Discussion:Mutinerie de Yên Bái

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Idées à creuser[modifier le code]

La mutinerie de Yen Bay est une date charnière dans l'évolution de la colonisation vietnamienne Ouverture et Répression. L'autre date charnière est le 9 mars 1945,un coup de force japonais largement sous décrite dans cette encyclopédie alors que ce deuxième événenement explique ensuite ces dizaines d'années de conflit.

Remarques générales[modifier le code]

Q : le film Indochine,est il assez proche de la vérité historique ? R : Les assassinats de lettrés , les destructions d'usine, la manifestation devant l'élysée, le renvoi des étudiants de France , l'arrogance coloniale, le choc des cultures, les travaux publics à marche forcé, la famine, la traite de la Main d'oeuvre tonkinnoise. Il faut compléter l'article pour obtenir une meilleure explication de la mutinerie et la remettre dans son contexte comme l'a fait le film.

  • Q : l'article manque d'images, photos et affiches d'époque. Exemple de photo maison du vietnam à la cité U? affiche communistes, carte postale de yen bay en 1930 ou 1905 etc.
  • R : Tout à fait d'accord, mais cela pose parfois un problème lié aux droits d'auteurs... malgré l'ancienneté relative de l'événement. Rflock (d) 17 mars 2010 à 15:38 (CET)[répondre]

Sur ce site beaucoup de photos et une video d'époque http://belleindochine.free.fr/sommaire.htm et sur http://nguyentl.free.fr/html/cadre_sommaire_fr.htm

  • Q : Il conviendrait de ne pas trop s'écarter du sujet, se perdre en digressions, sinon ça devient rébarbatif, voire illisible.
  • R : "Il conviendrait de ne pas trop s'écarter du sujet", mais quel est il ? Si le sujet c'est la version en anglais qui ne vise que l'armée francaise et ses réformes ? "Se perdre en digressions" est-ce ne pas prendre en compte les causes, les faits, les conséquences judiciaires, sociales et militaires. "sinon ça devient rébarbatif, voire illisible" : il faut peut être réagencer le plan et ouvrir des articles spécifiques pour les reformes militaires, la gouvernance francaise, la justice francaise notamment.
  • R2 : Le sujet est strictement la mutinerie de Yên Bái. Bien sûr on peut créer de nouveaux articles s'ils n'exitent pas déjà, pour expliquer certains points importants pour la compréhension des enjeux (par exemple, je traduis pour l'instant l'article VNQDD). Tout ce qui concerne le fonctionnement des institutions fait partie du contexte et ne doit pas être traité dans le fond ici. Il y a toujours moyen de renvoyer d'un article vers un autre... Traiter des causes est par ailleurs assez délicat, et je ne m'estime pas moi en tout cas habilité à la faire, n'y connaissant rien au départ. Rflock (d) 17 mars 2010 à 15:09 (CET)[répondre]
  • Citer les sources. Et aussi indiquer l'adresse d'un texte accessible en ligne, auquel on peut renvoyer directement à partir d'un passage de l'article. Si vous trouvez un article qui vous semble intéressant, faites un "copier" de l'adresse dans la barre d'adresse et collez-là ici, plutôt que tout le texte (sinon on peut passer des heures à essayer de retrouver d'où ça sort...).
  • Q La poésie d'Aragon citée sur le monument de Yen Bay est indiquée sur le monument commémoratif de Yen Bay. Pourquoi ? et laquelle des deux strophes.

Lacunes éventuelles[modifier le code]

Il semble au regard des documents qui suivent que ne soit pas bien analysé.

A / l'origine du mouvement au regard des évolutions juridiques du pays remmettant en cause les valeurs séculaires locales. la suppression des concours mandarinaux, la création d'un droit criminel d'exception au Tonkin, d'un code pénal et un code de procédure pénal copié sur la France et d'un code civil local en français pour juger avec un interpréte.

B / Le manque d'intégration des élites locales dans le systéme judiciaire locale. la premiére promotion de l'unversité indochinoise de licencié en droit est sortie en 1930.

C/ L'analyse de la composition de la commission criminelle du Tonkin, composée de trois personnes dont un militaire et jugeant à la vitesse d'un tribunal de police de 85 cas en trois jours ( article de M Roubaud).Les recours contre les jugements étant trés difficile à mettre en oeuvre.

D / Les ecrits des elites avant les événements aussi bien au Gouverneur M Varenne en 1925, de HO-CHI-MINH à la SDN OU encore d'autres courriers au Roi d'Angleterre n'ont amené que trés peu de modification dans la gestion du pays. (X. Le nationalisme vietnamien au début du XXe siècle : son expression à travers une curieuse lettre au roi d'Angleterre Nguyen The Anh Nguyên Thë, . X. Le nationalisme vietnamien au début du XXe siècle : son expression à travers une curieuse lettre au roi d'Angleterre. In: Bulletin de l'Ecole française d'Extrême-Orient. Tome 65, 1978. pp. 421-430.)


La vision de gauche semble présentée dans ce site

Questions liées au vocabulaire/ à la traduction (de l'article en anglais)[modifier le code]

mutinerie?[modifier le code]

Sémantique Française ou vietanamienne.

Q - Mutinerie ? d'un point de vue de l'autorité de l'époque cela donne rébellion, révolte d'un point actuel martyrs, événement tragique, manifestation d'indépendance,etc

R - Il y a tout un débat à ce sujet en page de discussion de l'article en anglais - et l'article en anglais semble avoir fait l'objet de plusieurs "renommages" successifs. Je ne pense pas que le terme mutinerie soit impropre, puisque tout commence dans une garnison, où des soldats se retournent contre ceux qui les commandent. Cependant, il est vrai que le mouvement est plus large...

viet nam, vietnamien au lieu d'Indochine[modifier le code]

Q - Pourquoi utiliser les mots "viet-nam" et "vietnamien" qui n'existeront qu'après l'éxécution des révoltés de Yen Bay ? le mot Vietnam ne sera utilisé pour la première par les autorités francaises par M.Decoux en 1944/1945 ?

R - Le texte n'est dans un premier temps que la traduction de l'article en anglais. Mais c'est vrai que c'est plutôt anachronique...

  • Il faut peser chaque occurrence, car cela présente certaines difficultés :
    • "Việt Nam Quốc Dân Đảng (Parti nationaliste du Việt Nam)" ? ..."Việt Nam" apparaît dans le nom du parti... la dénomination existe bel et bien déjà alors, mais pas "officiellement"
    • "des soldats vietnamiens" -> "soldats viêt(s)"? (de l'ethnie - mais il y a une nuance de taille entre "viet" et "vietnamien") "annamites"? "soldats indigènes"?
    • "provinces du Nord Viêt Nam" -> "provinces du Tonkin (Nord Viêt Nam)"
    • "contre la colonisation du Viêt Nam" -> "contre la colonisation de l'Annam" ? ... un petit problème est que "Annam" désigne la région centrale du Viêt-Nam de l'époque, aussi bien que tout le territoire...
    • "organisation nationaliste vietnamienne" -> "...nationaliste du Việt Nam" ... vu qu'il s'agit du parti
    • "l'emploi de soldats vietnamiens" -> "soldats viêt(s)"? "annamites"? "indigènes"? [...]
  • En fait le mot-même semble constituer un enjeu dans cette histoire... Rflock (d) 8 mars 2010 à 11:05 (CET) Le terme "Indochine", historiquement, englobe une entité plus large que le seul territoire correspondant à l'actuel Viêt Nam. "Annam" est le bon terme, mais il est ambigu. Le Viêt Nam, officiellement, n'"existe" pas en 1930. Il manque en fait une définition claire du nom "Viêt Nam"... De même qu'on ne peut pas appeler "Belgique" le territoire occupé par l'actuelle Belgique avant 1830, on ne peut pas, me semble-t-il, appeler "Viêt Nam" le territoire correspondant à l'actuel Viêt Nam avant qu'il n'ait été officiellement appelé ainsi. Rflock (d) 15 mars 2010 à 22:02 (CET)[répondre]

cimeterre[modifier le code]

Un détail, mais ne s'agirait-il pas plutôt de machettes ("coupe-coupe") que de "cimeterres" (mot employé dans l'article en anglais) ?...

Contexte/ "Mise en perspective"[modifier le code]

  • Les grands dossiers de l'illustration - l'INDOCHINE 1834-1944 - ed 1987 -le Livre de Paris avec Préface de Philippe FRANCHINI.
  • Roland Dorgelès, « Sur la Route Mandarine », dans L'Illustration, en plusieurs épisodes, du 31 janvier 1925 au 18 avril 1925.
  • En 1931 se tient l'Exposition coloniale, ce qui a son importance - elle est déjà en préparation dès mai 1930 au moins. [dans l'article sur l'expo, ce serait d'ailleurs très intéressant de dire quand exactement elle fut décidée et à l'initiative de qui, et quand elle a commencé à se monter...]
    • R : L'influence est plutot sur l'opinion car l'ouverture de l'exposition dans le bois de Vincennes avec des coolies et des pousse pousse à du sensibiliser l'opinion à la situation de misére en Indochine. d'ou ces discussions à l'assemblée etc.
      • R2 : C'est justement ça qui, personnellement, m'intéresse le plus ... La mutinerie (pas seulement, bien évidemment) a suscité un "éveil des consciences" que l'exposition de 1931, monumentale, avait entre autres pour but, inavoué, de maintenir en "léthargie"... (en gros...) Ce qui est assez "amusant", quand on parcourt Le Petit Parisien, c'est qu'à chaque fois que Gaston Doumergue inaugure quelque chose, il fait la "une" du journal, mais que dès qu'un incident se produit lors de l'une de ces inaugurations, elle ne fait plus l'objet que d'un petit communiqué de quelques lignes. C'est du moins l'impression que j'ai eue. Rflock (d) 16 mars 2010 à 12:22 (CET)[répondre]
  • Les textes sur L'intervention de la légion et des infanteries coloniales au Tonkin. (de 1900 à 1939)
  • Pourquoi une mutinerie (ou une rébellion ou une révolte) au sein d'un régiment d'infanterie a-t-il autant de conséquence ? Les morts semblent tous des Officiers Francais alors que la légion est aussi constituée de Russes, d'Allemands etc.? Beaucoup de ces soldats ont fait la guerre du Rif et sont habitués à une guerre de pacification trés dure avec un appui aérien etc.

D. Hémery, « Du patriotisme au maxisme »[modifier le code]

Daniel Hémery, « Du patriotisme au maxisme. L'Immigration vietnamienne en France de 1926 à 1930 », dans Le Mouvement social, n° 90 (janvier-mars 1975), p. 3-54, en particulier p. 42-46. - Sur Gallica.

Date de l'insurrection[modifier le code]

Q1 : Fut-elle choisie par hasard, ou bien est-elle en lien direct avec le meurtre de Bazin, qui eut lieu le 9 février 1929 (mutinerie : 9-10 février de l'année suivante) ?... 3 mars 2010 à 19:39 (CET)

R1 : Cette date est elle en relation avec pèlerinage organisé pour les deux sœurs luong " Jeanne d'Arc" locale ?

R2 : Il semble que cette date soit concommittante de la fête du Têt Nouvel An vietnamien, où l'on utilise force pétards, ce qui permet de mieux masquer une insurrection.

Q2 (j'ignore tout du sujet) : Cette fête correspond-elle à une date fixe dans le calendrier utilisé en Occident ?... (dit en passant, en "feuilletant" en ligne le "Petit Parisien", j'ai appris que la fête du 1er mai était assez mouvementée vers 1930, mais ça n'a pas grand chose à voir, il est vrai, avec Yên Bái.) Rflock (d) 15 mars 2010 à 22:41 (CET)[répondre]

R2 : Le têt est l'équivalent de notre fête du nouvel an (année du dragon) mais selon le calendrier lunaire les dates sont différentes entre la Chine et le Vietnam. si le nouvel an. "j'ai appris que la fête du 1er mai" : la Fête de Jeanne d'Arc libératrice de la France était très fêté par les vietnamiens. "pas grand chose à voir avec Yên Bái" : pas sûr...

Impact en France métropolitaine[modifier le code]

Journaux/ Publications[modifier le code]

  • Le Petit Journal illustré...
  • Georges Rémond, « La Menace contre notre colonie d'Indochine », dans L'Illustration du 17 mai 1930, avec photos des officiers massacrés.

"Engagement"[modifier le code]

2 partis:

  • 1) Les défenseurs de la répression.

Publications officielles (cfr. + bas: Documents annexes). Editorial de la Revue des deux mondes 15 mai 1930 (que je cite uniquement parce que je suis tombé dessus par hasard)...

  • 2) Les défenseurs (si on peut dire...) des insurgés.

Tracts communistes et meetings communistes en France (cfr. illus en réf. externes dans l'article). – Louis Roubaud, articles dans Le Petit Parisien, parution de Viet-Nam (-> Influence sur la philosophe Simone Weil). – Paul Monet, Les Jauniers, Gallimard, 1930 (mais pas de rapport direct avec la mutinerie a priori).

Critique de l'ignorance qu'ont de leur sujet certains spécialistes des questions coloniales[modifier le code]

  • Le Merle mandarin, 19/10/1930. Le Sottisier Parlementaire. Où l'on voit que les spécialistes des questions coloniales à la Chambre ont sur l'Indochine de singulières idées. J'ai eu la curiosité de feuilleter à l'Officiel (débats parlementaires-Séance du 6 Juin 1930) le compte-rendu sténographique des interpellations sur l'Indochine et j'ai cueilli sans intention méchante ces quelques perles que je livre à la curiosité amusée de nos lecteurs. - Voici d'abord Moutet, notre camarade Moutet ; Moutet est un avocat lyonnais, un militant excellent parti ; mais pourquoi diable s'est-il institué spécialiste des questions indochinoises ? Nous lui donnons le fraternel conseil de se documenter un peu sérieusement avant de monter à la tribune ; qu'il imite en cela-c'est triste à dire mais c'est comme ça-le citoyen Doriot dont l'intervention fut soigneusement préparée, documentée,truffée de chiffres et de statistiques exactes. Cela lui évitera de prononcer des bourdes comme celles-ci — je cite textuellement : "Yên-Bay, camp retranché situé à la frontière - Nord du Tonkin" "A Yên-Bay les exécutions ont eu lieu devant des élèves du collège", (sic). On ne dira plus que nous ne faisons rien pour répandre l'instruction chère au "grand professeur" Nguyên-Thaî-Hoc ! Et ce récit de l'attentat contre notre camarade Saint Génis : "Un fonctionnaire de la police fut tué par un Annamite qui distribuait des tracts en automobile (sic). Saint Génis, ne manquez pas au cours de votre congé d'aller rassurer le camarade Moutet et de le renseigner sur la nature quelque peu consistante des tracts" que cet Annamite distribuait avec son revolver. Passons maintenant à la droite. Voici l'illustre Taittinger, général en chef des jeunesses patriotes, ex-président de la Commission des Colonies (personne n'a jamais su pourquoi !) Taittinger professe pour notre génie colonisateur une admiration sans borne et il n'hésite pas à déclarer: "Il semble que grâce à notre occupation le climat lui-même se soit amélioré en lndochine" - Qu'il vienne donc y voir un peu le camarade Taittinger, et il nous dira si la présence des Français (qui certes ont lutté efficacement contre le paludisme et certaines maladies épidémiques) a fait baisser le thermomètre et refoulé les typhons sur les Philippines. Il exagère un peu. ce grand colonial en Chambré! J'ai gardé pour la fin cette découverte ethnographique qui va faire hurler le brave colonel Bonifacy. Taittinger fait un parallèle entre le Tonkinois et le Cochinchinois et il dit : "l'Indigène du Tonkin est le descendant direct des Pavillons Noirs (!!) C'est un homme plus robuste, au teint plus blanc (!!) qui vit dans ses montagnes et a conservé une sorte de rudesse (tu parles !)... c'est à l'Indochine ce que le Riffain est au Maroc." Après celle-là il ne reste plus qu'à tirer l'échelle et à se dire que les intérêts de l'Indochine sont entre bonnes mains, à en juger par les idées originales que professent au Parlement les "spécialistes" des questions indochinoises et l'admirable sûreté de leur documentation. P. Populaire (Tonkin). »

Procès[modifier le code]

Procès considérés comme expéditifs...[modifier le code]

  • Roubaud, p. 122 et sv. (cfr. bibliogr.) :

« Phuto, juin 1930. Pour saisir l'action de ces hommes sur le peuple des paysans, je [Roubaud] suis allé à quelque cent kilomètres d'ici, dans la ville de Phutho, où la commission criminelle jugeait une fournée de quatre-vingt-cinq conjurés. C'est encore la fameuse nuit du 10 au 11 février qui allait être évoquée devant moi. On sait que le massacre de Yen-Bay ne devait pas être isolé. A la même heure, toutes les garnisons jaunes devaient retourner leurs armes contre les chefs blancs. Parmi les garnisons, celle de Than-Hoa n'est pas la moins importante. [...] La prise de cette cité devait donc être à la fois une opération politique et militaire. L'action dans ce secteur avait été confiée à un vieux lettré [...], Su Nhu. [...] Su Nhu et son lieutenant Do Thuy [...] avaient levé dans la province une véritable armée révolutionnaire munie de bombes, de bidons de pétrole, de coupe-coupe, de sabres et de quelques armes à feu. La troupe téméraire marcha sur la caserne et vers la citadelle. Elle fut accueillie par les fusils et les mitrailleuses des tirailleurs fidèles. Su Nhu tomba mortellement blessé. Quatre-vingt-cinq des conjurés furent arrêtés. Je les ai vus hier, à Phutho. Le tribunal s'était installé dans un vaste hangar [...] En trois audiences, tout devait être expédié. [...]

— Allons! Déposez votre éventail, tenez vous bien. Vous reconnaissez être affilié au Viet Nam? — Non, il ne le reconnaît pas, disait l'interprète. — Dans la nuit du 10 au 11 février, on vous a remis des bombes? — Non, des bidons de pétrole, corrigeait l'interprète. — On vous a remis des bidons de pétrole et vous avez marché sur Than-Hoa avec la bande de Su Nhu? — Il reconnait.

A ce moment, l'accusé commençait une longue phrase : — Que dit-il? — Il dit qu'il voulait libérer sa patrie et il entame un discours. — Qu'il aille s'asseoir! La commission appréciera.

Un gamin de quinze ans vint à la barre et déclara : — J'ai aidé mon frère à accomplir une œuvre de justice.

Un paysan de quarante ans, répondit : — Je ne fais partie d'aucune société secrète, mais je suis Annamite, j'ai pitié de mes compatriotes dans le malheur. J'ai donc participé à l'attaque.

Un autre : — Je n'y suis pas allé parce que j'avais mal aux yeux. Mais si j'avais été bien portant, j'aurais fait comme tout le monde.

Quelques défaillants cherchent des excuses : — L'action directe n'est pas dans mes idées mais j'ai été obligé de suivre Su Nhu. — J'ai prêté ma maison pour la fabrication des bombes. Si j'avais refusé, on se serait vengé de moi.

Su Nhu est mort, mais son lieutenant Do Thuy a comparu. [...] Impatient d'en finir, il dédaignait toute déclaration et se contentait d'approuver : — Reconnaissez-vous...

