
  12. Las provincias representadas por sus diputaciones podrán mancomunarse para fines exclusivamente administrativos
  13. a b et c López-Aranguren 1983, p. 84.
  14. a b et c Grau Mateu 2006, p. 203.
  15. Ferreira Fernández 2000, p. 99.
  16. (es) Lluís Aguiló i Lúcia, José Carlos de Bartolomé Cenzano, David Calatayud Chover, José Chofre Sirvent, Vicente Garrido Mayol (ca), Joaquín J. Marco Marco, Juan Antonio Martínez Corral, Manuel Martínez Sospedra, Manuel Ortells Ramos, Marta Pérez Gabaldón, Julia Sevilla Merino, Margarita Soler Sánchez, Rosario Tur Ausina, Asunción Ventura Franch et Francisco J. Visiedo Mazón, Instituciones políticas de la Comunitat Valenciana, Tirant Lo Blanch, , 2e éd.
  17. (ca) Lluís Aguiló i Lúcia, Els avantprojectes d'estatut d'autonomia de la Comunitat Valenciana, Paterna, Corts Valencianes, coll. « Descobrim el País Valencià », , 1re éd. (ISBN 8460609979), p. 37. Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article
  18. Ehrlich 2004, p. 240.
  19. Jordà Fernández 2013, p. 370.

Annexes[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • (es) Juan Miguel Álvarez Domínguez, « Cuánto más grande, mejor. La diputación leonesa y las mancomunidades », Estudios Humanísticos. Historia, no 6,‎ , p. 227-243 (ISSN 1696-0300, lire en ligne)
  • (ca) Charles E. Ehrlich, Lliga Regionalista: Lliga Catalana 1901-1936, Barcelona, Institut Cambó, (lire en ligne)
  • (es) Antonio Javier Ferreira Fernández, La comarca en la historia: una aproximación a la reciente historia jurídica de la comarca, Santiago de Compostel·la, Universidad de Santiago de Compostela, (lire en ligne)
  • (es) Fernando García Rubio, Evolución histórica del espacio comarcal, Madrid, Universidad Rey Juan Carlos i Dykinson, (lire en ligne)
  • (ca) Josep Grau Mateu, La Lliga Regionalista i la llengua catalana, 1901-1924, Barcelona, Publicacions de l'Abadia de Montserrat, (lire en ligne)
  • (es) Antoni Jordà Fernández, « Federalismo, regionalismo, nacionalismo: el restablecimiento de la Generalitat y el Estatuto catalán durante la Segunda República », Iura Vasconiae, no 10,‎ , p. 355-393 (lire en ligne, consulté le )
  • (es) Eduardo López-Aranguren, La conciencia regional en el proceso autonómico español, Madrid, Centro de Investigaciones Sociológicas, (lire en ligne)
  • (es) Sebastián Martín-Retortillo, Luis Cosculluela et Enrique Orduña, Autonomías regionales en España: traspaso de funciones y servicios, Madrid, Instituto de Estudios de Administración Local, (lire en ligne)
  • (es) María Dolores Muñoz Muñoz, « Recopilación legislativa sobre las diputaciones provinciales », Boletín. Instituto de Estudios Giennenses, no 207,‎ , p. 59-94 (ISSN 0561-3590, lire en ligne)
  • (es) Regina Polo Martín, Centralización, descentralización y autonomía en la España constitucional, Universidad Carlos III de Madrid, (ISBN 978-84-9031-866-9, ISSN 2255-5137, lire en ligne)
  • (es) Martín Bassols Coma, « Reconocimiento normativo de las mancomunidades provinciales: el Real Decreto de 18 de diciembre de 1913 », dans Las mancomunidades provinciales entre la descentralización y el regionalismo. La Mancomunidad catalana (1914-1925), Fundación Democracia y Gobierno Loca (no 15), (ISBN 978-84-939146-8-4, lire en ligne), p. 85-91

Liens externes[modifier | modifier le code]

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