Discussion:Fortification bastionnée

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mauvaise traduction[modifier le code]

l'expression "trace italienne" est la transposition littérale de l'expression utilisée par des auteurs anglais "en français dans le texte". Aucun francophone spécialiste de la fortification, aucun traité théorique ancien ne l'a jamais employée en français. On dit plutôt "tracé italien" ou "tracé à l'italienne". Un "tracé" est un dessin, une "trace" est un signe, une marque laissée par exemple sur le sol. Vous la contribution ci-dessous à paraître dans les actes du colloque de Tours "la genèse du bastion en Europe".

La « Trace italienne ». Réflexions sur une expression infondée .

En marge de contributions sur la naissance du bastion en Europe à la charnière des XVe et XVIe siècles, et plus largement du front bastionné – à mon sens c’est la véritable question à poser, car un bastion seul ne fonctionne pas et sa forme pentagonale comme ses matériaux, terre et maçonneries, pré-existent -, il m’est apparu indispensable de faire une mise au point terminologique ou lexicologique préalable. En effet, depuis quelques années, est apparue sous la plume des historiens militaires modernistes une expression française qualifiant le système fortifié avec des bastions tel qu’il est mis en œuvre et théorisé dans l’Italie de la première moitié du seizième siècle, ou le dessin théorique d’un front bastionné : la « trace italienne ». Cette appellation étonne à plus d’un titre, car jamais auparavant elle n’avait été utilisée par les chercheurs spécialisés dans l’histoire de la fortification, elle n’apparaît nulle part dans la littérature théorique ancienne et, qui plus est, elle ne semble vouloir rien dire au sens littéral. Personne n’emploie par ailleurs les locutions « trace vaubanne », ni « trace hollandaise », ni « trace polygonale » pour nommer les manières de fortifier à la Vauban, à la Hollandaise ou le système de fortification polygonale qui succède à la fortification bastionnée au XIXe siècle.

Une « trace » est en effet une empreinte ou une suite d’empreintes, un vestige, un reste, une marque ; jamais ce mot n’est compris comme synonyme de « système » ni de « dessin », pas plus dans le langage technique que dans la langue courante ou littéraire, sinon peut-être par métonymie et en huitième ou neuvième sens, en géométrie descriptive où la trace désigne la « ligne tracée pour indiquer l’intersection d’un plan avec un des plans de projection » (P. Larousse, 1876) . Le mot est ancien, il apparaît en français au XIIe siècle et dérive du verbe « tracer », « suivre à la trace » ou « faire une trace » . « Trace italienne » ne veut donc rien dire en français, appliqué à l’histoire de la fortification en théorique et en pratique.

En fait, d’où vient cette expression ? En tout état de cause, elle apparaît chez Geoffrey Parker en 1988, dans l’édition originale anglaise de son livre devenu classique sur la révolution militaire, et en français dans le texte  : « … the new defensive system (known as the trace italienne) ». Cinq ans plus tard, la traduction française qui est faite sur un texte revu par l’auteur entérine la locution, toujours entre guillemets : « … nouveau système dit « de la trace italienne » » . Prudemment, le traducteur Jean Joba ajoute en note : « On dit aussi « construction bastionnée », par exemple dans l’ouvrage du colonel Rocolle, Deux mille ans de fortifications françaises ». Par les idées émises, le livre de Geoffrey Parker a provoqué une polémique chez les historiens, surtout anglo-saxons, mais le débat a été relayé en France, notamment sous la direction de Jean Bérenger en 1998. Les actes du colloque qu’il publie contiennent une contribution de Jean-François Pernot qui, en tant que spécialiste de l’histoire des fortifications, adopte sans discussion l’usage de l’expression tout en laissant les guillemets . Plus récemment, Jean Chagniot fait de même, dans le manuel de synthèse qu’il donne sur la guerre aux temps modernes. Sans doute le fait-il avec plus de précautions, attribuant la paternité de l’expression à Geoffrey Parker, mais l’emploi revient à trois reprises . Par contre, Anne Blanchard parle de « fortification géométrique » ou de l’ « art de fortifier à la moderne » à propos des nouvelles formules d’architecture défensive adoptées en France sous le règne de François Ier, dans l’Histoire militaire de la France qui connaît pourtant le livre de Parker dans son édition anglaise  ; la spécialiste des ingénieurs militaires et par corrélat de leurs idées en matière de fortification n’est pas séduite par la formule choc de l’historien anglais. Même infortune de la « trace italienne » chez les auteurs des présentations des théories de Francesco di Giorgio Martini, Pietro Cataneo, Albrecht Dürer et Daniel Specklin dans la très utile synthèse sur la théorie de l’architecture parue en 2003 simultanément en plusieurs langues . Et dans aucun colloque ou rencontre organisé ces dernières années sur le thème de la fortification bastionnée, la « trace italienne » n’est employée, que ce soit par nos collègues néerlandophones, italiens, allemands ou espagnols comme par les francophones : tous nous nous demandons qui a bien pu inventer cette expression surgie d’on ne sait où !