Moi [Roubaud], je note simplement que quatre compagnies de tirailleurs se révoltent à Yen-Bay; que mille paysans marchent en armes sur la citadelle de Than-Hoa et deux mille sans armes sur les usines do Ben-Thuy. Ces masses d'hommes surgissent de la terre d'Annam [...] Ce sont les puiseurs d'eau, les racleurs de vase, les conducteurs de buffles... [...] Le mouvement révolutionnaire d'Annam a une tête et un corps. Je [Roubaud] m'efforcerai d'expliquer comment et pourquoi ces chefs peuvent être suivis par le peuple... quel lien existe entre le "petit secrétaire" qui se réclame des Droits de l'homme et le nhaqué de quinze ans qui dit : "J'ai suivi mon frère". »

Condamnations[modifier le code]

Au chap. "Condamnations", il existe une certaine contradiction et une certaine confusion dans les chiffres. Dans les Rapports au Conseil (note 32 en l'état actuel de l'article), même si la "mutinerie" est citée comme contexte, il n'est pas dit explicitement que toutes les peines énumérées prononcées par les différentes Commissions criminelles ont un rapport direct avec ladite mutinerie - il s'agit d'un bilan global de l'année... Il faudrait voir le passage de Rettig - autres chiffres - pour savoir quelles sont les propres sources de cet auteur. (note 36)

Usage de la guillotine dans les colonies[modifier le code]

--> créer un nouveau chapitre à l'article "guillotine", vers lequel on renverrait (ou un nouvel article, vers lequel renverraient et "Yên Bái", et "Guillotine")...

  • L'usage de la guillotine en Indochine.
  • Le bourreau du Tonkin est appelé M. de Hanoï.
  • Comment peut on expliquer qu'un tribunal militaire qui condamne à la guillotine au lieu de passer par les armes ? Les exécutions publiques avec la guillotine ont été supprimées en France en 1936 ?
  • Ce qui est curieux c'est que sur la photo en lien externe -je ne lis pas du tout le vietnamien; mais je ne pense pas m'être trompé de photo-, les cadavres décapités sont alignés dans un champ semble-t-il, et que l'on ne voit pas l'engin qui a servi à causer leur mort...

Ritualisation[modifier le code]

  • Dans « La Route mandarine », Roland Dorgelés (L'Illustration 7 février 1925) : « Ainsi, M. de Saigon, bourreau de Cochinchine, qui a déjà fait tomber sous son couperet prés de 300 têtes, opère comme M. Deibler avec la même machine et les mêmes paniers. Mais servie par lui, la guillotine devient un instrument de torture aussi archaïque que le coupe-coupe et le billot de jadis. Lorsque sa machine est montée, l'exécuteur, que les badauds jaunes, venus en foule, regardent avec crainte, se prosterne devant elle: lay rituel; lay consacré, les deux paumes à plat et le front dans la poussière.... Puis s'étant relevé, et tout en multipliant les révérences, il jette une pincée de riz, dépose sur la bascule un petit bol de choum-choum (alcool vietnamien), allume un bâtonnet d'encens planté dans la lunette ( de la guillotine) : le Deibler aux yeux bridés fait ses dévotions au Génie de la guillotine [...] »
  • Le rituel est expliqué dans « Le Repêchage de l'âme » par Nguyen Van Khoan en 1933 dans BEFEO, p. 30. La notion des âmes explique les prescriptions rituelles lors de chaque cérémonie en l'honneur des morts ou des esprits. La fumée de l'encens qui monte ira rejoindre les hôn dans l'espace pour les convier à descendre sur l'autel. Pour atteindre les phach qui se trouvent dans la terre il verse un peu un peu d'alcool sur une touffe d'herbe...

Usage de la guillotine à La Réunion[modifier le code]

  • Le Merle mandarin. Journal satirique, n° 142 (10 août 1930) : « A PROPOS DES EXÉCUTIONS DE YÊN-BAY "Tout condamné à mort"... Au lendemain des treize exécutions de Yen-Bay, un journaliste français, M. Frédéric Boutet, publiait un dramatique article sur les exécutions capitales, dans les colonnes de l'illustré "Détective" du 19 juin. Il passait en revue les modes d'exécution en Extrême-Orient et en Amérique appuyant sa documentation de clichés un peu macabres de nature à provoquer une invincible émotion.- Qu'il me soit permis de l'imiter, sans accompagnement de photos, en soulevant, pour les lecteurs, un coin du voile qui dérobe le mystère de la peine de mort dans les îles de l'Océan Indien. - On sait que Madagascar, Maurice et la Réunion forment, sur la côte orientale d'Afrique, une flanc-garde de colonies prospères. Les trois îles, la grande et les deux petites sont reliées presque quotidiennement par de nombreux navires de grande ligne ou de cabotage. - Toutes les trois ont des crimes à déplorer et des exécutions à prévoir. Or, particularité curieuse, tandis qu'à Maurice — ancienne île de France — les anglais pendent haut et court leurs criminels indignes de toute pitié, à Madagascar on fusille, à la Réunion on guillotine. Le fusil, la corde et le couteau sont en concurrence sur ces terres lointaines où la justice a, elle aussi, des terribles exigences... - Cependant la loi française dit : "tout condamné à mort aura la tête tranchée..." - Comment se fait-il qu'à Madagascar colonie française depuis 35 ans, le châtiment suprême réservé aux militaires soit appliqué aux criminels de droit commun ? Tout simplement,parce que les gouverneurs généraux qui succédèrent à Galliéni n'éprouvèrent pas le besoin d'importer "Une Veuve" pour leurs États et la tranquillité de leurs sujets. Ils conservèrent le peloton d'exécution qui supprime les dépenses d'entretien d'un bourreau, de sa machine et de ses aides.- Alors, à Madagascar, tout condamné à mort n'a pas la tête tranchée comme l'exige la loi. Mais il a la peau trouée de 12 balles ce qui paraît aussi expéditif et moins odieux. - L'île de la Réunion fut gratifiée, après 1789, d'une guillotine premier modèle. C'était un charmant cadeau de la Convention aux Bourbonnais. Le pli qui l'accompagnait officiellement débutait par cette phrase engageante : "Citoyen gouverneur, K Nous t'expédions cet instrument de Liberté..." - L'instrument de liberté, véritable baraque foraine, devait servir surtout, par la suite, à trancher la tête des esclaves qui prenaient la clé des champs, l'esclavage ayant survécu à la Révolution, à l'Empire et à la Restauration. - L'administration de l'île de la Réunion a modernisé la machine en la délivrant de son encombrant échafaud mais elle a conservé le fatal triangle, cadeau de la Convention, lequel repose dans une caisse tapissée de velours gros bleu. Cinq condamnés font office de bourreau et d'aides volontaires qu'entraîne à leur besogne le directeur de la prison, gardien des bois de justice. Bien longtemps avant l'exécution prévue et parfois sous les yeux du pauvre condamné, les cinq volontaires multiplient les répétitions en remplaçant le patient par un tronc de bananier qu'ils promènent, attache nt, basculent et décapitent, tandis que le directeur chronomètre avec soin. - A propos de cette très ancienne machine, ancienne mais inusable, des chercheurs ont découvert qu'elle avait servi à guillotiner Louis XVI et que la Convention s'en était débarrassée en l'expédiant à l'île Bourbon. Elle aurait donc le caractère d'une relique. Mais comme la Nouvelle Calédonie réclame, pour sa guillotine, la même considération, la question historique n'a pas été tranchée. Il n'y a que les têtes... - A l'île Maurice, les anglais qui ne négligent aucun détail ont emporté, avec eux, leur potence réglementaire. C'est celle dont la photo figure en première page du journal "Détective". En août dernier, à Port-Louis, elle me fut présentée alors que trois chinois condamnés à mort, attendaient résignés, l'heure de la pendaison. Deux cellules sur trois donnaient sur la salle d'exécution astiquée et criée à souhait, A travers leurs grilles, ils pouvaient contempler à leur aise, les deux anneaux supportant les cordes. La loi veut qu'après la condamnation, le condamné ne soit exécuté qu'à la clôture du troisième dimanche. Passé ce délai, si le gouverneur, au nom du Roi, n'use pas de son droit de grâce, trois jours francs après ce refus, justice est faite. Un drapeau noir hissé sur la prison signifie à la foule que l'opération est terminée. - Par ce qui précède complétant sans détails inutiles et sans clichés troublants, la forte documentation de Frédéric Boutet, le lecteur pensera que si les hommes se sont accordé le droit de tuer pour punir, ils emploient pour l'accomplissement de cette triste besogne des moyens plutôt... variés. Henri de BUSSCHERE ancien vice-président du conseil général de la Réunion »

Etudiants expulsés[modifier le code]

  • Les lettres des étudiants renvoyés au vietnam aprés la manifestation devant le palais de la présidence française sont aux archives d'outre mer à Aix en provence. Certaines sont cités par* Van Thao Trinh, L'École française en Indochine, « Contestation et répression », p. 185 - « Les hommes de l'école indochinoise », p. 217 - « Les boursiers indochinois en France », p. 271 - Bibliographie », p. 309.

Les suites, après 1930[modifier le code]

  • Les textes sur les avocats commis d'office aux différents procés francais et indochinois (quand?)
  • Les textes du Comité d'Amnistie et de défense des Indochinois et des peuples coloniaux (à p.d. 1933)
  • Andrée Viollis, Indochine S.O.S., Gallimard, Paris, 1935. Andrée Viollis, journaliste comme Roubaud au Petit Parisien; avec Francis Jourdain, elle sera l'une figures centrales du Comité de défense et d'amnistie des Indochinois, fondé en mars 1933 pour réclamer l'amnistie des prisonniers politiques indochinois (d'après thèse d'Anne Renoult Indochine SOS. Andrée Viollis et la question coloniale, 2009). 3 mars 2010 à 19:20 (CET)
  • Harmattan Décolonisation du Viêt Nam : Un avocat témoigne, Par Dinh Khai Trinh. Ce livre contient l'intégrale du premier gouvernement constitué après le 9 mars 1945 et des informations sur la défense des nationalistes dans les années 30.
  • Les Compagnons de route de Hô Chi Minh : Histoire d'un engagement ..., Par Van Thao Trinh Karthala. Ce livre tente de retracer l'itinéraire individuel et collectif des compagnons de route du premier gouvernement présidé par le Président Hô Chi Minh au lendemain de la révolution d'août 1945. La démarche s'inscrit dans la lignée des travaux en histoire sociale qui récusent une vision objectiviste des rapports de classes dans la mesure où celle-ci ignore, ou escamote, les liens organiques entre les modalités de socialisation, les expériences de classe et la "culture de classe" (E. Thompson). Si l'approche conjoncturelle permet d'identifier l'individu ou son groupe d'appartenance en tant qu'acteur en situation réelle, seule une anthropologie historique travaillant sur le temps long autorise la compréhension des logiques sociales de l'action et l'éthique morale et idéologique sous-jacente . Dans cette histoire d'un engagement intellectuel, culture de classe et réseaux de sociabilité ne sont que les deux faces d'une même logique sociale, celle de la socialisation lettrée incarnée et perpétuée par la figure symbolique de Nguyen Trai (1380-1442). Entre le stratège, l'homme d'État et l'humaniste du XIVe siècle et les compagnons de route de 1945, interviennent pourtant la fracture coloniale et le passage obligé à la modernité. D'où la question à laquelle on tentera de répondre ici : existe-t-il une identité culturelle qui caractérise ces hommes marqués tout de même par un modèle de socialisation frappé du coin de l'individualisme, du sens critique et d'un certain civisme républicain qu'apporte la culture française ? Ou bien derrière l'unanimisme mythifié par la tradition et exalté par les circonstances subsistent-ils néanmoins des différences significatives dans les pratiques sociales ?

Mémoire au Viêt Nam[modifier le code]

Quid de la mutinerie ds. la mémoire vietnamienne ?

  • Quelqu'un pourrait-il traduire ceci : "Hiện nay khu di tích mộ Nguyễn Thái Học và các đồng chí nằm ngay tại thị xã Yên Bái, được Nhà nước Việt Nam xếp hạng di tích lịch sử văn hóa. Nguyễn Thị Giang tức Cô Giang, đồng chí và là hôn thê của Nguyễn Thái Học, cũng tuẫn tiết tại làng Thổ Tang sau đó một ngày." ? (en français qui ressemble à du français, s'entend... parce que les traductions automatiques laissent tout de même quelque peu à désirer...)
  • Un petit montage vidéo trouvé sur YouTube...
  • Sur le livre dont la couverture apparaît dans le montage.

Rues[modifier le code]

Des rues (Đường - j'ai appris un mot...) au Viêt Nam porte le nom de Hoc, à Hội An, à Đà Lạt... 3 mars 2010 à 19:40 (CET)

Poésie[modifier le code]

  • Un poème consacré aux événements de Yen Bái figurait dans les manuels des écoles primaires vietnamiennes :
Ngày Tang Yên Bái
Gió căm hờn rền rĩ tiếng gào than
Từ lưng trời sương trắng rủ màn tang
Ánh mờ nhạt của bình minh rắc nhẹ
Trên Yên Bái đang u sầu và lặng lẽ
Giữa mấy hàng gươm sáng tỏa hào quang
Mười ba người liệt sỹ Việt hiên ngang
Thong thả tiến đến trước đài danh dự
Trong quần chúng đứng cúi đầu ủ rũ
Vài cụ già đầu bạc lệ tràn rơi
Ngất người sau tiếng rú ới con ơi
Nét u buồn chợt mơ màng thoáng gợn
Trên khóe mắt đã từng khinh đau đớn
Của những trang anh kiệt sắp lìa đời
Nhưng chỉ trong giây lát vẻ tươi cười
Lại xuất hiện trên mặt người quắc thước
Đã là kẻ hiến thân đền nợ nước
Tình thân yêu quyến thuộc phải xem thường
Éo le thay! Muốn phụng sự quê hương
Phải dẫm nát bao lòng mình quí mến
Nhưng này đây, phút thiêng liêng đã đến
Sau cái nhìn chào non nước bi ai
Họ thản nhiên lần lượt bước lên đài
Và dõng dạc buông tiếng hô hùng dũng
"Việt Nam muôn năm!" Một đầu rơi rụng
"Việt Nam muôn năm!" Người kế tiến lên
Và tử thần kính cẩn đứng ghi tên
Những liệt sĩ vào bia người tuẫn quốc

Q : C'est vrai que c'est intéressant. Si quelqu'un versé à la fois dans les langues vietnamienne et française pouvait en traduire l'âme... Rflock (d) 10 mars 2010 à 16:25 (CET)[répondre]

R : voir Persée http://www.persee.fr XI. « Aperçu sur la poésie vietnamienne de la décade pré-révolutionnaire », Du'o'ng Dînh Khuê; Nicole Louis-Hénard, « XI. Aperçu sur la poésie vietnamienne de la décade pré-révolutionnaire », dans Bulletin de l'Ecole française d'Extrême-Orient, t. 65 (1978), p. 431-492.

Extraits à l'état brut pouvant éventuellement être exploités[modifier le code]

Terreur rouge en Annam[modifier le code]

Comité d'amnistie et Réponse au Bulletin d'informations publié par le Comité d'Amnistie aux Indochinois, en Mai 1933=[modifier le code]

Le Comite d'amnistie , site http://revueagone.revues.org/290 Civilisation française en Indochine Marcel Martinet Rappel d’un récent passé Depuis Yen-Bay, la justice française & les annamites Une journée indochinoise La justice française & les tueurs d’annamites Et maintenant ?

Réponse de P. Pasquier - Gouverneur de l'Indochine Le groupement qui a répandu dans la Presse métropolitaine et coloniale et fait circuler dans les syndicats affiliés à la C. G. T. U. le Bulletin d'informations auquel la présente note donne la réplique s'est" donné pour but d'obtenir une amnistie générale en faveur de tous les indigènes qui ont été condamnés en Indochine à l'occasion des troubles politiques de 1930-1931.

Il ne saurait être question de mettre en doute la noblesse des sentiments ni même la bonne foi des honorables personnalités qui ont cru devoir se placer à la tête de cette campagne.

Il s'agit simplement ici d'opposer aux contre-vérités et aux calomnies dirigées contre le Gouvernement colonial français, dont ce bulletin est rempli, un démenti formel appuyé sur des faits et des documents indiscutables, d'après les archives judiciaires et les dossiers conservés à la Direction des Affaires Politiques et de la Sûreté Générale du Gouvernement Général de l'Indochine.

Il est hors de discussion possible aujourd'hui que les événements politiques de 1930-1931 ont été, pendant plusieurs mois, caractérisés par une véritable Terreur Rouge qui s'est déchaînée dans trois provinces de l'Annam et sur quelques points de la Cochinchine.

A cette Terreur Rouge, les autorités locales, responsables du rétablissement de l'ordre et de la protection des habitants paisibles, n'ont jamais opposé que les moyens de répression strictement autorisés par la loi.

Elles ont interdit, en usant de la force dans les conditions légales, les manifestations collectives contraires à l'ordre public; elles ont recherché, arrêté et déféré à la justice régulière tous les fauteurs de désordre et tous les criminels et délinquants ayant profité de ces désordres pour commettre des méfaits.

Il est positivement absurde de demander indistinctement la grâce ou l'amnistie de tous les individus qui ont été ainsi traduits devant les tribunaux.

Les uns, en effet, étaient de véritables criminels ou délinquants de droit commun, ayant assassiné, incendié, pillé, volé. Le fait qu'ils s'étaient donnés l'étiquette communiste ne peid rien changer à la nature de leur culpabilité. Partout où la propagande communiste a été intensive, toute la pègre locale s'est immédiatement enrôlée sous le drapeau rouge. C'est un fait bien établi que l'agitation communiste a produit dans ces milieux asiatiques un déchaînement inouï de criminalité et de cruauté. M. le Ministre Albert Sarraut a donc eu parfaitement raison de s'opposer au cours de la séance de la Chambre du 21 Février 1933, à l'amnistie de celte catégorie d'individus, qui devront avoir expié leurs fautes et fait preuve de quelque repentir avant de pouvoir bénéficier de mesures bienveillantes. Il n'y a aucune raison de les soustraire au droit commun.

Les autres étaient des agitateurs professionnels responsables de tous les maux causés par les troubles qu'ils avaient provoqués ou de simples manifestants plus ou moins conscients du rôle qu'ils avaient joué. Ce sont à proprement parler des condamnés politiques.

Or, dans cette catégorie de condamnés, tous ceux qui n'avaient pas eu dans les troubles un rôle de premier plan, tous ceux qui, n'ayant pas été des fanatiques ou des révolutionnaires professionnels, ne portaient pas les plus lourdes responsabilités, tous ceux qui n'avaient été, en un mot, que de pauvres égarés, tous ont été l'objet de mesures gracieuses dès que la pacification put être considérée comme définitive. Ces mesures de grâce sont intervenues à l'occasion du voyage de M. le Ministre Paul Reynaud, en décembre 1931, puis à l'occasion du retour en Annam de S. M. Bao-Dai, en octobre 1932, et enfin, pour les plus récentes, à l'occasion des fêtes nationales française et annamite de 1933. La grande majorité des condamnés politiques étaient donc déjà graciés en Indochine bien avant les initiatives généreuses du « Comité d'Amnistie. »

Il n'y a plus en détention que des condamnés politiques ayant encouru des peines de longue durée: déportation, détention, emprisonnement. On admet parfaitement que de larges mesures de clémence puissent être décidées en leur faveur. Voici quelle est exactement à cet égard l'a ligne de conduite du Gouvernement colonial, d'après les instructions adressées au Gouverneur Général de l'Indochine par M. le Ministre des Colonies dans une dépêche datée du 28 Mars 1933.

