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s:W ou le souvenir d'enfanceGeorges Perec - Absence d'histoire Je n'ai pas de souvenir d'enfance. Jusqu'à ma douzième année à peu près, mon histoire tient en quelques lignes : j'ai perdu mon père à quatre ans, ma mère à six ; j'ai passé la guerre dans diverses pensions de Villard-de-Lans. En 1945, la sœur de mon père et son mari m'adoptèrent. Cette absence d'histoire m'a longtemps rassuré : sa sécheresse objective, son évidence apparence, son innocence, me protégeaient, mais de quoi me protégeaient-elles, sinon précisément de mon histoire vécue, de mon histoire réelle, de mon histoire à moi qui, on peut le supposer, n'était ni sèche, ni objective, ni apparemment évidente, ni évidemment innocente. "Je n'ai pas de souvenirs d'enfance" : je posais cette affirmation avec assurance, avec presque une sorte de défi. L'on n'avait pas à m'interroger sur cette question. Elle n'était pas inscrite à mon programme. J'en étais dispensé : une autre histoire, la Grande, l'Histoire avec sa grande hache, avait déjà répondu à ma place : la guerre, les camps. Georges Perec (1936-1982) - W ou le souvenir d'enfance (éd. Gallimard 1975). |
s:Le CorAlfred de Vigny - Le Cor
Alfred de Vigny (1797-1863) – Le Cor (Poèmes antiques et modernes) [1] |
s:Le PrintempsRémy Belleau - Le Printemps
Rémy Belleau (1528 – 1577) [2] |
s:Madame BovaryMadame Bovary Au fond de son âme, cependant, elle attendait un événement. Comme les matelots en détresse, elle promenait sur la solitude de sa vie des yeux désespérés, cherchant au loin quelque voile blanche dans les brumes de l'horizon. Elle ne savait pas quel serait ce hasard, le vent qui le pousserait jusqu'à elle, vers quel rivage il la mènerait, s'il était chaloupe ou vaisseau à trois ponts, chargé d'angoisses ou plein de félicités jusqu'aux sabords. Mais, chaque matin, à son réveil, elle l'espérait pour la journée, et elle écoutait tous les bruits, se levait en sursaut, s'étonnait qu'il ne vînt pas; puis, au coucher du soleil, toujours plus triste, désirait être au lendemain. Le printemps reparut. Elle eut des étouffements aux premières chaleurs, quand les poiriers fleurirent. Dès le commencement de juillet, elle compta sur ses doigts combien de semaines lui restaient pour arriver au mois d'octobre, pensant que le marquis d'Andervilliers, peut-être, donnerait encore un bal à la Vaubyessard. Mais tout septembre s'écoula sans lettres ni visites. Après l'ennui de cette déception, son cœur de nouveau resta vide, et alors la série des mêmes journées recommença. Gustave Flaubert – Madame Bovary ( I; 9) (1857) |
s:Tu chercheras mon visageJohn Updike - Drippings Mais le plus étrange avec les drippings de Zack (= Jackson Pollock), c'est que, en dépit de la violence des détails, des éclaboussures, des mélanges pâteux, l'ensemble dégage une impression de calme.(...) Oui, il y avait une véritable paix, un équilibre, une quiétude dans ses toiles, dans lesquels je ne peux voir que le reflet de son humeur quand il était là-bas, dans le froid de la grange, loin de moi, loin des experts de la critique, loin de ces rosses de femmes pleines aux as et de ces étrangers méfiants qui dirigeaient les galeries, délivré même de son besoin de boire : il était en paix, superposant ses motifs les uns sur les autres, jusqu'à ce qu'il doive s'arrêter et attendre que la peinture sèche. Et puis il y a une telle innocence dans cet homme en train de danser et de s'agenouiller autour de la toile par terre, une telle capacité enfantine à s'absorber dans l'action pure, que j'ai envie de le serrer dans mes bras et de lui demander pardon de l'avoir amené sur un terrain où il pouvait terrasser la beauté et d'être restée incapable de lui montrer comment retirer un bonheur durable d'une telle expérience. John Updike – Tu chercheras mon visage (éd. du Seuil, 2006) (p.111) |
s:L'Appel de CthulhuH. P. Lovecraft - L'Appel de Cthulhu Cthulhu lui aussi vit encore, je suppose, dans ce gouffre de pierre qui l'abrite depuis le temps où le soleil était jeune. Sa cité maudite est engloutie, une fois de plus le Vigilant est passé sur les lieux mêmes, après la tempête d'avril. Mais ses ministres sur terre continuent à mugir, à caracoler et à tuer dans les lieux solitaires, autour des monolithes couronnés de son image. Il a dû être piégé par le naufrage alors qu'il se trouvait dans sa noire citadelle, sinon, à l'heure qu'il est, le monde entier hurlerait de terreur. Qui peut prévoir la fin? Ce qui a surgi peut disparaître, et ce qui a sombré peut surgir à nouveau. L'abjection attend son heure en rêvant au fond de la mer, et la mort plane sur les cités chancelantes des hommes. Un jour viendra - mais non, je ne dois ni ne puis y penser! Si je ne survis pas à ce manuscrit, fasse le Ciel que mes exécuteurs testamentaires, préférant la prudence à l'audace, s'assurent qu'il ne tombera pas sous d'autres yeux..." H. P. Lovecraft (1890-1937) - L'Appel de Cthulhu (dernier §) (éd. Pocket) [3] |