Deuxième question : la « trace italienne » est-elle une invention de Geoffrey Parker ? Est-ce la traduction d’une expression anglaise ou un emprunt littéral ? Il faut alors parcourir quelques travaux de chercheurs anglo-saxons ou écrits en anglais sur les débuts de la fortification bastionnée, peut-être y trouvera-t-on la ou les sources de Parker. En fait, le tour est vite fait. Deux auteurs s’étaient attachés avant 1988 à l’émergence de la conception du front bastionné : Horst de la Croix et John Hale. Le premier étudie en 1963 la littérature fortificative dans l’Italie de la renaissance : il parle d’ « italian method » (et il emploie des guillemets ) et, plus loin de « foolproof bastionned trace » . Dans les deux cas il désigne ainsi la fortification à bastions. Le mot anglais est là : le substantif « trace » signifie la même chose qu’en français, soit une empreinte laissée par une personne ou un animal, mais le verbe « to trace» comprend l’idée de dessin ; c’est le dérivé « tracing » qui a le sens de tracé ou de dessin . Ici, en fait, le champ sémantique est élargi : l’anglais « trace » est employé dans le sens de « tracé », comme d’ailleurs l’entendent les spécialistes réunis autour de Renate Rieth et Rolf Hueber pour la dernière édition du vocabulaire trilingue de la fortification : « festungstracé » égale « tracé d’une fortification » égale « trace of a fortification », comme « Bastionärsystem » et « Bastionärtracé » égalent « système ou tracé bastionné » et « bastion-system » et « bastion-trace » . Le second, John Hale, en 1965, parle de « bastionned trace » . Indubitablement, ces deux études ont fait date, et sont citées à de nombreuses reprises. La « trace italienne » de Geoffrey Parker en découle forcément : mais l’historien militaire s’est permis de franciser complètement l’appellation, sans vérifier plus loin l’adéquation ou la non adéquation des champs sémantiques du mot « trace » en français et en anglais, et en supprimant allègrement l’accent aigu. Ainsi, par une recherche littéraire mal placée, le « tracé italien » est devenu la « trace italienne », ce qui en français ne veut plus rien dire.

La perte ou la corruption de sens est d’autant plus grande qu’aucun auteur anglophone ni francophone n’utilise ces mots : pour Martha Pollack, il s’agit de la diffusion du « design of bastionned fortification » ; Quentin Hughes, en 1974, emploie le mot « design » ; John Hale, dans un autre article sur les débuts du bastionnement en Italie, conclut à propos du « bastionned front » . D’autres emploient le mot « tracé » : le belge Henri Wauwermans au XIXe siècle pour désigner le front bastionné théorisé par Nicolo Tartaglia la fortification polygonale (« tracé polygonal ») comme le français Alain Guillerm en 1985 à propos de Nettuno et de Civitavecchia (« tracé triangulaire ou tenaillé ») . Enfin, quelques sondages dans la littérature théorique ancienne confirme l’inexistence de la « trace italienne » dans le vocabulaire. En remontant dans le temps et en ne prenant que quelques ouvrages généraux et pédagogiques (les meilleurs à mon avis pour pister la manière dont on nommait les choses), Luigi Marini en 1810 parle du traité de La Treille, le plagiaire de Zanchi, comme du premier en langue française « sulla fortificazione moderna » ; chez Le Blond, dont les traités pédagogiques ont été abondamment réédités entre 1750 et 1780 y compris en anglais, il est question de « tracer la ligne magistrale de l’enceinte » et du « tracé de la fortification irrégulière » ; l’abbé Deidier fait œuvre de pédagogue en 1742 et présente les « méthodes » des différents théoriciens du front bastionné ; le Jésuite Jean Du Breuil, autre formateur d’ingénieurs, en 1674, dit que l’on « fortifie selon l’ordre italien », propose de « tracer toutes fortifications espagnoles » comme de « tracer les fortifications à la française » ; Alain Mannesson-Mallet dans les éditions de ses « travaux de Mars » en 1672 et en 1684 explique comment « tracer les places sur le terrein », « tracer sur le papier les lignes » et « tracer la grande fortification de Pagan » . Point donc de « trace italienne » (ni française, ni hollandaise, …) chez ces auteurs classiques et très lus en leur temps. Même constatation dans le dictionnaire de l’ingénieur de Bernard Forest de Bélidor, un autre classique réédité en 1768 : le « tracé » résulte de « tracer », soit «marquer par des lignes les extrémités d’un corps pour en faire voir la forme » . Assez isolément, C.F. Roland Le Virloys mentionne l’usage du mot « trace » pour désigner « la ligne qui marque le dessin de quelque ouvrage », traduit par l’anglais « drawing », mais dans le sens d’ « empreinte », il le traduit en anglais par « trace » .