«Il ne vous échappera pas que l'article 12, à l'égard des infractions amnistiées parla loi, mais non amnistiées par les décrets, envisage l'intervention de grâces amnistiantes individuelles en faveur des condamnés qui, antérieurement à la loi, ou pour l'exercice qui suivra sa promulgation, auront bénéficié d'une remise totale ou de la remise de l'entier restant de la peine par la voie de la grâce ordinaire, et, par conséquent, en dehors de toute amnistie. :

« La grâce amnistiante, qui est alors individuelle, suppose donc nécessairement sa superposition à une grâce ordinaire et* qui plus est, à une grâce ordinaire totale. L'intérêt de cette mesure est que le bénéficiaire verra sa peine effacée totalement ; il n'en subsistera plus rien, même à son casier judiciaire. C'est assez dire que son application doit résulter d'un examen très consciencieux de chaque cas d'espèce, fait dans un esprit de généreuse bienveillance. Pour trouver exactement à ce sujet la pensée du Gouvernement, vous voudrez bien vous reporter aux deux discours que j'ai prononcés à la Chambre au cours du débat sur l'amnistie. Je désire que vous vous inspiriez de mes déclarations pour les propositions que vous serez appelé à me faire et que vous ne perdiez pas de vue que si le Parlement a repoussé, sur ma demande, l'amnistie massive et générale dont auraient bénéficié les meneurs et les responsables dés troubles sanglants de 1930, il a marqué sa volonté de pardon et d'oubli en faveur des égarés qui n'ont été que des instruments entre les mains d'agitateurs et de criminels parfaitement conscients et responsables de ce qu'ils faisaient. A l'égard des pays protégés, le législateur français, sur ma demande, a admis qu'il ne lui appartenait pas d'y ordonner l'amnistie par un texte impératif empiétant sur les attributions judiciaires et le droit de grâce reconnus aux souverains protégés. Le Gouvernement lui-même, dans les décrets visés à l'article 12 de la loi, ne légiférera qu'à l'égard des ressortissants européens et assimilés, notamment des indigènes naturalisés français, et c'est en ce sens que ledit article mentionne nos Protectorats. Mais cependant, pour tenir compte du désir du Parlement que le geste de clémence s'étende même aux pays protégés, il vous appartiendra de signaler à la haute bienveillance des souverains intéressés la loi votée le 14 Mars 1933 afin de leur permettre d'apprécier si, dans un souci d'apaisement général, il ne conviendrait pas qu'ils s'inspirassent de l'esprit de cette loi en ce qui concerne leurs sujets.

Les autorités de l'Indochine n'ont pas autre chose à faire que d'exécuter fidèlement ces instructions.

Il serait trop long, et du reste fastidieux, de reprendre en détail tous les faits cités dans le bulletin du Comité d'Amnistie. Tous, sans exception, sont ou faux ou déformés. Il suffira d'en donner les exemples qui suivent :

1°. — On lit à la page 11 du bulletin : Trois annamites fusillés parce que révolutionnaires < Nous extrayons du journal « Dông-Phap » (France Asie) de langue annamite du 25 Février dernier, la sinistre information suivante :

« Vinu, 24 Février. — La cour criminelle de Vinh dans son verdict en 1932 a condamné à mort Li-Vau-Phan, «35 ans, natif de la commune Xuàn-Ho, canton de XuAn-Liên, sous-préfecture de Nam-Dan, province de Nghê-An, et « Nguyên-Công-Huy, 25 ans, commune de Xuân-Duong, canton de Xuân-Lam, sous-prélecture de Thanh-Chuong, « province de Nghê-An.

« ce matin du 19 Février 1933 les mandarins provinciaux ont envoyé sous bonne escorte Phan et Huy à leurs vlllBtïes Ils ont été fusillés le 20 Février 1933 au matin sous la présence des mandarins provinciaux leurs juges, et les « notables du village, et de nombreux habitants des environs. Il n'y a pas eu d'incidents.

Leurs crimes : Li-Van-Phan soupçonné d'avoir appartenu à une société secrète à l'étranger— d'avoir vécu longtemps en Chine, avoir été aussi élève d'une école militaire et même avoir servi comme officier dans l'armée chinoise. Surveillé par la Sûreté Générale de l'Indochine depuis longtemps, a fini par tomber dans son filet.

Tandis que Nguyên-Công-Iiuy est soupçonné seulement d'avoir appartenu à la société secrète en Indochine et d'avoir contribué au développement du mouvement révolutionnaire.

Et nous lisons dans le numéro du 1er Mars du journal de langue annamite Tiêng-Dân (La Voix du Peuple) que Nguyên Duc-Hun, natif de Châu-Mê, ayant commis plusieurs crimes politiques, a été fusillé le 18 Février à Pmi-Lôc (canton de Mô-Duc). »

La vérité est autre :

Lê-Van-Phan dit Hông-Son

Lê-Van-Phan dit Hông-Son, n'a pas été condamné du fait de son activité révolutionnaire, mais pour des crimes de droit commun. Emigré au Siam en 1919, il a gagné peu après la Chine où il s'est mis au service des dirigeants du mouvement révolutionnaire annamite déjà responsables de tant d'attentats et d'agressions à main armée.

Au cours de sa carrière d'abord nationaliste puis communiste, Hông-Son a perpétré trois assassinats dont il a laissé une relation écrite. La traduction de cette déclaration est donnée ci-après.

Le 11 Février 1922, sur l'ordre du Prince Cuong-Dè, prétendant au trône d'Annam, il a abattu de cinq coups de revolver, dans un jardin public de Hangtchéou (Tchékiang), l'Annamite Phan-BaNgoc, soupçonné par ses compatriotes de vouloir faire auprès d'eux de la propagande en vue d'une politique de collaboration franco-annamite. En Décembre 1926, assisté de Ho-Tung-Mâu, il a assassiné sauvagement, dans là banlieue cantonaise, l'Annamite Kim-Quang-Ich soupçonné d'être un agent du Gouvernement de l'Indochine. Lê-Van-Phan dit Hông-Son, qui s'était servi d'un marteau pour frapper sa victime â la tête, a raconté avec la plus parfaite sérénité qu'il avait été couvert de sang et d'éclats de cervelle.

Au début de 1930, Hong-Son se trouvant au Japon, auprès du prince Cuong-Dê, a aidé celui-ci à noyer dans la rade de Tokio le nommé Nguyên-Thoi-Hien dit Lai-Minh, compagnon du prince à qui il avait cessé de plaire.

Arrêté le 25 Septembre 1932, Hong-Son a été condamné le 24 Décembre 1932, à la peine de mort. Fier de faire étalage de son rôle de révolutionnaire, Hong-Son a écrit de sa propre main une déclaration en caractères chinois contenant l'aveu de ses crimes, et dont la traduction suit :

« Je, soussigné Lê-Phan dit Hong-Son, fils de Lê-Van-Hanh et de Dinh-Thi, originaire du hameau de Nho-Phai, village de Xuân-Hô, canton de Xuân-Liêu, huyên de Nam-Dan, province de Nghê An, déclare avoir participé ou assisté :

« 1. — A l'assassinat de Phan-Ba-Ngoc, au lac de l'Ouest, à Hangtchéou, sur l'ordre de Cubng- De et sous l'empire d'un juste ressentiment. Un jour, je ne puis préciser ni la date ni l'heure, je me promenais avec Dang-Xuan-Thanh, Ngo-Chinh-Quoc, Hoang-Khac-Trung, qui n'étaient pas au courant de mon dessein, et la victime. A un certain moment, je pris mon revolver et je tirai cinq halles sûr Phan-Ba-Ngoc qui s'affaissa sur le sol. Sur ce, je rejoignis le local de l'Y. M. C. A. et y passai la nuit, Le lendemain matin, je me dirigeai sur Changhai pour me rendre de là au Japon.

« 2. — A l'assassinat de Kim-Quang-Ich, dans la banlieue de la ville de Canton, sur l'ordre du parti «Thanh-Niên». (La suppression de cet ennemi de la révolution fut décidée au cours d'une réunion tenue par Nguyen-Ai-Quoc,Lam-Duc-Thu, Ho-Tung-Mau et moi-même). Un certain jour,je me promenais avec Ho-Tung-Mau, qui n'a pas pris part au crime, et la victime. A. un moment donné, j'ai saisi sur moi une hachette et j'ai tué Kim-Quang-Ich. Le coup fait, Ho-Tung-Mau et moi sommes revenus à la maison.

« 3. — A la noyade de Lai-Minh (Note. — Je n'ai ni prémédité ni perpétré le crime-suivant. Je savais que Cuong-De l'avait préparé, mais je le" désapprouvais. J'ai seulement assisté à son exécution.

La victime a été noyée dans les eaux de Tokio par Cuong-De qui l'accusait de se parer du titre de révolutionnaire pour ruiner sa réputation.

Un jour, je ne puis préciser ni la date ni l'heure, Cuong-Dê engagea Lai-Minh et moi à faire en mer une promenade de quelques heures. Nous louâmes un canot et nous gagnâmes le large. Une fois loin dé la côte, nous laissâmes le canot aller à la dérive et nous décidâmes de nous baigner. Le canot était muni de deux ceintures de sauvetage. Cuong-Dê dit à Lai-Minh de se baigner le premier, et nous restâmes tous deux dans le canot. Quand Lai-Minh eut fini, Cuong-Dê lui dit de me remettre sa ceinture de sauvetage. Après avoir mis chacun notre ceinture, nous nous jetâmes à l'eau. Lai-Minh restait seul dans le canot. Peu après, Cuong-De saisit le canot et le fit chavirer. Lai-Minh tomba à l'eau et, comme il ne savait pas nager, il se noya. Je dis alors à Cuong-De : «Lai-Minh est mort. Comment expliquerez-vous sa disparition?» Il me répondit : «J'ai trouvé un moyen ». Sur ce, nous revînmes à terre en canot et nous retournâmes aussitôt à la maison. Cuong-Dê se rendit sans désemparer au Commissariat et déclara que Lai-Minh, qui ne savait pas nager, s'était noyé. La police se livra pendant plusieurs jours à une enquête dont les résultats me sont inconnus. Parla suite Cuong-Dê reçut le corps de Lai-Minh et le fit incinérer.

Je reconnais que les trois photographies ci-dessous sont, de haut en bas, celles de Phan Ba Ngoc, Kim-Quang-Ich et Lai-Minh .

Fait à Hanoi, le 5 Novembre 1932

Signé : LÊ-VAN-PHAN dit HONG-SON

Nguyên- Công-Huy dit Kim

Nguyên-Công-Huy, connu en révolution sous le nom secret de Kim, a d'abord été secrétaire de la cellule de son village. A titre de membre de la section sous-préfectorale de Anh-Son (province de Nghê-An), il a commis quatre crimes de droit commun.

Arrêté le 10 Mars 1932, il a été condamné:

1. — Aux travaux forcés à perpétuité par jugement du 6 Avril 1932 du tribunal provincial du Nghê-An, pour avoir assassiné le nommé Nguyên-Dinh-Giao ;

2. — A la peine de mort par jugement du 2 Juin 1932 du même tribunal pour avoir tué le nommé Nguyên-Si-Dang ;

3. — A la peine de mort par jugement du 16 Juin 1932 du même tribunal pour avoir assassiné le nommé Ngujrên-Thanh ;

4. — A la peine de mort par jugement du 9 Juillet 1932 du même tribunal pour avoir assassiné: le nommé Kiêm-Nghi.

Nguyên-Duc-Hung, dit Nguyên-Quang, dit Nguyên-Gang

Nguyên-Duc-Hung, dit Nguyên-Quang, dit Nguyên-Gang, a organisé, au début de 1931, un groupe de sicaires dont il surveillait sans répit l'entraînement. > ' '.

Aidé de sa troupe de bandits, il a assassiné, le 8 Février 1931, le nommé Nguyên-Do et fait enterrer vif, en avril suivant, le nommé Nguyên-Vy qu'il soupçonnait d'être un agent du Gouvernement.

Arrêté en mars 1932, il a été condamné pour ces crimes à la peine de mort par jugements des 16 Juillet et 23 Septembre 1932 du tribunal provincial de Quang-Ngai.


2°—Le rédacteur du bulletin termine ainsi le procès de l'Administration et de la Justice indochinoises :

121 indochinois menacés de mort et du bagne (page 13 du bulletin)

Enfin, terminons en dénonçant énergiquement le procès inique qui a dû commencer le 2 Mai dernier à Saigon.

Pour avoir participé aux mouvements paysans de Cochinchine de 1930 et de 1931, 121 Annamites emprisonnés et torturés depuis 3 ans, sont menacés de verdicts semblables à quelques-uns de ceux que nous avons signalés ici.

Car la Commission criminelle devant laquelle ils doivent comparaître compte déjà à son actif 164 condamnations à mort dont 38 ont été exécutées, et plusieurs milliers de condamnations au bagne et à la prison.

Il s'agit ici du procès Ngo-Gia-Tu et consorts. Cet important procès qui a été jugé par la Cour criminelle de Saigon, le 2 Mai et les jours suivants, était l'aboutissement de 12 informations ouvertes successivement depuis le 2 Avril 1930 au fur et à mesure des révélations des prévenus. Celles-ci amenaient de nouvelles arrestations et inculpations, non seulement pour des crimes et délits politiques, mais pour des assassinais et autres crimes de droit commun.

Toutes ces informations furent jointes à cause de l'enchevêtrement des dossiers de procédure. Certains prévenus paraissant en nom dans plusieurs dossiers et étant compromis simultanément dans plusieurs affaires, il en résultait la nécessité d'une unité d'action judiciaire.

La longue durée de l'instruction s'explique par le nombre des inculpés, la gravité des accusations, la difficulté des enquêtes souvent paralysées par la crainte de représailles inspirée aux témoins, la nécessité enfin d'attendre l'arrestation des principaux coupables en fuite. Ainsi les nommés Hô-Van- Long, qui a été condamné aux travaux forcés à perpétuité, et Lê-Van-Hâu dont les méfaits furent sanctionnés par la déportation, n'ont été arrêtés qu'en juillet et octobre 1932 seulement.

La procédure, faite en conformité du code d'instruction criminelle, a été parfaitement régulière. L'affaire a été examinée avec grand soin par la Cour criminelle, juridiction ordinaire correspondant à la Cour d'Assises, et non par la Commission criminelle, juridiction d'exception qui n'existe pas en Cochinchine : les débats ont duré 5 jours entiers, le délibéré 11 heures, et l'arrêt ne fut rendu que le 7 Mai à 4 heures du matin après lecture qui dura une heure trente. Tous les inculpés s'étaient vu désigner des avocats d'office.

Il y a lieu de retenir que sur un total de 1388 inculpés déférés au Parquet de Saigon depuis le début des troubles communistes, 804 bénéficièrent d'ordonnances ou d'arrêts de non-lieu, bien que leur culpabilité ne fût pas douteuse ainsi que le constate l'arrêt delà Chambre d'Accusation. En outre, 451 inculpés furent renvoyés en correctionnelle. Finalement, 119 seulement furent déférés à la Cour criminelle.

Les magistrats saigonnais ont procédé avec méthode et dans un très grand esprit de libéralisme et d'humanité à la discrimination des inculpés, correctionnalisant à l'extrême et ne conservant pour la Cour criminelle que des individus convaincus de crimes nettement caractérisés et d'une gravité indiscutable parmi lesquels on relève : six assassinats, trois tentatives d'assassinat, sept attaques et pillages à main armée, un incendie volontaire et plusieurs vols d'armes de guerre.

Le verdict rendu le 7 Mai 1933 par la Cour criminelle de Saigon a prononcé huit condamnations à mort, dix à la déportation, dix aux travaux forcés à perpétuité, douze à 20 ans de travaux forcés, neuf à 15 ans de travaux forcés, une à 10 ans de travaux forcés, une à 5 ans de travaux forcés, neuf à 20 ans de détention, neuf à 15 ans de détention, dix-sept à 10 ans de détention, vingt-deux à 5 ans de détention et onze acquittements.

Les nommés Huynh-Van-Binh, Huynh-Van-Gon, Dang-Van-Cu, Pham-Van-Khuong, Nguyen-Van-Ton, Nguyên-Van-Ut dit Ho, Le-Quang-Sung dit Hoang et Cao-Van-Luong, qui ont été condamnés à la peine capitale, ont été convaincus d'avoir commis un ou plusieurs crimes au nom du parti communiste.

En réponse à la protestation que le « Comité d'Amnistie et de défense des Indochinois et des peuples coloniaux » avait adressée à M. le Ministre des Colonies au sujet de ce verdict, M. le Gouverneur Général P. Pasquier a fait parvenir au Département la lettre reproduite in-extenso ci-après. Cette lettre réduit à néant les critiques formulées dans cette protestation.

Le Gouverneur Général de l'Indochine, Grand Officier de la Légion d'Honneur, à Monsieur le Ministre des Colonies (Direction des Affaires Politiques), à Paris

Par lettre avion 149 du 19 Juillet, vous m'avez communiqué copie d'une protestation qui vous a été adressée par le « Comité d'Amnistie et de défense des Indochinois et des peuples coloniaux », au sujet du verdict de la Cour criminelle de Saigon du 7 Mai dernier et vous m'avez demandé de vous faire connaître mon avis sur les faits mentionnés dans cette correspondance. Je m'empresse de déférera cette invitation et je le fais d'autant plus volontiers que obéissant aux mêmes sentiments d'humanité qui animent les membres de ce comité, j'ai moi-même éprouvé une vive émotion lorsque j'ai connu la rigueur de ce verdict et que j'ai aussitôt marqué au Gouverneur de la Cochinchine et au Procureur Général mon intention de recommander le plus grand nombre possible de ces condamnés à la clémence du Chef de l'Etat. Je ne pourrai toutefois prendre l'initiative démesures gracieuses en cette affaire avant que la Cour de Cassation, actuellement saisie de 87 pourvois, ait statué et que les condamnations soient devenues définitives.

Use peut, d'ailleurs, que la Cour suprême, qui ne manquera pas de se prononcer à-brève échéance, casse l'arrêt dont il s'agit. S'il en est ainsi, de nouveaux débats se dérouleront, une nouvelle sentence interviendra et, par conséquent, les condamnés en cause bénéficieront d'un surcroît de facilités pour faire assurer leur défense. Cette solution serait certainement de nature à répondre de la façon la plus satisfaisante aux vœux du « Comité d'Amnistie ».

J'aurais voulu pouvoir examiner point par point les griefs énumérés dans la lettre de ce comité que j'ai sous les yeux. J'en suis empêché à mon très grand regret par le fait que tout le dossier judiciaire de cette affaire n'est plus-en Indochine, ayant été adressé depuis le 24 Juin dernier au Greffe de la Cour de Cassation.

Les explications qui vont suivre, et que je me ferai un devoir de compléter dès qu'il sera de : nouveau possible de compulser les dossiers, me permettent néanmoins de rectifier tout de suite quelques-unes des assertions qui constituent l'élément le plus impressionnant de cette protestation et la justifieraient si elles étaient reconnues fondées.

Il est parfaitement vrai qu'au lendemain du verdict du 7 Mai, 89 condamnés ont été transférés à l'île de Poulo-Condore. Mais, et c'est là que réside l'erreur commise par les personnes, sans doute de bonne foi, qui ont renseigné le «Comité d'Amnistie», ce transfert ne signifie nullement que l'Administration de Cochinchine a procédé à l'exécution du jugement au mépris de l'article 444 du Code d'instruction criminelle. Les individus transférés n'ont pas été mis au régime pénal que comporterait leur condamnation si elle était définitive. Cette mesure a été décidée uniquement pour décongestionner la prison de Saigon où, à cette époque, le nombre des détenus était excessif eu égard aux dimensions des locaux existants. Le Gouvernement local est obligé pour des raisons d'hygiène, dans l'intérêt même de l'état physique des détenus, d'envoyer périodiquement à Poulo-Condore des condamnés de toutes catégories sans pour cela faire de ceux-ci des « bagnards ».

Le Pénitencier de Poulo-Condore n'est pas en réalité exclusivement un bagne pour forçats. Il possède des installations où les détenus peuvent être laissés au régime de la prévention, et où ils jouissent d'une aisance et de conditions de vie au grand air, qui sont pour les intéressés bien préférables à l'entassement dans la prison de Saigon, établissement de superficie restreinte situé au coeur même de la ville. Et cela est si vrai que plusieurs des condamnés dont il s'agit, qui étaient depuis de nombreux mois enfermés dans cette prison, ont eux-mêmes demandé à être transférés de suite à Poulo-Condore. Je ne crains pas d'être démenti, et j'en appelle ici aux connaissances de M. Félicien Challaye lui-même, en rappelant que l'îlot de Poulo-Condore, situé à proximité des côtes de la Cochinchine et balayé sans cesse par les vents de mousson, est un des lieux les plus salubres de notre possession asiatique. C'est donc l'idée inexacte qu'on a eue de la chose qui a motivé l'indignation dont vous avez eu l'écho. La réalité est tout autre. Il n'y a eu aucune illégalité commise puisque, je le répète, ces condamnés n'ont pas été mis au régime de leur peine et ce transfert ne constitue en aucune manière une aggravation matérielle du sort des intéressés. Je veux espérer que cette simple explication suffira pour donner tous apaisements sur ce point au « Comité d'Amnistie ».

J'ai d'ailleurs donné pour instructions formelles au Gouverneur de la Cochinchine de faire réintégrer la prison de Saigon à ceux de ces condamnés qui, directement ou par la voix de leurs conseils, le demanderaient.

Je passe maintenant au grief d'après lequel des aveux auraient été arrachés par la torture au cours de l'instruction et des inculpés auraient été présentés à la barre, le jour de l'audience criminelle, qui avec un bras fracturé, qui avec la colonne vertébrale brisée. Je n'hésite pas à donner le démenti le plus formel à de telles allégations et à donner l'assurance que pareil spectacle ne s'est jamais produit. Sur ce point encore, la bonne foi des honorables personnalités composant le « Comité d'Amnistie » a été surprise par des rapports faux ou tendancieux. Voici ce que m'écrit M. le Procureur Général p. i. Lafrique, à qui j'ai prescrit de vérifier tous ces faits : « Le jour de l'audience, il se trouvait en effet parmi les accusés un malheureux qui ne pouvait pas se tenir debout. 11 était atteint de béribéri, et le président, de suite, a ordonné qu'on le reconduisit à l'hôpital de Cho-Quan d'où il avait été extrait. La cause de cet accusé avait été disjointe par ordonnance spéciale lors de son dernier interrogatoire en raison de son état de santé ».

Tel est le fait réel sur lequel certains esprits malveillants ont bâti la légende d'accusés amenés à la barre portant des marques de violences précédemment subies. Ài-j.e besoin de dire que rien n'est plus aisé que de vérifier à l'hôpital de Cho-Quan de quel mal était atteint l'individu dont il s'agit et que les témoignages du corps médical ne peuvent être suspectés en l'occurence. On sait que le béribéri est une maladie organique spéciale aux races asiatiques, très grave puisqu'elle est presque toujours mortelle et qui met de longues semaines à évoluer.

Procureur Général affirme qu'il n'est jamais venu à sa connaissance que des brutalités aient été exercées au cours de l'instruction de ce procès sur les accusés, qu'au surplus ceux-ci n'auraient pas manqué de s'en plaindre au juge d'instruction et qu'il est un principe à l'observation duquel aucun magistrat ne saurait faillir à savoir que : le juge d'instruction lorsqu'il se trouve en présence d'un prévenu prétendant avoir été frappé, doit le consigner dans son audition et ouvrir immédiatement une enquête. Or, il n'existe aucune trace d'enquêtes de ce genre dans les dossiers du cabinet d'instruction qui a connu de ce procès.

C'est un procédé depuis longtemps utilisé par les accusés indigènes que de prétendre, lorsqu'ils sont interrogés en audience publique, qu'ils ont été torturés par les commissaires qui ont eu à les interroger. Leurs avocats tirent de ces rétractations sensationnelles des effets d'audience. Mais il y à longtemps aussi qu'on sait à quoi s'en tenir sur celle tactique de défense chère aux asiatiques.

La vérité est qu'il est pratiquement impossible dans une instruction judiciaire faite selon les règles de la loi française, et c'est le cas en Cochinchine, d'obtenir des aveux ou des témoignages par l'application de tortures corporelles. J'ai déjà eu l'occasion de le démontrer. On ne pourrait soutenir le contraire qu'en jetant une suspicion inadmissible sur tout le corps de la magistrature coloniale.

Aussi bien d'ailleurs dans les campagnes des adversaires du Gouvernement colonial qui, périodiquement, reviennent sur ce sujet, se garde-t-on d'imputer la pratique de ces procédés aux magistrats eux-mêmes. On sait en effet que les juges d'instruction ne pourraient s'y livrer en présence de leur greffier et de l'avocat de l'accusé. On se borne à incriminer les fonctionnaires de la police auxquels les juges d'instruction ont la faculté de confier des délégations et, l'imagination aidant, la légende a été facile à créer et à exploiter qui représente ces policiers comme étant autant de tortionnaires. Le grand public facile à impressionner s'y laisse prendre. Or, les choses ne sont pas si simples. Un juge d'instruction qui délègue un commissaire de police pour entendre un accusé ou un témoin n'est pas déchargé pour cela de toute responsabilité. Il couvre les actes de celui qu'il a délégué, dont il a le devoir de contrôler la conduite. Peut-on admettre qu'un magistrat français cligne de ce nom tolérerait, s'il en avait connaissance, de la part de son auxiliaire des procédés d'interrogation que la loi et la morale réprouvent? Bien plus, le juge d'instruction — de cela il est facile de se rendre compte en compulsant les dossiers — ne se contente pas de recevoir les procès-verbaux dressés par le commissaire délégué ; il doit interroger lui-même à son tour l'inculpé sur les déclarations contenues dans ces procès-verbaux et c'est à ce moment là, en présence de l'avocat et en tout cas d'un greffier, que l'inculpé se rétractera s'il a été contraint de parler sous la violence. Enfin, il ne faut pas perdre de vue que les avocats des accusés ont aussi le droit d'assister aux interrogatoires faits par les commissaires délégués. On voit à quel danger s'exposeraient 1 s commissaires aux délégations si la pratique des procédés de torture qu'on leur impute était si courante qu'on s'évertue à le faire croire.

Pour en terminer avec cette question et pour finir d'éclairer la religion du «Comité d'Amnistie», qui a été manifestement surprise en l'espèce, j'ajouterai que tout individu appréhendé par les services de police doit être conduit dans un délai de 24 heures au juge d'instruction et que si celui-ci délivre un mandat de dépôt, l'inculpé ne peut plus être extrait ensuite de la prison sans son ordre. La police n'a plus aucun moyen de s'en saisir, autrement qu'en vertu d'une délégation régulière du juge donnée à un commissaire qualifié. Ces règles ont été toujours strictement appliquées en Cochinchine. Il suffit de les rappeler pour faire justice de toutes les allégations d'après lesquelles les accusés sont ici livrés à l'arbitraire de la police.

Les critiques trop facilement formulées à l'adresse du magistrat instructeur qui n'aurait fait, dans cette affaire, affirme-t-on dans la lettre du «Comité d'Amnistie», qu'entériner le travail copieux et laborieux de la Sûreté sont contredites par les documents même des dossiers de l'instruction et procèdent dans une certaine mesure d'une confusion qui s'est établie entre le rôle de la police chargée de la recherche des preuves matérielles des délits ou crimes poursuivis et celui des magistrats juges.

La Police de Sûreté a effectivement joué un rôle capital pour le succès de l'action publique dans cette affaire, mais sans sortir de ses attributions normales qui sont l'investigation et l'exécution des opération de police judiciaire. C'est elle qui, grâce à la perfection de son organisation, à l'activité intelligente de ses agents, a réussi, c'est indiscutable, à déceler tous les organes clandestins de l'Association secrète dénommée «Công-San Dang», a saisi des quantités considérables de pièces à conviction, statuts, registres, brochures, mots d'ordre, journaux clandestins, matériel d'imprimerie, armes, drapeaux, qui constituent les preuves matérielles de l'existence du complot, c'est elle qui a livré à la justice, à la suite d'habiles et patientes recherches et au prix parfois de réels dangers, les plus audacieux et les plus dangereux fauteurs de troubles de cette période 1930-1931 où la criminalité en Cochinchine a atteint un taux qui n'avait jamais été enregistré auparavant. Il apparaît donc bien que les services de police ont admirablement rempli leur mission. Mais c'est tout et c'est commettre une confusion regrettable que de leur attribuer également ce qui doit être l'œuvre propre du magistrat instructeur, œuvre qui fut en l'espèce considérable ainsi qu'en témoignent les dossiers — plus d'une tonne de liasses — de l'instruction. Interrogatoires d'accusés et de témoins, confrontations, examen des pièces, direction des opérations de police judiciaire, recherche de la vérité dans tous les cas, tel fut le labeur écrasant qu'eut à s'imposer ce juge durant les deux années qu'a duré l'information de cet important et difficile procès. Et il n'est pas niable, les pièces écrites de sa propre main en font foi, que le juge Gorsse qui a conduit cette affaire ne mérite pas le reproche qui lui est adressé parlé «Comité d'Amnistie » qui, sur ce point encore, a été fort mal renseigné. Il faut savoir que le nombre des inculpés a été à-un moment donné de plus de mille trois cents et que, soucieux de contribuer à l'apaisement des esprits, ce juge s'est appliqué à isoler dans cette masse les plus mauvais sujets, les criminels et délinquants vraiment responsables et dangereux pour la société, et qu'il a rendu huit cent cinquante ordonnances de non-lieu en faveur d'individus qui n'étaient que des comparses de second plan ou qui, revenus de leur égarement, promettaient de se ressaisir et de devenir de bons citoyens. Est-ce là de la justice arbitraire et aveugle? Finalement, les 117 accusés renvoyés par la Chambre des mises devant là Cour d'assises ne furent plus que le résidu vraiment criminel de cette vaste instruction.

La connexité des 11 affaires jointes pour être jugées ensemble peut évidemment être discutée par ceux qui n'ont pas vécu ce procès. Mais pour le juge d'instruction et pour la Cour, qui ont eu à leur disposition toute la littérature clandestine de l'Association secrète, prétendu parti communiste indochinois, dont tous les accusés étaient des membres actifs, alors qu'il est prouvé par une accumulation de preuves matérielles et de témoignages que les assassinats commis le furent par ordre des organes directeurs de l'association, que les extorsions de fonds étaient organisées pour alimenter ses caisses, cette connexité n'était pas seulement d'ordre juridique, c'est un fait qui tombe sous le sens. J'ignore ce qu'en décidera la Cour de Cassation, souveraine pour dire le droit, mais si un procès différent doit être refait pour chacune des affaires dont il s'agit, je me demande en quoi sera modifiée vis-à-vis de la loi et de la justice la situation des accusés dont la culpabilité restera prouvée?

Le Comité met en doute que les inculpés aient en Indochine les mêmes garanties que celles accordées par la loi aux inculpés de la Métropole. Je tiens ici encore à dissiper ses craintes. Il n'est pas une loi empreinte d'humanité, votée en faveur des prévenus ou des condamnés, qui ne soit immédiatement promulguée dans la colonie. Le décret de 1906 reconnaît aux prévenus le droit d'être assistés d'un avocat-défenseur pendant tout le cours de l'information et de l'instruction. Les mesures de bienveillance édictées par des lois récentes, notamment sur la mise en liberté provisoire, ont été rendues applicables à la colonie et sont appliquées.

Le «Comité d'Amnistie», et c'est là son but principal, attire enfin votre attention « sur l'arbitraire, assez proche de l'inconséquence, qui caractérise certaines condamnations », autrement dit:, le Comité se plaint de ce que certains ont été frappés plus sévèrement ou moins sévèrement que d'autres,, quoique étant accusés des mêmes faits. Et il cite de nombreux cas ; c'est ici que pour pouvoir répondre point par point aux critiques formulées, le Procureur Général s'est trouvé fort embarrassé par suite de l'envoi du dossier complet à la Cour de cassation. Néanmoins, j'extrais de son rapport les indications suivantes:

1° — Cas des nommés Pham-Van-Khuong (n° 96), condamné à mort, Nguyên-Van-Lung (n° 97) condamné à cinq ans de détention et Trân-Van-Lua dit Du (n° 98), acquitté, tous trois poursuivis pour les mêmes inculpations.

Malgré cette identité apparente de charges, il est facile de se rendre compte que le degré de culpabilité de chacun d'eux était différent : Pham-Van-Khuong a été condamné à mort parce qu'il a pris une part active à l'assassinat du caï Tho ; il maintenait le malheureux agent à terre, alors qu'un autre, le nommé Deo, aujourd'hui décédé, le frappait avec un marteau. Ce Pham-Van-Khuong avait été en outre un des principaux organisateurs de l'émeute du 23 Mai 1931, qui s'est déroulée au Nhà-Bè, au cours de laquelle cet agent de police fut lâchement assassiné. Il faisait partie du « Dôi-Tu-Vê », corps de sicaires chargés d'exécuter les sentences de mort du parti.

Les deux autres, armés, il est vrai, de bâtons, ont pris part à l'émeute mais ils n'ont fait que frapper les miliciens.

Certes, on peut être de prime abord surpris de voir l'acquittement du troisième Trân-Van-Lua, car comme le second, il a, au cours de l'émeute, frappé les agents de l'autorité, mais la Cour criminelle, pour l'acquitter, a certainement tenu compte de son jeune âge. Né en 1914, il n'avait, au moment dés faits qui lui sont reprochés, que 17 ans. Peut-on parler à propos de cet exemple de justice arbitraire et inconséquente?

2° — Le Comité cite les nommés Huynh-Van-Chiêu (n° 21) et Cao-Van-Luc (n° 26), le premier condamné à 10 ans de détention, le second acquitté, bien qu'ils aient tous deux à répondre des mêmes inculpations.

Le fait est exact; ils étaient tous deux accusés d'affiliation aune société secrète, de manœuvres subversives et d'association de malfaiteurs. Tous deux étaient affiliés au Công-San Dang, faisaient partie des mêmes comités, appartenaient à la même section d'exécutants, ont pris part à des manifestations et ont commis des vols pour augmenter les ressources du parti. N'ayant pas le dossier, le Procureur Général ne peut préciser quelle est la raison de l'acquittement de Cao-Van-Luc. Mais il est probable que c'est parce qu'il a dû nier et que l'instruction n'a pu établir des preuves décisives dé sa culpabilité. Il aurait donc, profité du doute, ce qui est conforme aux principes d'une saine justice.

Je ne peux, je le répète, passer tous les cas cités en revue étant donné l'absence des dossiers. Mais il est très facile de se rendre compte du travail auquel s'est livré le « Comité d'Amnistie » : mettre en regard d'une part les charges énumérées dans l'acte d'accusation et d'autre part le quantum de la condamnation, on déclare qu'il y a scandale dans tous les cas où il ne s'établit pas un rapport entre les deux termes de comparaison. Un tel procédé est, il faut l'avouer, par trop simpliste ; il ne tient pas compte de l’existence des 'dossiers d'instruction que la Cour avait à sa disposition, ni des débats qui ont permis de préciser le rôle de nombreux accusés. L'acte d'accusation est un sommaire des chefs d’inculpation. Il n est pas nécessairement démonstratif de la culpabilité des accusés. Accuser et juger sont deux choses très différentes et ce qui importe, par dessus tout en cette affaire, c'est d'établir $i la justice a été rendue légalement et en conscience. Les condamnations prononcées émanent, il ne faut pas l'oublier, de l'intime conviction de la Cour criminelle, dont faisaient partie deux assesseurs annamites. Ce sentiment doit échapper à toute critique, à tout contrôle, si l'on ne veut pas la faillite de la Justice et par suite celle de la société.

La campagne d'allure violente menée devant l'opinion française par le « Comité d'Amnistie » à l'occasion de ce verdict, vise à discréditer le Gouvernement colonial et à atteindre par dessus lui le légitime même des institutions républicaines, Il ne m'appartient pas de me mêler à cette polémique pour défendre ces institutions, qui ont en vous, M. le Ministre, un avocat autrement qualifié et mieux placé que je ne saurais l'être.

Mais ce que j'entends démontrer, c'est que cette campagne ne saurait atteindre les fonctionnaires de l'ordre administratif, ni les magistrats de l'Indochine, fidèles serviteurs de ces institutions et de la loi, auxquels aucune faute professionnelle, aucune faiblesse de conscience ne peut être reprochée à l'occasion de la répression judiciaire qui s'est terminée par le verdict du 7 Mai.

K N Ceci dit, je reste d'accord avec vous et avec les honorables membres du « Comité d'Amnistie», pour estimer qu'il est d'une bonne opportunité politique de multiplier les mesures gracieuses dans un but d'apaisement. Après que la justice a châtié, nous avons, et ceci est précisément une des caractéristiques les plus humaines de nos institutions républicaines, le pouvoir d'accorder un large pardon à nos adversaires vaincus. J'ai déjà depuis un an fait libérer soixante-dix pour cent des malheureux égarés qui, ayant participé aux troubles politiques de 1930-1931, avaient dû être mis sous main de justice. Des que la chose sera possible, après la sentence de la Cour de Cassation, je ne manquerai pas d'étendre la même politique de pardon aux condamnés de cette dernière phase de la répression qui en seront jugés dignes ».

Signé : P. PASQUIER

La Légion Etrangère en Extrême-Orient[modifier le code]

La Grande Guerre (1898-1920)

En 1900, le capitaine Clément-Grandcourt écrit : « L'Indochine est la seconde patrie de mes légionnaires. Son charme particulier infiltre leur sang avec la malaria et ils ne peuvent plus se débarrasser de la vision du soleil éclaboussant les rizières ». A cette époque seule trois BLE demeurent en Indochine. Le 1er bataillon sous les ordres du commandant Nouvel est en effet rapatrié le 13 novembre 1887 sur le « Cachar » et arrive à Marseille le 23 décembre. Un officier note « qu'il n'y a pas vingt personnes pour accueillir ces soldats qui viennent de si loin ». Trois jours plus tard, l'unité est à Sidi Bel Abbés. Les raisons de ce transfert sont économiques car la formation stationnée à la frontière de Chine « revenait trop cher au Protectorat pour la ravitailler ». En 1900, les trois unités étrangères stationnées au Tonkin sont le 3ème (commandant d'Harcourt) et le 4ème Bataillon (commandant Girardot) du 2ème RE et le 2ème Bataillon du 1er RE (commandant Vandenberg). Depuis 1897, le 4ème BLE basé à Yen Bay comprend le Lieutenant Do Huu Chan qui y assure les fonctions d'officier de renseignements du cercle.

Désormais, les unités étrangères constituent une force permanente des troupes du groupe de l'Indochine. La loi du 7 juillet 1900 organisant l'Armée Coloniale prévoit en effet que « la Légion peut-être appelée en tout temps au service colonial ». Toutefois, le régime de solde réservé aux légionnaires du Tonkin est moins favorable que celui octroyé aux marsouins et bigors. Dès lors, les rapports entre coloniaux et légionnaires sont dénués de cordialité, la guerre des boutons sévit. Ainsi le capitaine Met est dénoncé par un gradé d'Infanterie Coloniale car « il a envoyé ses trompettes jouer lors d'une messe, ce qui enfreint la loi relative à la séparation de l'État et des églises ». Les militaires des BLE constatent que les réguliers ont peu de sympathie pour eux mais ils n'en ont cure car, comme l'assure un étranger, « nous leur rendons ce mépris ». En réalité, les coloniaux ne pardonnent pas ce qu'ils considèrent comme un insoutenable affront : le drapeau du 1er RE a été décoré de la Légion d'Honneur le 28 avril 1906 alors que les emblèmes des 1er RIC et 1er RAC vont devoir attendre le 14 juillet 1910 pour recevoir la même récompense. Un marsouin versifie alors : « Donc un grand siècle de victoires. Ne suffit pas aux coloniaux. Pour que l'étoile de la gloire. Soit épinglée à leurs drapeaux ». En outre, le bruit court chez les marsouins qu'un ancien légionnaire naturalisé, Klieber, est devenu cadre de la Garde Indigène et commande 700 hommes. Cette nomination entraîne la jalousie des porteurs de l'ancre. Il est vrai que l'ancien des BLE parle dix langues dont l'annamite.