Laissons donc à Geoffrey Parker la paternité mais aussi l’emploi de l’expression « trace italienne » qui, contrairement à ce qu’il avance, n’a jamais été employé et ne l’est pas, en tout cas par les spécialistes anciens ni actuels de la fortification, pour désigner la manière de concevoir une fortification bastionnée à l’italienne. Sans doute a-t-il jugé qu’une citation « en français dans le texte » ajouterait à la force de ses idées, par ailleurs brillantes. Malheureusement, cela était vide de sens : une « empreinte italienne » ? Qu’est-ce donc ? Continuons donc, de grâce, à parler de « tracé bastionné », de « tracé italien » ou de « système à l’italienne », mais surtout ne marchons pas dans les traces d’effets littéraires sémantiquement et historiographiquement non fondés et qui risquent de perturber la compréhension du discours scientifique.


Sources : P. LAROUSSE, Grand dictionnaire universel du XIXe siècle, Paris, 1876, t.XV, p.383 ; E. LITTRÉ, Dictionnaire de la langue française, Paris, 1883, t.IV, p.2292 ; A. HATZFELD, A. DARMESTETER, A. THOMAS, Dictionnaire général de la langue française du commencement du XVIIe siècle jusqu’à nos jours, Paris, 1926, p.2714 ; B. LAFAYE, Dictionnaire des synonymes de la langue française, avec une introduction sur la théorie des synonymes, Paris, Hachette, (1929), p.1021 ; A.J. GREIMAS, T.M. KEANE, Dictionnaire du moyen français. La renaissance, collection Trésors du français, Paris, 1992, p.631 ; P. ROBERT, Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, Paris, 1992, t.IX, p.403-404. O. BLOCH, W. VON WARTBURG, Dictionnaire étymologique de la langue française, Paris, 1964, p.642. G. PARKER, The military revolution. Military innovation and the rise of the West, 1500-1800, Cambridge, 1988, p.12.

 G. PARKER, La révolution militaire. La guerre et l’essor de l’occident 1500-1800, collection Bibliothèque des histoire, Paris, 1993, p.39.
 J.F. PERNOT, « La trace italienne », éléments d’approche, dans J. BÉRENGER (s.dir.), La révolution militaire en Europe (XVe-XVIIIe siècles), collection hautes études militaires, Paris, 1998, p.31-50.
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Ph. CONTAMINE (dir.), Histoire militaire de la France. I. Des origines à 1715, Paris, 1992, p.276-277 et bibliographie citée p.574.

 Théorie de l’architecture de la renaissance à nos jours. 117 traités présentés dans 89 études, Cologne, 2003.
 H. de la CROIX, The Literature of fortification in renaissance Italy, dans Technology and Culture, t.IV, 1963, p. 31 et 42.
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 B. FOREST de BÉLIDOR, Ch. A. JOMBERT, Dictionnaire portatif de l’ingénieur et de l’artilleur, composé originairement par feu M. Bélidor. Nouvelle édition totalement changée, refondue et augmentée du quadruple, Paris, 1768, p.698-699.
 C.F. ROLAND LE VIRLOYS, Dictionnaire d’architecture, civile, militaire et navale, antique, ancienne et moderne, et de tous les arts et métiers qui en dépendent, dont tous les termes sont exprimés, en françois, latin, italien, espagnol, anglois et allemand, Paris, 1770, t.III, p.53. Ce bel ouvrage bien illustré, paru presqu’en même temps que celui de Bélidor – Jombert et que les volumes de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, ne connaîtra qu’une unique édition.




Philippe Bragard, Professeur à l’Université catholique de Louvain, Membre belge d'IcoFort, Membre du comité scientifique des sites Vauban inscrits à l'Unesco

Il faut donc renommer la page en tracé à l'italienne et en changer toutes les occurrences dans le texte. -- Salutations. Signé louis-garden (On en cause) 9 août 2009 à 12:08 (CEST)[répondre]