En dépit de ce traitement discriminatoire, tous les légionnaires d'Algérie brûlent d'aller au Tonkin. Ils y sont attirés par des conditions de vie meilleures et une discipline plus souple. Les éléments les mieux notés sont désignés et un sergent écrit : « Quand j'ai appris que je figurais sur la liste, j'étais fou de joie. J'en avais assez de jouer au soldat en Afrique du Nord ». La revue de détail à Sidi Bel Abbès est pointilleuse et le départ du détachement fait l'objet d'une cérémonie solennelle. Sur les quais d'Alger, la musique des zouaves joue « La Marseillaise » ; les étrangers déjà embarqués répondent en « beuglant » l'hymne national. La traversée dans les cales fétides est loin d'être confortable. A Port Saïd, les effets tropicaux sont revêtus. Selon une tradition vivace, la traversée du canal est l'occasion de tentatives de désertion. Des marsouins placés sur le pont sont prêts à tirer sur les fugitifs. Un fuyard, ayant réussi à atteindre la rive sous une grêle de balles, salue militairement, fait « un bras d'honneur » et crie : « Je ne suis pas mort ». Au fur et à mesure du voyage, la chaleur devient étouffante et le casque colonial est obligatoire. A l'escale de Singapour, un légionnaire se déshabille, se noircit le corps avec de la poussière de charbon et quitte le bord en se mêlant à la foule de coolies approvisionnant le navire en combustible. Les candidats à la désertion ayant échoué dans leur tentative sont confiés à la garde rigoureuse des Troupes Coloniales, ce qui ne peut manquer de renfoncer l'antagonisme traditionnel entre légionnaires et marsouins.

En général, le détachement ne s'attarde pas à Saigon. Débarqué à Haiphong, il gagne Hanoï par le train. Logés à la citadelle, les étrangers voient avec stupéfaction surgir des nuées de jeunes autochtones leur proposant de laver leur linge et de nettoyer leur équipement ; ce laxisme leur paraît inconcevable. L'arrivée au lieu d'affectation donne lieu à un accueil en musique. Dans les postes la vie est rude et, si « la crapaudine » (1) instituée par le général de Négrier n'a plus cours, la discipline est stricte. Les étrangers ont toutefois trois consolations : la con gaï, le choum (2) et l'opium ; d'ailleurs ils chantent : « l'opium, le tabac et le choum, voilà ce qui fait du bien au cai buong (ventre en vietnamien) ». Les « femmes de route », comme on les nomme à l'époque, sont tolérées, les étrangers étant peu attirés par celles qui chiquent le bétel ou qui ont les dents laquées. En dépit des préventions, ces passagères compagnes n'accomplissent aucun acte de trahison et, somme toute, concourent au maintien de la discipline tout en conduisant cependant à l'embourgeoisement de la troupe. Le soldat « marié » allouant mensuellement quarante piastres à sa concubine n'a plus d'argent, ce qui lui évite tentations et punitions. Sinon, la cupide con gaï ne manquerait pas d'aller vivre avec un autre soldat plus à même de subvenir à ses besoins. En dépit des interdictions, la consommation d'opium est courante dans les postes car c'est « l'habitude du pays » (une pipe d'opium coûte deux sous en 1900). En 1891, l'église catholique du Tonkin condamne l'usage de la drogue et décrète que seuls les fumeurs repentis peuvent recevoir les sacrements. Le choum, d'un prix modique, convient aux ressources pécuniaires des soldats étrangers (3). Son absorption occasionne de nombreux cas d'ivresse. Aussi un légionnaire ivrogne invétéré « est-il attaché à un poteau près d'une mare où le tigre vient boire la nuit ». Des domestiques autochtones lavent le linge mais, contrairement aux usages en vigueur chez les coloniaux, n'ont pas le droit de pénétrer dans les chambrées. Un observateur attentif note « que l'apparente docilité de ces boys qui semblent désireux d'être dominés ou achetés renforce la supériorité raciale et culturelle des légionnaires, qui dès qu'ils mettent le pied au Tonkin acquièrent très rapidement une mentalité coloniale ».

Cependant, cette « dolce vita » n'est qu'apparente et les officiers savent tenir leurs troupes. La tenue de campagne en toile cachou « couleur de terre labourée » est souvent revêtue. Les légionnaires jouent souvent le rôle de « pompiers » au profit d'autres unités en difficultés. C'est notamment le cas en 1901 où les 6ème et 7ème compagnies du 4ème BLE vont opérer d'urgence dans la région de Cao Bang, le poste de Lung Lan tenu par la 15ème compagnie du 3ème RTT ayant été pris par des pirates chinois. Au cours de la reprise de la position un légionnaire est tué et deux blessés dont le capitaine Forey commandant la 7ème compagnie. Un 5ème Bataillon Formant Corps (5ème BFC) du 2ème RE arrive d'Algérie en 1903 et occupe le secteur de Lang Son avec deux compagnies stationnées à Dong Dang, Na Cham et Cao Bang. En 1908, la 3ème compagnie du 2ème BLE est détachée à Lao Kay pour faire campagne contre les réformistes chinois. En revanche un bataillon du 1er RE est supprimé à la même époque. En 1909 et 1910, le 4ème BLE entre dans la composition des colonnes Bataille et Bonifacy lancées contre le De Tham. En 1909 également, la 13ème Compagnie du même bataillon réoccupe de vive force le poste de Hoa Binh incendié par les miliciens mutinés. Le 7 février 1914, un violent combat oppose une compagnie de marche du 2ème BFC renforcée d'un peloton du 2ème RTT à des pirates bien armés venus de Chine. La bande est dispersée au col de Gia Mue (2ème Territoire Militaire). Huit soldats étrangers ont été tués au cours de l'opération et plusieurs blessés. De 1882 à 1910, 23 officiers, 159 sous-officiers et 1 882 militaires du rang sont tombés au Tonkin. Parmi eux, le légionnaire Brandisen, tué en 1892 au poste de Cho Ra, était un ancien officier allemand dont le père était gouverneur de Magdebourg.

Le 30 avril 1906, à Ta Lung, le détachement de Légion fête la décoration du 1er Régiment Étranger dont l'emblème vient de recevoir la croix de la Légion d'Honneur. Le lieutenant François, chef du poste, fait pavoiser le casernement et au cours d'une prise d'armes exalte le courage des anciens de Camerone. Il précise que l'inscription de cette action d'éclat sur tous les drapeaux de la Légion Étrangère souligne son importance. Ainsi, la tradition de fêter Camerone tous les 30 avril prend naissance dans ce lointain poste tonkinois.

Au début de 1914, trois soldats des BLE désertent, encouragés par les consulats d'Allemagne en Chine. Le bruit court que celui du Yunnan offre une prime à chaque homme ayant abandonné son poste ; ainsi, le 10 juillet 1914, un document des archives d'Outre Mer indique que trois légionnaires ont rejoint la Chine appâtés par une prime de 1 000 francs. Le délégué du ministre des Affaires Étrangères au Yunnan, monsieur Lepice, se plaint de ces agissements qui violent la neutralité chinoise.

En 1914, 1 717 légionnaires servent dans le nord de la péninsule aux 2ème bataillon du 2ème RE entre Tuyen Quang et Hagiang, 4ème bataillon du 1er RE à Vietri avec une compagnie à Yen Bay et une autre à Lao Kay, ainsi qu'au 5ème Bataillon du 2ème RE à Lang Son, Dong Dang, Na Cham, Cao Bang. Les besoins du front français réduisent en 1915 les formations étrangères au seul 4ème bataillon Formant Corps du 1er RE sous les ordres du commandant Nicolas. En août 1916, l'unité est relevée par un bataillon du 3ème Zouaves et, dès lors, il ne subsiste qu'une compagnie formant corps du 1er RE alignant sous les ordres du lieutenant Hageli, remplacé en 1917 par le capitaine Deviller, 200 hommes en majorité allemands basés à Yen Bay. Cette formation participe du 20 septembre 1917 au 20 janvier 1918 à la répression de la révolte de la Garde Indigène de Thaï Nguyen. Lors de cette opération, quatre-vingt dix légionnaires sont amalgamés avec cent tirailleurs tonkinois. Le 22 septembre 1917, cinquante légionnaires sont envoyés en automobile à Thuong Thon où ils sont rejoints par leurs camarades des groupements Borel et Deviller. Au cours de ces combats, treize hommes de la compagnie étrangère sont tués et une vingtaine blessés. En novembre 1918, ils sont encore engagés pour soumettre les tirailleurs mutinés du poste de Binh Lieu. Après cette opération le général Noguès qualifie les légionnaires « de soldats toujours solides et pleins d'entrain ». Toutefois, la presse de l'époque rapporte l'exécution à Lang Son du caporal Kurt, un légionnaire ancien officier allemand, qui aurait été envoyé au Tonkin pour faire révolter les Annamites en liaison avec ses compatriotes du Yunnan.

L'entre-deux-guerres

En 1919, les troupes d'Indochine souffrent d'un important déficit en effectifs européens. La Légion Étrangère qui voit se présenter de nombreux candidats à l'engagement va être mise à contribution pour combler cette pénurie. Les formations énumérées ci-après débarquent successivement dans la péninsule.

- Septembre 1920, 4ème Bataillon Formant Corps du 1er RE (chef de bataillon Deleau). La compagnie déjà stationnée au Tonkin lui est rattachée. Il rejoint Cao Bang, Dap Cau, Lang Son, Yen Bay et Thaï Nguyen.

- Décembre 1921, 4ème Bataillon Formant Corps du 2ème RE (chef de bataillon Riet) cantonné à Lang Son, Na Cham et Cao Bang. Il devient 9ème BFC du 1er REI le 1er octobre 1926.

- Mai 1927, 7ème Bataillon Formant Corps du 1er REI (chef de bataillon Boutry) basé à Dap Cau et Lam.

- Août 1927, 1er Bataillon Formant Corps du 1er REI (chef de bataillon Lambert) caserne à Vietri. Le 1er avril 1931, les quatre bataillons constituent le 5ème REI en devenant respectivement 1er, 3ème, 2ème et 4ème Bataillon du nouveau régiment. Le colonel Debas chef de corps installe sa portion centrale à Vietri.

Jusqu'en 1939, l'existence des légionnaires va être partagée entre les activités du maintien de l'ordre, les manœuvres et les travaux. Ainsi la 14ème Compagnie du 4ème BFC intervient en octobre 1921 à Ky Lua près de Lang Son, cette dernière ville étant investie par des réformistes annamites venus de Chine. La 13ème Compagnie dégage Dong Dang, il en sera de même en 1922 pour le poste de Tien Hoï.

Le 10 février 1930, une partie du II/4ème RTT en garnison à Yen Bay se mutine et massacre deux officiers et trois sous-officiers français ainsi que cinq tirailleurs fidèles, onze autres militaires étant blessés. La 34ème Compagnie du 4ème BFC renforcée par une section de mitrailleuses est acheminée en automobile sur les lieux. Après avoir traqué les révoltés elle demeure stationnée à Yen Bay. Peu après la « nuit rouge » du 10 février une rébellion éclate dans la province de Phu Tho. Des éléments des 4ème et 9ème BFC y sont dirigés et effectuent des tournées de police. D'autres formations sont transportées vers Sept Pagodes puis regagnent leurs garnisons fin février.

Depuis le mois d'août 1930, les deux provinces de Vinh et de Hâ Tinh, éprouvées par la famine, n'obéissent plus à l'autorité française ; les révoltés qui marchent vers les villes sont dispersés par l'aviation le 13 septembre. Les 13ème, 14ème et 15ème Compagnies du 1er BFC sont envoyées dans la région et le chef de bataillon Lambert prend le commandement de la subdivision. Par d'incessantes opérations les légionnaires rétablissent l'ordre. Au cours de celles-ci, ils sont parfois attaqués par des foules de plusieurs milliers de paysans. En mars 1931, la situation redevient plus calme et le fanion de l'unité, devenue entre temps I/5ème REI, est décoré de l'ordre du Dragon d'Annam par la Cour de Hué. Cependant le 27 mars 1931 le sergent Perrier est assassiné dans des conditions atroces par les rebelles alors qu'isolé et désarmé, il voulait courageusement empêcher la pendaison de douze notables annamites condamnés par un tribunal révolutionnaire. Ce crime soulève l'indignation des légionnaires car leur camarade a été écartelé avant de mourir.

Une certaine presse métropolitaine critique violemment la répression brutale de la Légion Étrangère contre la rébellion. Le livre d'Andrée Viollis Indochine SOS constitue un reportage partial des événements. Quoi qu'il en soit, le I/5ème REI cristallise les critiques et les reproches en tant que principal acteur des opérations de maintien de l'ordre prescrites par le gouvernement de l'Union Indochinoise. Désormais, les autochtones ont peur des légionnaires. Alors que le 9 mars 1931 le bataillon Lambert défile à Vinh pour le centenaire de la Légion, la population crie : « II y a mille piastres pour la tête de votre commandant ». Quinze ans plus tard, le 7 mars 1946, l'accord signé à Hanoï par Hô Chi Minh et Sainteny prévoit le stationnement au Tonkin de 15 000 militaires français d'origine métropolitaine, la présence de légionnaires étant exclue.

Lyautey, au cours de son séjour indochinois, a évoqué « l'immense chemin de ronde fait dans le roc à coups de pioche par nos légionnaires ». Ces soldats ont en effet une tradition de bâtisseurs bien établie et vont œuvrer à l'édification de routes stratégiques et à l'entretien des voies de communication déjà existantes. Ce sont eux qui construisent également les centres d'estivage du Mont Bavi, du Tam Dao et de Chapa au Tonkin et celui de Khan Khay au Laos. Ces chantiers sont techniquement bien organisés et le confort des légionnaires y est assuré. Les camps établis près des exploitations et pouvant héberger parfois un bataillon comportent des popotes, des coopératives, des salons de coiffure, une infirmerie, des locaux disciplinaires, voire un BMC. Ce dernier n'est pas toujours indispensable car les « femmes de route » rejoignent souvent leur « mari ». Elles font la cuisine pour leur compagnon et même abattent une partie des 3 m3 de terrassement que chaque équipe de deux militaires doit effectuer quotidiennement. Afin que les hommes œuvrant sur les chantiers éloignés des cuisines puissent manger chaud des chevaux porte-soupe livrent la nourriture. Chaque année, généralement en décembre, de grandes manœuvres sont organisées.

Celles du 20 au 29 janvier 1931 revêtent une grande ampleur et se déroulent devant des observateurs étrangers, le général Mac Arthur commandant les forces américaines du Pacifique y étant invité.

De 1930 à 1939, l'existence des légionnaires n'a plus rien de commun avec celle de leurs devanciers. L'affectation dans la péninsule est toujours réservée aux meilleurs éléments d'Algérie et du Maroc. Le voyage, qui est effectué sur le « Kouang Si » puis à partir de 1936 sur le « Sontay », ne dure que trente jours, avec les traditionnelles désertions du canal de Suez tant à l'aller qu'au retour. Les cantonnements sont bien conçus et confortables, à Dap Cau, Hagiang, Tong et Vietri. Dans cette dernière ville, le casernement s'ouvre sur un plan d'eau de trois kilomètres sur deux. Nombre de militaires vivant en concubinage avec une autochtone reçoivent l'autorisation de ne plus loger au quartier. Chaque couple habite une paillote dans un véritable village. Par plaisanterie, les légionnaires désignent certains de leurs camarades pour assumer les fonctions de maire, de conseillers municipaux et de gardes champêtres. Lors des rapatriements, des enfants en bas âge sont confiés à des religieuses, qui disent alors avec indulgence : « Ce sont là les petits péchés de ces messieurs les légionnaires ». La solde est devenue plus conséquente ; ainsi, en 1937, un caporal après 10 ans de service perçoit 550 francs tous les mois : le supplément colonial attribué aux soldats des Troupes Coloniales a été enfin accordé aux légionnaires à partir de 1936. En 1934, un officier note : « Monsieur le légionnaire est un monsieur habitué à être servi : la congaï, les boys laveurs, les coiffeurs indigènes, les coolies-pousse sont à sa disposition le jour et la nuit. Monsieur le légionnaire ne se lave plus lui même, il s'en remet à sa cô (en vietnamien tante ou jeune fille, dans le langage courant concubine) pour la corvée de nettoyage à la rentrée de l'exercice ». Bien que cela soit interdit, de jeunes Annamites nettoient les armes de leurs employeurs.

Outre un embourgeoisement inévitable, les deux maux qui accablent les étrangers sont ainsi évoqués dans les documents de l'époque. Les maladies vénériennes sont nombreuses, 150 cas pour 500 hommes au 7ème BFC. Pour ces raisons, le système de « l'encongaïage » est toléré voire encouragé. L'alcoolisme est aussi très répandu, un litre d'alcool de riz valant le prix d'une bouteille de bière. En revanche, un rapport constate « que l'opiomanie n'est pas du tout un problème sérieux. En temps normal, les drogués sont sanctionnés de quinze jours de prison sans aucun égard pour le manque qui s'ensuit ».

Désormais, en garnison, les légionnaires impressionnent les autochtones par leur cohésion et leur savoir-faire en de nombreux métiers. Le 23 août 1930, le 1er BFC du 1er REI défile rue Catinat à Saigon, clairons en tête, « ce qui produit un gros effet sur la population frappée par la belle allure et la discipline de la troupe ». L'orchestre symphonique du 5ème REI avec trente-cinq exécutants se produit avec succès dans les principales villes de la péninsule. De même, les équipes sportives du régiment remportent plusieurs challenges.

Fait nouveau, dans les villes de stationnement, les officiers sont reçus par les notables autochtones. Les sous-officiers et les hommes de troupe fréquentent volontiers les familles de leurs compagnes. Ils se rendent le dimanche dans les villages de celles-ci en compagnie de leur concubine revêtue de ses plus beaux atours. Dans ses souvenirs récemment parus un vieux Tonkinois, Thiêu van Mu, note « que dans son hameau de Ba Hang (Province de Phu Tho), les seuls Européens aperçus avant 1939 ont été des légionnaires dans leur costume de drap grossier ». Enfin, quelques légionnaires apprennent l'annamite avec leurs compagnes, joliment surnommées « les dictionnaires à chignon ».

L'égalité des soldes ayant été obtenue, les relations entre les militaires de la Légion et ceux des Troupes Coloniales sont apaisées bien que toujours empreintes d'une rivalité constante. Toutefois, en 1925, un « casus belli » très grave est constaté entre les deux troupes rivales. Des formations coloniales ayant été envoyées en Chine, les épouses de ces militaires sont restées dans leurs garnisons et ont parfois remplacé les marsouins par des légionnaires. L'affaire est si sérieuse qu'elle remonte au général Claudel directeur des Troupes Coloniales qui déclare « prendre des mesures immédiates ».

En mai 1937, une unité mixte composée de la 2ème compagnie du I/5ème REI et de la 1ère compagnie du 9ème RIC est implantée à Khan Khay. Cependant, il est prévu que chacune de deux unités « mène sa vie propre ». De plus en plus de légionnaires libérés s'installent dans la péninsule. C'est notamment le cas de Grethen qui devient Inspecteur en chef de la Garde Indigène - qui sera assassiné par les Japonais à Thakhek au Laos en mars 1945 et inhumé au Mémorial de la Résistance du Mont Valérien - et auparavant d'Albert de Pouvourville qui poursuit une carrière journalistique et littéraire sous le pseudonyme de Màt Giôi (« oeil vif avisé »). Désormais depuis 1938, les étrangers libérables après 15 ans de service peuvent recevoir une concession agricole sur le plateau du Tran Ninh. Une douzaine de retraités s'établissent ainsi dans ce centre de colonisation militaire. Vingt ans après, un dignitaire méo de la région qui a appris le français avec eux s'exprime avec un fort accent et des mots tudesques.


(1) Immobilisation du corps du puni dans une position insoutenable, ce supplice pouvant durer plusieurs heures selon la gravité de la faute commise. (2) Ce terme pourtant très usité n'est pas vietnamien, le mot exact serait plutôt « ruou ». (3) En 1900, le capitaine Clément-Grandcourt note qu'avec leur prêt les légionnaires ne peuvent acheter des timbres pour écrire. En revanche, en 1897, le lieutenant de Menditte du 1er BLE déclare : « Je gagne de l'argent comme un marchand de cochons, c'est honteux, 340 francs par mois ».

Colonel Maurice RIVES

Organisation judiciaire en Indochine en 1930[modifier le code]

L'organisation de la justice en Indochine (1930) 1. - HISTORIQUE Depuis 1864, époque à laquelle est intervenu le premier décret organique de la justice en Cochinchine, toutes les réformes accomplies ont été dictées par le souci d'adapter l'organisation judiciaire locale au développement de la Colonie. La première étape a été marquée par l'institution d'un Tribunal de 1ère instance et d'un Tribunal supérieur à Saigon, les Inspecteurs des Affaires indigènes étant chargés de rendre la justice dans les provinces. Après une période d'essai au cours de laquelle cette organisation judiciaire rudimentaire reçut quelques modifications (augmentation de l'effectif du Tribunal de 1ère instance ; - transformation du Tribunal supérieur en Cour d'appel, - puis création d'une deuxième Chambre à la Cour d'appel, etc...) un important effort fut tenté en 1881 : sept tribunaux furent créés dans les principales provinces de la Cochinchine et un huitième à Phnom-Penh. Chacune de ces juridictions comprenait : un juge-Président, un Procureur de la République, un lieutenant de juge et un juge suppléant.

Mais il ne suffisait pas de créer des Tribunaux sur le papier ; encore fallait-il trouver le personnel nécessaire pour pourvoir les nouveaux postes de titulaires. On trancha la difficulté, en admettant de droit dans le personnel judiciaire les Administrateurs des Affaires indigènes qui, jusque-là, avaient rendu la justice. Cette mesure était sage ; le rapport de présentation qui précède le décret du 28 mai 1881 la justifie de la façon suivante : « L'admission des Administrateurs des Affaires indigènes dans le personnel judiciaire est imposée par la nécessité de ne pas interrompre le cours régulier de la justice, car il serait difficile d'en assurer immédiatement la distribution avec des magistrats venus de France ou des autres Colonies, et ignorant la langue, les mœurs et les coutumes des Annamites. Une transformation aussi subite exposerait à de grands dangers ». Ce sont là des vérités qu'aujourd'hui encore on peut invoquer, en faveur de la spécialisation d'un corps judiciaire indochinois qu'un jour ou l'autre il faudra créer. Bientôt cette organisation fut jugée dispendieuse et, dans un but d'économie, comme peut-être aussi en raison des difficultés de recrutement du personnel, on décida en 1887 de supprimer tous les tribunaux de Cochinchine, à l'exception de ceux de Saigon et de Vinh-Long et de les remplacer par des justices de paix à compétence étendue composées d'un juge de paix et d'un suppléant. Le tribunal de plein exercice qui fonctionnait à Phnom-Penh. Fut également transformé en justice de paix, mais on dut, peu après, rapporter la mesure et reconstituer ce tribunal.

Auprès de ces justices de paix, les fonctions du Ministère public étaient remplies soit par un Commissaire de police, soit par un Fonctionnaire spécialement désigné à cet effet par le Gouverneur. Ce système ne donna que des déboires ; vainement des instructions précises furent données pour délimiter les attributions administratives et les attributions judiciaires des agents chargés d'exercer l'action publique, des difficultés s'élevèrent et des conflits surgirent qui, parfois, paralysèrent l'action de la justice. Aussi dès l'année suivante décida-t-on que des juges suppléants ou des attachés de parquet rempliraient auprès des Tribunaux de paix les fonctions de Ministère public et exerceraient les attributions de la police judiciaire (décret du 18 septembre 1888). Cette réforme ne donna pas, elle non plus, les résultats que l'on escomptait. Bien vite on s'aperçut qu'entre les mains de magistrats trop jeunes et n'ayant ni l'expérience, ni l'autorité nécessaire, l'action du Ministère public s'affaiblissait et devenait inefficace. On se rendit compte que la suppression des Procureurs de la République était une erreur et qu'il était indispensable de les rétablir. Tel fut l'objet du décret du 17 juin 1889 qui replaça un Procureur de la République auprès de chaque juridiction. Le même décret compléta la réforme en augmentant sensiblement le nombre des Tribunaux qui fut porté de 9 à 16.


Un tribunal composé d'un Président et d'un Procureur fut, en conséquence, installé au chef-lieu de chaque province, ce qui avait pour avantage de donner à la Cochinchine une organisation judiciaire uniforme, cadrant avec les divisions administratives de la Colonie. Huit juges suppléants affectés pour ordre à Saigon devaient servir de relève et permettre de parer aux vacances qui se produiraient dans l'intérieur. « Cette organisation, disait le rapport de présentation, a non seulement en vue de rapprocher la justice des justiciables et de favoriser la prompte expédition des affaires, mais encore de faciliter l'action de la police judiciaire et d'augmenter la sécurité générale en plaçant un Procureur de la République auprès des nouveaux Tribunaux ».

Cette nouvelle organisation était entachée d'un vice radical : l'expérience ne tarda pas à démontrer les graves inconvénients que présentaient ces Tribunaux à effectifs réduits dont la marche était constamment enrayée par des difficultés de personnel. Comme des considérations budgétaires s'opposaient à ce que l'on dotât chaque juridiction d'un personnel moins squelettique, on dut se résoudre à en réduire le nombre et à substituer à ces organismes simplifiés des Tribunaux moins nombreux, mais plus fortement constitués. C'est dans ces conditions qu'intervient le décret du 17 mai 1895 qui réduisit à huit le nombre des Tribunaux de l'intérieur en Cochinchine mais leur rendit par contre l'ossature qu'ils avaient sous le régime du décret de 1881, c'est-à-dire : un juge président, un Procureur, un Lieutenant de juge et un juge suppléant.

On ne put malheureusement s'en tenir rigoureusement à cette formule : le ressort de certains Tribunaux était très étendu et comprenait plusieurs provinces, et bientôt sous l'empire de besoins nouveaux, on dut envisager la création de nouvelles juridictions. Pour réduire autant que possible la dépense, on se contenta de créer des Justices de paix ne comportant pour tout effectif qu'un juge et un suppléant. Pour couper court aux difficultés auxquelles avait précédemment donné lieu la pratique consistant à confier les fonctions du Ministère public à un fonctionnaire de l'ordre administratif, on décida que les justices de paix a compétence étendue siégeraient sans l'assistance d'un représentant du Ministère public et qu'au point de vue de l'action publique, elles relèveraient directement de l'autorité du Procureur général.

Le développement du Tonkin avait, d'autre part, nécessité que l'on se préoccupât de lui donner une organisation judiciaire complète et rationnelle. Cette organisation sans donner lieu à des essais aussi nombreux qu'en Cochinchine n'alla pas sans tâtonnement et hésitations.

Aux Résidents-juges qui, depuis 1884, avaient été chargés de rendre la justice, on avait en 1888 substitué des magistrats de carrière, en instituant à Hanoï et à Haiphong deux tribunaux réguliers relevant de la Cour d'appel de Saigon. On conçoit aisément qu'obliger les justiciables tonkinois qui devenaient tous les jours plus nombreux à porter leurs affaires en appel à Saigon, c'était leur imposer des lenteurs et des frais qui rendaient presque illusoire le droit d'appel qui leur était accordé. En 1894, on détacha le ressort du Tonkin de celui de Saigon en créant à Hanoï une Cour d'appel indépendante. Dans la pensée des auteurs du décret du 13 janvier 1894, l'institution d'une Cour à Hanoï devait faciliter l'exercice du droit d'appel et rendre plus rapide l'expédition des affaires. Ce résultat ne fut pas atteint : par mesure d'économie on avait doté la Cour de Hanoï d'un effectif si réduit que la plupart du temps elle ne pouvait se constituer qu'en faisant appel à des fonctionnaires pris dans les diverses Administrations. L'autorité de ses arrêts s'en trouva diminuée et les rôles ne tardèrent pas à accuser un fléchissement si inquiétant dans le nombre des affaires que dès 1898 on dût supprimer la Cour d'appel de Hanoï et la rattacher à celle de Saigon. Le ressort de cette nouvelle Cour, dite Cour de l'Indochine, s'étendait sur tout le territoire des Colonies et pays de Protectorat de l'Indochine française. Cette Cour comportait trois chambres ; deux d'entre elles siégeaient à Saigon, la troisième à Hanoï.

Dans son ensemble, ce régime subsista jusqu'en 1919. A la vérité un certain nombre de modifications intervinrent : création de Tribunaux à effectif normal ou de justices de paix à compétence étendue dans les différents pays de l'Union Indochinoise ; transformation de Tribunaux de 1ère instance en justices de paix ou réciproquement ; institution de Tribunaux résidentiels augmentation des effectifs de certaines juridictions et notamment de la Cour d'appel, etc... Mais d'une façon générale, sauf en ce qui concerne la justice indigène du Tonkin, l'organisation judiciaire en Indochine ne subit pas de transformation essentielle jusqu'à l'instauration du nouveau régime qui résulte des deux actes constituant aujourd'hui la Charte de la Magistrature indochinoise : les décrets du 19 mai 1919 et du 16 février 1921 et le décret du 22 août 1928 qui a déterminé le statut de la magistrature coloniale.

Il est juste de constater que pendant ce long intervalle de temps le service judiciaire avec un personnel des plus réduits ne s'est pas laissé déborder par le merveilleux essor de la Colonie. Grâce à un labeur soutenu, il a pu, avec les moyens dont il disposait, assurer le cours de la justice dans des conditions que la multiplication du nombre des affaires rendait parfois difficile. Il l'a fait sans défaillance, dotant la colonie en évolution d'un corps de jurisprudence qui constitue une œuvre remarquable et qui fait aujourd'hui autorité.

Cependant à mesure qu'augmentait l'importance du Service judiciaire au Tonkin, les inconvénients résultant de l'exercice d'une Cour unique dont le siège était à Saigon s'affirmait. On dénonçait de toutes parts le vice d'un système qui partageait une même Cour en deux sections fonctionnant dans deux villes distinctes, très éloignées l'une de l'autre. On faisait observer que le Procureur général ne pouvait de Saigon diriger ses services de Hanoï et réciproquement ; que le Président de la Cour ne pouvait présider les Chambres de la section située hors du siège principal de la Cour ni même en surveiller régulièrement le fonctionnement. On préconisait en conséquence la transformation des deux sections en deux Cours différentes, indépendantes l'une de l'autre, ce qui aurait pour avantage de donner à ces deux organismes supérieurs de la Justice des chefs toujours présents. Au surplus, le mouvement des affaires justifiait amplement la création d'une Cour autonome à Hanoï. C'est dans ces conditions et pour répondre à ces préoccupations qu'intervient le décret du 19 mai 1919 qui scinda la Cour de l'Indochine en deux Cours distinctes ayant chacune à sa tête un Procureur général et un Premier Président. C'était en somme le retour au système du décret du 13 janvier 1894, mais pour éviter de retomber dans l'erreur qui avait condamné la réforme de 1894 à un échec certain et entraîné en 1898 la suppression de la Cour de Hanoï, on s'attacha à donner à chacune des deux Cours indochinoises un effectif suffisant approprié à ses besoins. De plus, pour faciliter leur fonctionnement, on décida que le personnel pourrait être appelé à servir indifféremment dans l'un ou l'autre des deux ressorts suivant les besoins du service ce qui permit d'utiliser l'effectif général au mieux des intérêts de l'ensemble des deux Cours.

Par ailleurs, pour éviter les inconvénients de la dualité de direction résultant pour le Service judiciaire, de l'existence de deux Cours distinctes, le décret de 1919 institua un organisme destiné à servir de trait d'union entre les deux ressorts et à maintenir l'unité de direction. Un magistrat fut investi des fonctions de Directeur de l'Administration judiciaire et hérita de toutes les attributions administratives qui étaient précédemment dévolues au Procureur général en qualité de chef du Service judiciaire. Cette création avait pour avantage de libérer les Procureurs généraux des nouvelles Cours des soins étrangers à leurs fonctions judiciaires et de rendre la magistrature assise indépendante du Parquet. L'œuvre de réorganisation entreprise en 1919 fut complétée par le décret du 16 février 1921. Cet acte, qui réunit en un texte unique les dispositions éparses qui régissaient l'organisation judiciaire de l'Indochine, procéda à un classement plus rationnel des juridictions. Comme dans la métropole les Tribunaux de première instance furent répartis en trois classes suivant leur importance. Leur nombre fut fixé à trois tribunaux de première classe, cinq de seconde classe, sept de troisième classe. Dans les centres les moins importants on laissa subsister des Justices de paix à compétence étendue


Il. --- ORGANISATION ACTUELLE 1. - Dispositions générales Le Service judiciaire de l'Indochine a été réorganisé par le décret du 19 mai 1919 modifié et complété par celui du 16 février 1921 et par celui du 24 juin 1927 dont les dispositions essentielles sont la suppression de la Cour d'appel de l'Indochine, la création de deux Cours d'appel siégeant l'une à Saigon, l'autre à Hanoï et l'institution d'un Directeur de l'Administration judiciaire. Les pouvoirs administratifs de l'ancien Procureur général de l'Indochine sont dévolus à ce Directeur qui est chargé sous la haute autorité du Gouverneur général de l'Administration de la justice (art. 67-68 du décret du 19 mai 1919 modifiés par l'article 10 du décret du 24 juin 1927). Il s'ensuit que les magistrats des Parquets doivent adresser leur correspondance et tous les états réglementaires au Procureur général de leur ressort, tandis que les magistrats du siège correspondent directement avec le Premier Président. Les magistrats qui, comme les juges de paix à compétence étendue, ont à accomplir certains actes relevant de la fonction du Ministère public, correspondent avec le Procureur général pour tout ce qui est relatif à cette fonction. Pour les affaires d'ordre purement administratif les magistrats de tous ordres et de toutes fonctions s'adressent au Directeur de l'Administration judiciaire par la voie hiérarchique, c'est-à-dire en passant par l'intermédiaire soit du Premier Président, soit du Procureur général suivant qu'ils appartiennent à la magistrature assise ou à la magistrature du Parquet.

2. - Le Directeur de l'Administration judiciaire Les attributions du Directeur de l'Administration judiciaire sont déterminées par l'art. 68 du décret du 19 mai 1919 modifié par l'art. 10 du décret du 24 juin 1927, modifié lui-même implicitement dans quelques-unes de ses dispositions par le décret du 22 août 1928. Le Directeur de l'Administration judiciaire est chargé sous la haute autorité du Gouverneur général de l'Administration de la justice en Indochine. Il exerce toutes les fonctions, il a toutes les attributions administratives dévolues antérieurement au Procureur général de l'Indochine en sa qualité de Chef du Service judiciaire. Il est le Chef du Service de la justice indigène au Tonkin. Il siège au Conseil du Gouvernement de l'Indochine. Il est nommé par décret sur la proposition du Gouverneur général. Il doit être choisi de préférence parmi les premiers présidents et les procureurs généraux des ressorts de la Colonie. Il est assisté d'un président de Chambre, conseiller ou avocat général désigné sur sa proposition par le Gouverneur général. Il peut aussi, si besoin est, être assisté d'un ou de plusieurs magistrats des ressorts de la Colonie désignés dans les mêmes conditions. En cas d'absence hors de la Colonie ou de décès du Directeur de l'Administration judiciaire, le Gouverneur général, par arrêté, désigne pour le remplacer un des premiers présidents ou des procureurs généraux du ressort de l'Indochine (art. 51 du décret du 22 août 1928).

3. - Cours d'appel Depuis le décret du 19 mai 1919, il existe deux Cours d'appel siégeant respectivement à Hanoï et à Saigon. Aux termes du décret organique du 22 août 1928, chacune de ces Cours d'appel comprend un Premier Président, deux Présidents de Chambre, des Conseillers qui sont au nombre de onze à Saigon et de neuf à Hanoi, un Greffier en chef et plusieurs Commis-Greffiers. Quant au Ministère public, il est représenté auprès de chaque Cour par un Procureur général, trois Avocats généraux, trois substituts généraux à Saigon, deux à Hanoï. La Cour d'appel de Saigon connaît des appels formés contre les jugements rendus en premier ressort et en toutes matières : d'une part, par les tribunaux français de la Cochinchine, du Cambodge, des provinces annamites de Binh-Thuân, Phan-Rang, Khanh-Hoa, Phu-Yên, Binh-Dinh, Kontum, Haut-Donnai et Lang-Biên et des provinces laotiennes de Bassac, Attopeu, Saravane et Savannakhet ; d'autre part, par les tribunaux consulaires de la Chine (le Yunnan excepté) et du Siam. Elle se subdivise en deux Chambres. La deuxième, présidée par un Président de Chambre et comprenant deux Conseillers connaît plus spécialement des appels des jugements rendus par les tribunaux français statuant en matière civile indigène et en matière de police correctionnelle à l'égard des Annamites ou assimilés. La première Chambre habituellement présidée par le Premier Président et comprenant aussi deux Conseillers connaît plus particulièrement des autres affaires (Décret du 19 mai 1919, modifié par les décrets du 21 août 1923 et 10 septembre 1924). La Cour d'appel de Hanoï connaît des appels formés contre les jugements rendus en premier ressort et en toutes matières par les tribunaux français du Toulon, du territoire de Kouang-Tchéou-Wan et des provinces de l'Annam et du Laos non comprises dans le ressort de la Cour d'appel de Saïgon, des mêmes appels formulés contre les jugements des tribunaux consulaires du Yunnan, enfin des appels et des demandes en annulation formés contre les jugements rendus par les tribunaux indigènes du Tonkin ainsi que des demandes en révision formulées contre les mêmes jugements ou contre ses propres arrêts en matière indigène devenus définitifs. Elle se subdivise en deux Chambres ; la première est présidée et composée de la même façon que la première Chambre de la Cour d'appel de Saigon; la deuxième qui est présidée par un Président de Chambre comprend un conseiller et un haut mandarin. Cette deuxième Chambre connaît uniquement des appels et recours en matière indigène ci-dessus énumérés, tandis que la première Chambre connaît exclusivement des autres affaires. Les Cours d'appel de l'Indochine sont également compétentes en vertu des deux lois du 28 avril 1869 et du 15 juillet 1910 pour juger en premier et dernier ressort les crimes commis par les citoyens, sujets ou protégés français soit en Chine, sauf le Yunnan, et au Siam (Cour d'appel de Saïgon), soit au Yunnan (Cour d'appel de Hanoï). En ce cas, la Cour est composée du Premier Président et de quatre conseillers français faisant partie des deux Chambres ordinaires. Lorsqu'il s'agit soit des instructions relatives aux affaires de la compétence des Cours criminelles existant en Indochine, soit des instructions relatives aux affaires criminelles ressortissant exceptionnellement de la connaissance des Cours d'appel, soit des oppositions formées aux ordonnances des juges d'instruction, soit enfin des demandes de réhabilitation, l'information est suivie et la Cour éventuellement saisie par une Chambre des Mises en accusation qui est constituée dans le sein de chaque Cour d'appel et composée de trois de ses membres.

4. - Cours criminelles A - Les crimes commis dans tout le ressort de chaque Cour d'appel par les Français ou assimilés sont jugés par deux Cours criminelles siégeant respectivement à Saigon et à Hanoï. Les Cours criminelles sont composées 1° - Du Premier Président de la Cour d'appel ou d'un Président de Chambre ou d'un Conseiller, président ; 2° - De deux conseillers ; ces Conseillers peuvent être remplacés par des magistrats de première instance pris parmi les magistrats du siège et de préférence parmi ceux du tribunal du chef-lieu de la Cour criminelle; 3° - De quatre assesseurs français. Il est établi, à cet effet, dans chacun des ressorts des Cours de Saigon et de Hanoi, une liste de 60 notables français résidant dans le ressort et qui sont appelés à faire partie de la Cour Criminelle. Ces listes sont dressées chaque année par une commission spéciale. Les mêmes membres peuvent être indéfiniment portés sur les listes ainsi dressées. Nul ne peut être inscrit sur ces listes et remplir les fonctions d'assesseur s'il n'est âgé de 30 ans accomplis, s'il ne jouit de ses droits civils et politiques ou s'il est membre de l'ordre judiciaire, ministre d'un culte quelconque ou militaire en activité de service des armées de terre ou de mer. B - Les crimes commis par les Annamites ou assimilés dans le ressort de la Cour d'appel de Saigon sont jugés par cinq Cours Criminelles siégeant à Saigon, My-Tho, Vinh-Long, Can-Tho et Phnom-Penh. Ces Cours Criminelles sont composées : 1°- Du Premier Président ou d'un Président de Chambre ou d'un Conseiller, président ; 2° - De deux Conseillers qui peuvent être remplacés par deux magistrats de première instance ; 3° - De deux assesseurs indigènes désignés par voie de tirage au sort sui une liste de 20 notables indigènes établie pour chacun des ressorts de ces Cours Criminelles. Pour la Cour Criminelle de Phnom-Penh les assesseurs sont cambodgiens. Ces notables doivent être âgés de 35 ans au moins et domiciliés dans le ressort de la Cour Criminelle. Ils sont choisis de préférence parmi les indigènes possédant une connaissance suffisante de la langue française. Les mêmes noms peuvent être indéfiniment reportés sur les listes dressées chaque année. La Cour Criminelle de Hanoi est présidée et composée de la même façon. Les Cours Criminelles siègent tous les trois mois. Elles peuvent tenir exceptionnellement séance dans une ville autre que celle où elle siège d'ordinaire et tenir des sessions extraordinaires.

5. - Chambre d'Annulation Il y a, pour toute l'Indochine, une Chambre d'annulation qui connaît des pourvois formés contre les jugements rendus en dernier ressort par les juges de paix ou les tribunaux statuant en matière de simple police ou en matière civile indigène, y compris ceux rendus par les justices de paix cochinchinoises occupées par un juge annamite. Cette Chambre n'est pas à proprement parler une juridiction distincte car elle est formée dans le sein même de la Cour d'appel de Saigon. Elle est composée du premier président et des quatre conseillers les plus anciens. Les fonctions du ministère public sont remplies par le Procureur général. Le Greffier en chef doit tenir la plume lui-même. Le Premier président, le Procureur général et le Greffier en chef doivent siéger eux-mêmes et ne se faire remplacer qu'en cas d'empêchement absolu.

6. - Commission Criminelle du Tonkin Toutes les fois qu'un crime ou un délit intéressant la sécurité du Protectorat ou le développement de la colonisation française a été commis par un sujet annamite ou assimilé justiciable des tribunaux français, le Gouverneur général peut, par un arrêté, dessaisir la justice ordinaire et renvoyer l'affaire devant une Commission Criminelle composée d'un Résident de 1ère classe, Président, du Résident de la Province, du Procureur de la République du ressort où le crime a été commis et d'un Capitaine nommé sur la désignation du Commandant supérieur des Troupes. Elle est pourvue d'un greffier qui est pris parmi les commis-greffiers de la Cour d'appel. Lorsque la Commission Criminelle se réunit en dehors du ressort des tribunaux de Hanoi et Haiphong, le Procureur de la République est remplacé par un magistrat nommé sur la désignation du Directeur de l'Administration judiciaire. La Commission se réunit sur les lieux sans délai. En attendant son arrivée le Résident de la province commence l'information sommaire. L'instruction est dirigée par le Président de la Commission. Chaque membre peut, toutefois, exiger l'audition des témoignages qu'il jugera utiles. Le greffier tient note des interrogatoires et celle de chaque déposition recueillie par la Commission. Ces interrogatoires et dépositions sont relus après avoir été reçus et sont signés par tous les membres de la Commission, quand la majorité s'est mise d'accord sur la rédaction. L'instruction est déclarée close à la majorité. L'accusé est prévenu qu'il a trois jours pour préparer sa défense. Le quatrième jour, après la clôture de l'instruction, la Commission se réunit de nouveau. L'accusé est entendu ainsi que toute personne qui se présentera pour lui. Il peut, pendant les trois jours précédents, se faire communiquer par son conseil les pièces de l'instruction. L'accusé entendu dans ses moyens de défense, la Commission se retire. Le Président met aux voix la question de culpabilité. Elle ne peut être résolue contre l'accusé qu'à la majorité. La Commission délibère ensuite sur les circonstances atténuantes et l'application de la peine. L'arrêt est rendu en présence de l'accusé et de son conseil. Le Président demande aussitôt à l'accusé s'il entend se pourvoir devant le Conseil du Protectorat, et l'arrêt, signé de tous les Membres de la Commission, doit faire mention de sa réponse. Si la réponse de l'accusé est affirmative l'arrêt et les pièces de l'instruction sont portés immédiatement par le Greffier de la Commission au Gouverneur général qui saisit dans un délai maximum de dix jours le Conseil du Protectorat. Dans le cas où un texte de la loi a été violé l'arrêt est cassé et l'affaire renvoyée devant une autre Commission Criminelle. Aux termes de l'article 16 du décret du 5 mars 1927 promulgué par arrêté du 27 avril 1927, en matière pénale, s'il y a eu recours en grâce en faveur du condamné, la transmission du recours au Chef de l'État est obligatoire. En cas de condamnation à mort et s'il n'y a pas de recours en grâce, le Gouverneur saisit le Conseil privé, le Conseil d'Administration ou de Protectorat. Il est sursis à l'exécution et fait appel à la clémence du Chef de l'État si, dans le Conseil, deux membres au moins sont de cet avis.

Extrait d'une étude de la Section d'Administration Générale, Hanoi, 1930

Le malaise indochinois (1930)[modifier le code]

Il existe, et si je ne craignais de voir se dresser contre moi l'ombre irritée d'Henri DE ROCHEFORT, j'écrirais que l'Indochine compte vingt millions de sujets... sans compter les sujets de mécontentement.

Mais dans quel pays n'en existe-t-il pas? Si un indigène instruit se donnait le malin plaisir de traduire et de résumer, à l'usage de ses compatriotes, les plaintes et critiques qu'on trouve chaque jour dans nos journaux, sur la cherté de la vie, le poids des impôts, les incohérences de notre fiscalité, les abus administratifs, les dénis de justice... et les agissements désinvoltes de la S. T. C. R. P., le peuple annamite aurait certainement l'impression que dans notre pays règne un mécontentement général.

Il est d'ailleurs difficile, même à un technicien averti, de démêler la vérité au milieu des griefs, souvent contradictoires, qu'on trouve exposés dans les journaux et pamphlets publiés en Indochine, et dont beaucoup sont rédigés en français dans une langue impeccable, classique même.

Alors que les Vieux-Turbans nous reprochent par exemple de distribuer inconsidérément un enseignement individualiste, destructeur des vieilles coutumes et des rites, notamment de la piété filiale, les Jeunes-Turbans au contraire proclament que nous n'avons pas encore assez fait pour mettre à la portée de tous un enseignement moderne. Alors que les indigènes, férus de voyages en automobile, utilisent à plein les routes que nous avons construites, certains nous reprochent de favoriser cette folie de la vitesse qui trouble l'existence des villages riverains.

Les uns et les autres feignent parfois d'ignorer ce que nous avons déjà fait en faveur des populations de l'Indochine. 2.400 kilomètres de voies ferrées, 25.000 kilomètres de routes, 300.000 hectares gagnés grâce aux irrigations, les canaux de Cochinchine dragués en permanence, les villes assainies, la sécurité établie par la destruction de la piraterie : voilà le bilan de notre œuvre matérielle.

Sur un million d'hectares demandés en concession, 800.000 hectares le sont par des indigènes. Au Tonkin seulement, on compte trente-six exploitations agricoles indigènes de plus de 200 hectares, et leur superficie s'étend sur 26.000 hectares. Au Tonkin encore, pour la période allant de 1923 à 1927, 155 entrepreneurs européens ont été déclarés adjudicataires de travaux publics s'élevant à une somme totale de 1.857.000 piastres, tandis que les entrepreneurs annamites au nombre de 447 en exécutaient pour 4.356.000.

Quelle statistique pourrait indiquer la part prise par les indigènes à tous les titres dans l'ensemble du mouvement commercial qui, rien que pour la Cochinchine, représente 6 milliards d'échanges ? Qui peut dire également l'accroissement des fortunes locales, consécutif au mouvement des prix, à la hausse des denrées produites sur place, du riz notamment dont le prix a doublé de 1900 à 1926 ? Dans l'administration française, on a poursuivi avec une certaine continuité de vues l'ouverture de débouchés nouveaux pour l'élite indigène : création de cadres supérieurs indigènes et de cadres latéraux, décidée par M. LONG; accès de tous les emplois de gestion, même dans les cadres généraux, aux indigènes et sans qu'ils aient besoin de se faire naturaliser : réforme de M. VARENNE.

On a vu aussi se fonder, dans le domaine industriel et agricole, des sociétés où des Annamites s'associent avec nos compatriotes; c'est là sans doute qu'est le véritable avenir du pays, dans une coopération étroite et fructueuse des deux races, dans une fusion de leurs intérêts.

Mais il serait puéril de nier que nous sommes loin d'avoir satisfait nos protégés, et la sagesse commande d'examiner leurs plaintes et critiques en toute objectivité et impartialité et de faire aboutir les réformes qu'ils réclament. Nous le devons d'autant plus que la masse n'attend la réalisation de ses aspirations que de notre bienveillance et de notre équité, dans le cadre de la légalité, et se désolidarise des agitateurs professionnels et des révolutionnaires. Aussi n'y-a-t-il aucun lien entre la situation politique et les attentats criminels qui, de tout temps, même sous le gouvernement annamite, ont ensanglanté tel ou tel centre. La propagande communiste les a incontestablement favorisés, mais sans troubler la population paisible et honnête.

Si large que soit déjà la représentation accordée aux indigènes dans les conseils électifs, il est évident qu'on ne saurait s'en tenir toujours à la proportion fixée par les décrets de novembre 1928 et qu’il faudra se montrer dans l’avenir plus libéral encore. La dernière réforme, qui semble donner d'heureux résultats, ne peut être qu'une étape. Il faut l'affirmer hautement : mais, de leur côté, les Annamites de l'élite, que ces réformes intéressent surtout, doivent bien se pénétrer de cette idée que l'éducation du régime parlementaire est longue et qu'il faut, dans cette voie, n'avancer qu'à pas mesurés. Il faut aussi les convaincre de notre bonne foi absolue et de notre volonté inébranlable de ne pas nous arrêter dans la concession de droits électoraux plus étendus, au fur et à mesure que l'expérience aura démontré la maturité du peuple annamite à en jouir. Nous tenons à leur donner des institutions représentatives où, par le jeu d'une sorte de distillation fractionnée, ce soient les meilleurs qui arrivent aux assemblées les plus hautes, nous ne voulons pas les voir, pour leur malheur, par un fétichisme absurde du suffrage universel, pourvus d'assimilées qui seraient non pas l'imitation, mais la caricature de celles de la métropole.

Nous ne sommes pas allés assez loin dans la substitution de l'élément indigène au prolétariat européen que nous entretenons encore dans un certain nombre de services, ceux qui exigent d'ailleurs les connaissances les moins étendues. La question a été traitée en détail et magistralement, dans un récent article de la Revue de Paris, par le colonel BERNARD, qui m'excusera de revenir sur le sujet en lui empruntant quelques chiffres.

Alors que dans l'Inde anglaise et aux Indes Néerlandaises, les indigènes peuvent arriver et arrivent aux plus hauts emplois, en Indochine c'est seulement en 1926 que le principe de l'égalité des races a été posé- en théorie - car il n'est guère entré dans la pratique. On peut objecter que jusqu'ici il n'y a pas encore eu beaucoup d'indigènes susceptibles de faire bonne figure dans les emplois supérieurs de gestion. Mais leur nombre s'accroît rapidement, sur place même, dans les grandes écoles de l'Université, et il y a en outre en France près de 700 étudiants qui conquièrent des grades universitaires élevés. Quelles situations va-t-on leur offrir ? Allons-nous commettre l'imprudence, après leur avoir permis et même facilité l'obtention dis diplômes qui donnent accès aux carrières libérales, de leur fermer tous débouchés dans la colonie, c'est-à-dire dans leur pays, et d'en faire des aigris et des révoltés qui nous combattront avec nos propres armes ?

De plus il existe dans les Douanes et régies, les Postes et télégraphes, l'Enregistrement, le Cadastre, les Travaux publics, plusieurs milliers d'emplois subalternes, occupés actuellement par des Européens et qui pourraient être progressivement, et avantageusement pour le budget, confiés à des indigènes. Je dis progressivement parce qu'il serait impossible de procéder à une réforme intégrale immédiate. Mais il suffirait de ne plus recruter, pour ces emplois, de personnel européen nouveau. Or, par une contradiction que nos protégés ont parfaitement observée et que dénonce avec vigueur le colonel BERNARD, c'est au moment même où l'on proclamait qu'il fallait supprimer le prolétariat européen et réserver les emplois qu'il occupe aux indigènes qu'on augmentait le personnel européen, au point de faire passer de 663 à 973 celui des douanes et régies.

Mon expérience de l'administration me permet de suggérer à notre nouveau ministre des colonies le seul procédé qui puisse mettre fin à cette comédie. Il faut que par un décret, contresigné du président du conseil, gardien de la politique nationale, et du ministre des finances, contrôleur des budgets, même de ceux de l'Indochine, il fasse fixer dans tous les cadres et services la liste des emplois subalternes de gestion pour lesquels il ne sera plus permis de recruter de nouveaux agents européens. Par le jeu des décès et des mises à la retraite, en moins de quinze ans, le prolétariat européen aura vécu et la partie instruite de la population aura obtenu satisfaction. Au surplus nous comptons beaucoup trop de fonctionnaires européens en Indochine 5.984 contre 4.500 dans l'Inde anglaise où la population est quinze fois plus nombreuse.

Dans les emplois supérieurs se posent souvent des questions d'espèce, telle celle de cet Annamite, pourvu des plus hauts grades universitaires, qu'on ne trouvait pas à caser et que l'intervention de M. VARENNE a fait entrer dans les cadres de l'Université indochinoise. Il est possible au Département de les suivre et d'imposer des solutions d'équité. Mais pour les milliers d'emplois de gestion, il faut une décision de principe, prise par la métropole, et que l'administration locale ne pourra violer sans s'exposer à des recours en Conseil d'Etat. Nous sommes d'ailleurs très en retard sur l'Inde anglaise où, dans la magistrature et les services civils, les Anglais ont fait une large place aux Hindous. Je n'hésite pas cependant à préférer au système anglais celui des Indes Néerlandaises, où les Hollandais ont su réserver aux natifs de nombreux emplois supérieurs tout en gardant pour eux les fonctions d'autorité et de contrôle.

Au point de vue des prestations en nature, trop d'abus subsistent qu'il faudra faire disparaître le droit au logement a été souvent reconnu sans la moindre règle, sans aucune base rationnelle. Or, il serait raisonnable que, sauf les fonctionnaires d'autorité obligés de recevoir et de représenter, tous les agents paient le loyer des immeubles mis à leur disposition par l'administration. On ne peut pas non plus éluder indéfiniment les instructions du ministre et ajourner sine die la révision des suppléments de fonctions. Convient-il de renoncer à ce procédé oblique de rétribution ? En tous cas, il faut bien reconnaître que certaines prestations se justifient beaucoup plus par la qualité des personnes qui les reçoivent que par la nature des fonctions qu'elles assurent. Chacun doit être rétribué selon son mérite, selon son emploi, selon son rendement. Une place pour chacun, chacun à sa place. C'est ainsi que s'élimineront, il faut du moins en conserver l'espoir, les coûteux parasites et ces brillants virtuoses de la technicité, hauts conseillers à gages, personnages toujours trop payés pour ce qu'ils font, même quand ils sont trop payés pour ce qu'ils valent.

Il faudra en un mot aérer la maison, faire circuler la lumière, mettre de l'ordre partout. A tous les échelons de la hiérarchie, on a pris l'habitude de commander beaucoup plus que d'obéir, ce qui veut dire qu'on ne sait plus ni donner les ordres ni les suivre et que chacun en fait à sa guise.

Mais c'est aux chefs les premiers à donner l'exemple. Qu'ils prennent l'extrême souci d'éviter personnellement les abus s'ils veulent les combattre chez les autres. Qu'ils se soumettent d'abord à la discipline s'ils entendent qu'elle soit acceptée au-dessous d'eux... Il faut régénérer le principe d'autorité.

Je préviens charitablement ceux qui seraient tentés de m'accuser de « faire campagne contre l'Indochine et son gouverneur général », que les trois alinéas ci-dessus sont extraits d'un discours du gouverneur général par intérim prononcé le 19 novembre 1928 en Conseil de gouvernement.

Le régime fiscal doit être radicalement remanié. Il favorise la fortune acquise et les gros revenus annuels. L'inexistence à peu près complète d'un impôt général progressif sur les revenus, laisse sensiblement sur le même pied le gros propriétaire de rizières et son coolie pousse, le grand capitaine d'industrie et son modeste employé. Il ne saurait s'agir d'exporter en Indochine notre législation, dont l'exagération entrave l'initiative de chacun, tant la progressivité de l'impôt fait peser sur celui qui s'enrichit une charge intolérable; mais il serait possible de superposer aux impôts cédulaires, dont les taux sont modiques, un impôt général modéré qui contribuerait à répartir plus équitablement les charges publiques. L'égoïsme des privilégiés, annamites aussi bien qu'européens, a fait échouer jusqu'ici toute réforme de l'espèce. Elle ne saurait attendre plus longtemps et les intéressés doivent le comprendre.

L'administration supérieure devrait montrer moins d'indulgence et de scepticisme à l'égard de la prévarication. Celle-ci fait peser sur les épaules des contribuables indigènes des charges supplémentaires des impôts réguliers et forts lourdes. Pour être traditionnelles, elles n'en sont pas moins inadmissibles. Elles deviennent intolérables lorsqu'elles sont le fait d'agents européens en contact direct avec la population. Il serait cependant facile à l'administration de rechercher l'origine de certaines dépenses somptuaires et des ressources exceptionnelles qui permettent certains achats immobiliers. Il semble que l'administration n'éprouve à ce sujet aucune curiosité. La « vox populi » en parle bien, mais dans l'indifférence générale. On se fait à tout.

Des intérims trop fréquents et trop longs, des gouvernements titulaires de trop courte durée, ont amené un relâchement général de la discipline, un abaissement de la correction administrative. Des actes répréhensibles sont restés sans sanction suffisante, ou même sans sanction, quand ils n'ont pas reçu de récompense. On ne se gêne plus, et c'est publiquement et officiellement que sont étalées les compromissions les plus fâcheuses.

Les grands chefs des services généraux ont détendu peu à peu leurs liens de subordination vis-à-vis du Pouvoir central indochinois. Le gouverneur général gouverne à la condition de ne pas commander.

Qu'on n'exagère ni le mal ni le péril, et surtout qu'on ne s'exagère pas les difficultés du redressement nécessaire. Il suffit qu'on veuille et qu'on agisse.

Moins de circulaires inopérantes et plus de sanctions efficaces. Moins de paroles, des actes. On n'a d'ailleurs que trop parlé dans ce pays où même les originaires du Plateau Central, qu'on aurait cru plus circonspects et moins imaginatifs, se sont lancés imprudemment, avant d'avoir une expérience suffisante du pays, dans des anticipations à la Wells, dont l'astuce annamite tiré parti dans son action d'opposition et de propagande.

N'essayons pas de prédire, si longtemps à l'avance ce que sera l'Indochine et ce que deviendra le peuple annamite d'ici un demi-siècle. Vivons les temps présents et prochains. Les problèmes de l'heure sont assez délicats et pressants pour suffire à notre vigilante activité. Réalisons les réformes légitimes qui nous sont demandées. Supprimons les abus dont on se plaint avec raison. Accordons chaque jour à nos protégés plus de justice et de bienveillance. Faisons disparaître le préjugé qui voudrait que le dernier des européens fût placé au-dessus du premier des indigènes. Efforçons-nous de nous attacher ceux-ci par les bienfaits de notre tutelle, et de faire en sorte que, même s'ils continuent à penser que « notre ennemi c'est notre maître », ils nous préfèrent par intérêt, sinon par gratitude, à tout autre protecteur.

Et observons leurs réactions. Leur ambition sera-t-elle, comme au Sénégal, de s'intégrer dans la grande famille française et de devenir des français d'Asie? Préfèreront-ils évoluer, dates le cadre de notre tutelle dont le principe ne saurait être discuté, vers une sorte de nationalité indochinoise qu'il est assez malaisé d'ailleurs de définir ? Je n'en sais rien et je ne veux pas essayer de faire le prophète. Convainquons-les seulement de notre loyauté et de notre amitié. Persuadons-les que, quelle que soit la solution vers laquelle les événements et leurs propres aspirations les conduiront, ils nous trouveront, pour guider leur évolution, comme des frères aînés attentifs et bienveillants, pourvu qu'ils comprennent que ce n'est pas en vain que nous avons pendant des siècles lutté et souffert, et que nous sommes bien placés pour les faire bénéficier de notre expérience chèrement acquise. Qu'ils se disent bien qu'ils auront toujours besoin de nous pour la sauvegarde de leur sécurité, pour le bon équilibre de leur administration intérieure, pour l'arbitrage entre les races diverses qui peuplent l'Indochine. Et cessons, pour le moment, ces discussions purement théoriques, sans intérêt pratique, partant sans utilité et dangereuses même parce qu'elles risquent de susciter des malentendus, en éveillant des espérances qu'on ne pourra pas réaliser, et de créer ainsi des mécontents et des aigris.

Persuadons-nous que nous devrons, nous aussi, faire évoluer nos conceptions, nos méthodes et nos organisations administratives. Dans un délai que je me garderai bien d'essayer de préciser, n'ayant pas le goût et sentant le danger de jouer au prophète, nous ne serons plus qu'un état-major, en tous domaines. Sachons donc évoluer, sans vains regrets, sans fâcheux retards : la façon de donner vaut mieux que ce qu'on donne et telle réforme, qui serait accueillie avec enthousiasme si elle était spontanée, n'attire aucune gratitude quand elle est arrachée à l'égoïsme.

Ne nous effrayons pas à l'avance de ces perspectives lointaines. Quand elles seront un fait accompli, il se sera créé, entre les deux éléments ethniques, un enchevêtrement d'intérêts tel qu'une sorte de fusion économique se sera réalisée, qui ne permettrait pas une séparation politique.

L'Indochine vaut, autant par sa population dense et laborieuse, d'une civilisation ancienne et raffinée et qu'on ne peut se défendre d'aimer quand on a appris sa langue et pénétré sa mentalité, que par la fertilité de son sol et les richesses de son sous-sol. Les plus belles vertus de notre race ont pu s'y épanouir dans un cadre digne d'elles et y faire fleurir les plus belles créations d'humanité. Elle est, sur les bords de ce Pacifique, où se jouera peut-être un des plus grands drames de l'humanité, dressée en deux camps hostiles marqués par des pigmentations différentes de l'épiderme, la sentinelle vigilante des intérêts de notre pays. Elle mérite que la métropole s'intéresse passionnément à sa vie économique, au fonctionnement de sa machine administrative non pour lui enlever égoïstement et stupidement une partie de ses ressources en vertu du droit du plus fort, mais pour veiller à ce que, malgré l'ambiance asiatique et sa dissolvante emprise, malgré l'éloignement de tout contrôle, elle poursuive ses magnifiques destins, pour notre profit moral et matériel, pour le bien surtout des vingt millions d'habitants dont nous avons assumé la tutelle.

G. ANGOULVANT Gouverneur Général honoraire des Colonies Étapes Asiatiques, Les Éditions du Monde Moderne, Paris 1930

Henry de Corta un officer de la légion mort à Yen Bay en 1932[modifier le code]

Propos recueillis par le Commandant ® Constantin LIANOS auprès de Bruno de CORTA, fils du Lieutenant-colonel Henry de CORTA.Bruno de CORTA est âgé de 82 ans Lieutenant-colonel Henri de Corta 29/04/2008 Notre devoir de mémoire Lieutenant-colonel Henry de CORTA 1879 - 1932 : une vie d’homme, la Légion d’abord Monsieur Bruno de Corta, fils du Lieutenant-colonel Henri de Corta venu spécialement du Canada pour remettre le fanion de son père, Commandant ® Constantin LIANOS, organisateur de cette rencontre, ancien képi blanc,officier NRBC de l’EMIAZD Sud et président de l’Amicale des Anciens de la Légion Etrangère de Marseille et environs. Avant Propos Il y a bien longtemps que je projetais d’écrire cette histoire relatant la vie de mon père, histoire que je destine à mes enfants et petits enfants,afin qu’ils n’ignorent pas ce qu’étaient ceux qui les ont précédé. Mais le traumatisme, tardivement guéri, que m’a provoqué sa mort l’année de mes cinq ans, m’empêchait de coucher sur le papier les souvenirs parfois relayés par ma mère,parfois trouvés dans les correspondances et les papiers officiels que je détiens. Également, une certaine pudeur, et le sentiment de m’introduire dans la vie privée de personnes qui m’étaient si proche, arrêtaient mes élans. Je me suis décidé aujourd’hui, vingt neuf décembre deux mille quatre, à commencer ce récit.Il sera honnête et sans concessions, car je crois que ce serait détruire sa personnalité et desservir un père qui fut un homme comme nous avec son courage et ses faiblesses,que de l’idéaliser. Ne vous surprenez donc pas d’apprendre quelques vérités, bien cachées jusqu’à présent, mais qui nous rendrons plus présent cet être exceptionnel mais si humain qu’était mon père,votre grand-père et votre arrière grand-père. Il faut également remettre les opinions professées et les actes accomplis dans le contexte de l’époque vécue,si loin des préoccupations actuelles d’une jeunesse dont les idéaux n’ont pas toujours été comblés. Je dédie donc cette histoire d’Henry de Corta à Hugues, Laurence, Pierre, Thibaud, Kim et Olivier,afin qu’ils soient fier de celui dont nous descendons et que son souvenir ne disparaisse pas.C’est le 16 juillet 1879 que naquit à Paris, Henry de Corta,quatrième enfant de Charles Adolphe de Corta et de Charlotte Marie Gounod.Descendant de basques espagnols émigrés en France en 1783, par son père,et d’une vieille famille française, les Gnrd de Monchaux devenu Gounod par l’erreur orthographique d’un clerc,par sa mère.Charles Adolphe, officier de l’armée française avec le grade de commandant, s’illustra dans les combats de pacification en Algérie,et participa à la malheureuse campagne du Mexique.Charlotte Marie, fille de Louis Urbain Gounod, architecte, et nièce du compositeur Charles Gounod,mourut quatre jours après la naissance de son dernier fils, le 20 juillet 1879 à trente et un ans.Henry devint donc orphelin de mère à sa naissance,et la charge de son éducation fut confiée à sa tante Thérèse Gounod,car son père ne pouvait imposer à sa progéniture les déplacements continuels que son métier exigeait.Par la suite, épuisé par ses années de campagne, et les séquelles des nombreuses blessures qu’il avait subi,il mourait le 13 septembre 1885, à cinquante ans, laissant à la charge de sa belle sœur ses quatre enfants : Marie, Edith, Charles et Henry.De l’enfance d’Henry, on sait peu de choses.Il fut choyé par sa tante Gounod et certainement très entouré par ses sœurs et son frère Charles qui toute sa vie fut pour lui un confident et un refuge. D’un caractère doux et pacifique, Charles fut son conseiller, et s’il ne put toujours éviter les erreurs que commettait son frère, il n’en fut pas moins l’ami fidèle et le compagnon aimé qui le soutint dans ses aventures.Doté d’un caractère emporté et d’une volonté de fer, Henry donna du fil à retordre à sa chère tante et tutrice.Une anecdote est restée qui nous renseigne sur la difficulté qu’elle eut parfois à maîtriser l’impétuosité de son neveu. C’était peu de temps après la mort de son père, il devait avoir sept ans et n’avait pas admis une interdiction qu’il avait enfreint, et la réprimande qui en avait découlé. En représailles, il alla chercher des allumettes et mit le feu aux rideaux du salon.La brave, mais autoritaire, tante Thérèse (dite Tata ), ne laissa pas passer ce geste qui aurait pu avoir de graves conséquences, et s’enquit d’un pensionnat où les humeurs belliqueuses de son neveu seraient contrôlées.C’est ainsi qu’il se retrouva pensionnaire chez les jésuites.Il y resta douze ans, en un séjour entrecoupé de rares vacances et congés qu’il passait auprès de ses frère et sœurs.Élève médiocre, suivant ses cours avec nonchalance, il ne se fit pas remarquer par un travail acharné, mais l’éducation et l’auto discipline que lui inculquèrent les bons pères devaient l’aider par la suite. Peu d’éléments me permettent d’élaborer sur cette longue période qui s’acheva en 1892,alors qu’il entra au lycée Louis le Grand comme externe pour y faire sa troisième en 1892-1893,puis sa seconde et sa première ( dite rhétorique ) qu’il acheva en 1897. Le jugement de ses professeurs, consignés dans ses carnets de note,montre qu’il était un élève fort intelligent, doté d’une excellente mémoire,mais étourdi et faisant ses études avec beaucoup de légèreté. Néanmoins il termina son secondaire en améliorant ses résultats et en passant avec succès son diplôme de bachelier en lettres et mathématiques le 28 octobre 1897. Je pense que c’est à cette époque qu’il se fixa le but qui devait devenir sa raison de vivre.C’est le 28 juillet 1898 qu’il se présenta au concours d’admission pour l’école spéciale militaire de Saint-Cyr, et fut admis à entrer dans cette prestigieuse institution. Il est certain que le souvenir de son père, qu’il ne connut pratiquement pas mais dont sa tante et ses sœurs lui parlait souvent dut influencer sa décision,également, sans doute, le prestige attaché en cette période à la carrière des armes.Son esprit indépendant et rebelle aurait pu l’éloigner de la vie militaire,mais il y trouva, peut-être, une discipline qui lui était nécessaire, et un besoin de se surpasser qui ne le quitta jamais. Ne croyez surtout pas qu’il mena une existence de moine.Il plaisait aux hommes par sa sociabilité, son côté bon vivant et aventureux.Il plaisait également aux femmes, qu’il séduisait grâce à son charme, sa belle prestance, et à des yeux bleus qui ne les laissaient pas indifférentes. Le 1er octobre 1900 il était incorporé comme sous-lieutenant au quatre vingt treizième régiment d’infanterie dans lequel il resta jusqu’au 25 juin 1905. Il participa aux campagnes de pacification en Algérie et dans le sud saharien.Il fut nommé lieutenant le 1er octobre 1902.Un document que j’ai retrouvé, est pour le moins intrigant; il s’agit d’un rapport qu’il rédigea sur un voyage au Soudan anglo-égyptien par le Nil blanc et le Bahr el Gebel, de Khartoum à Gondokoro. Cette expédition eut lieu en janvier et février 1905,et aucune mention de cette mission n’est indiquée dans ses états de service; or sur la couverture de ce rapport il est bien spécifié que celui ci a été rédigé par le lieutenant Henry de Corta du quatre vingt treizième régiment d’infanterie Le texte en est édifiant, car sous couvert d’un voyage d’étude sur les populations de ces régions,on y trouve une description des implantations anglaise dans cette partie de l’Afrique,et les intentions colonisatrice de ces derniers. Je ne peux me prononcer sur les buts réels de cette mission secrète, mais vous pouvez consulter ce document et en tirer vous même les conclusions. Le 26 juin 1905, Henry obtenait enfin sa mutation dans le corps qu’il avait toujours voulu rejoindre :la légion étrangère. Huit ans au deuxième régiment étranger avec lequel il participa à toutes les opérations,en Algérie, au Maroc, dans les régions sahariennes et au Tonkin près de la frontière chinoise.Nommé capitaine le 23 décembre 1912, il avait vu son avancement nettement freiné en raison de ses prises de position politiques. Royaliste, lié très tôt à l’Action Française fondée par le philosophe Charles Maurras,tenant d’un nationalisme pure et dure, avec qui il correspondit régulièrement, il ne pouvait être en odeur de sainteté auprès des politiciens et fonctionnaires républicains à qui il ne cachait pas son aversion pour un régime qu’il méprisait. De caractère entier, ses opinions étaient également fermes et peu nuancées. Il mettait au premier plan, l’amour absolu pour les hommes dont il avait la charge et les devoirs qu’il avait envers eux. Tous les témoignages le concernant, que j’ai récolté soit dans les lettres de ses anciens légionnaires soit par des conversations que j’ai eu avec des officiers ayant combattu sous ses ordres, sont concordants; il était admiré et respecté par ses subordonnés qui acceptaient tout de lui.Il fut muté du 15 avril au 10 décembre 1913 au cent soixante sixième régiment d’infanterie,puis renvoyé dans son régiment de prédilection, le deuxième régiment étranger jusqu’au 4 juillet 1915. La guerre contre l’Allemagne avait commencé et les nombreux allemands qui faisaient partie de son bataillon commençaient à se poser des questions sur l’opportunité de rester dans une armée qui se battait contre leur propre pays. Au moment de la bataille de la Marne alors qu’Henry campait avec ses hommes au sud du grand Atlas,hors de portée de tout secours et laissé seul avec une unité composée presque exclusivement d’allemands, à l’exception de trois officiers et de sept sous-officiers français, il apprit un matin, à cinq heures, qu’un coup était préparé pour huit heures : les dix officiers et gradés français devaient être massacrés et l’unité entière passer à l’ennemi. Il se procura le nom des quinze meneurs, tous légionnaires. Certes, il eut pu les faire fusiller instantanément, mais sacrifier des hommes de cette trempe,si braves au feu, et si jeunes ? Brusquement Corta prit son parti, fit venir le sergent qui avait organisé le coup et, sans avertir personne : J’ai une petite reconnaissance à faire avec quelques hommes résolus - lui dit-il, désignant les quinze complices. – Nous partirons dans cinq minutes, service de guerre. – Le sergent ne broncha pas. Corta, un revolver sous sa gandoura, emmena la troupe. Ils marchèrent trois heures vers le Sud, les hommes visiblement inquiets, car, dans cette région insoumise, les mauvaises rencontres étaient fort possible. Enfin l’on s’arrête, Corta met pied à terre, tend son revolver au sergent puis, faisant face aux hommes : - C’est à huit heures, n’est-ce pas, que vous deviez me faire la peau ? - Eh bien, il est huit heures. Allez-y ! Les hommes ne bronchent pas. Je vous préviens, continue-il, que si vous me ratez je ne vous raterai pas, moi, au retour Il y eut un silence. Alors il reprit. - Dans ce cas, je change d’avis, nous allons régler cette affaire entre nous, d’homme à homme. Sergent-.Le sergent s’avance à l’ordre et reçoit un vigoureux coup de poing dans la mâchoire qui l’envoie rouler à quelques mètres. Chacun des hommes subit le même traitement, après quoi l’on retourne au cantonnement. Il n’a plus jamais été question de révolte après cela, à la compagnie montée, trois fois citée depuis à l’ordre se l’armée d’Afrique. Un coup de tête, déclarait Henry de Corta, c’est signe de tempérament. Quand on n’ a pas une bonne histoire comme ça derrière soi, on n’est pas un vrai légionnaire. Ne pouvant supporter d’être tenu loin du conflit qui se tenait sur le sol français, il demanda à être transféré dans un régiment de première ligne. Malgré les objections du général Lyautey qui tenait à le garder sous ses ordres, il obtint d’être affecté au soixante cinquième régiment d’infanterie, le 16 juillet 1915. Abattu par la mitraille allemande lorsqu’il mena l’assaut à la suite de son colonel (tué à ses côtés) le 25 septembre 1915, au Ravin de la Goutte ( au nord de Mesnil les Hurlus ) et ayant subi de très graves blessures à la jambe gauche, il est ramassé sur le terrain par les brancardiers allemands et conduit à l’hôpital militaire de Sidon le 29 septembre. Après avoir refusé l’amputation, que préconisaient les chirurgiens allemands, il resta dans cet hôpital jusqu’au 6 octobre. Transféré ensuite à l’hôpital de Rastatt, il y compléta sa convalescence jusqu’au 30 novembre.Il est ensuite conduit au camp de Villingen dans le grand duché de Bade où il restera jusqu’au 18 avril 1916. Son refus de toute collaboration avec ses geôliers, et la manière toute spéciale qu’il avait de se référer aux lois allemandes (parfois fort confuses)en s’en servant à son profit pour ridiculiser ses gardes-chiourme, son insubordination et son constant soucis de soutenir les doléances de ses camarades envers les exigences des autorités, eurent le don d’exaspérer ses gardiens,qui l’envoyèrent en camp de représailles au camp de Vöhrenbach, du 19 avril au 4 août 1916.Transféré à cette date au camp de Burg, près de Magdeburg,il y resta jusqu’au 18 novembre 1917.Transféré au camp de Magdeburg, il tente de s’en évader avec le capitaine Sajoux,le 29 janvier 1918.Il est repris le même jours dans le train qui devait le conduire à Berlin puis à Aix la Chapelle.Emprisonné d’abord à Berlin, puis renvoyé à Magdeburg,il est interné au camp de répression du Kavalier-Sharnorst.C’est dans ce camp qu’il se lia d’amitié avec le capitaine Jean des Vallières,qui devint un de ses meilleurs amis, et plus tard son beau-frère. Jean des Vallières écrivit sur cette période deux romans:”Kavalier-Sharnorst “ et “Spartakus-Parade”. Dans ce dernier, l’image d’Henry de Corta, nommé de Joyeuse dans ce texte, y est parfaitement dessiné et représente avec justesse ce qu’était le caractère flamboyant et déterminé de mon père. Après le procès en cour martiale qui lui fut intenté ainsi qu’à Jean des Vallières et plusieurs de ses camarades, pour corruption de soldats allemands et incitation de ceux ci au crime de haute trahison, il est mis en prison préventive avant le prononcé de la sentence qui se soldera par une condamnation à un an de forteresse. Envoyé à la forteresse de Magdeburg, il y restera du 13 mai au 8 novembre 1918. C’est à partir de cette date qu’il assumera, jusqu’à son retour en France,le commandement du camp d’Altengrabow, ou étaient internés quatre mille cinq cent français, trois mille huit cent russes, environ quatre cent belges, et des représentant d’autres nationalités. La gestion de ce camp, à la fin de cette guerre de quatre ans, dans le chaos et l’insécurité qui régnaient en Allemagne à la suite de la défaite et d’une révolution qui avait suivie la conclusion de l’armistice, fut extrêmement malaisée. Il fallait, malgré la mauvaise volonté du personnel allemand,et l’incertitude des dates de rapatriement des prisonniers dans leur foyer,organiser le ravitaillement, maintenir une certaine discipline parmi ces hommes qui ne comprenaient pas pourquoi ils ne pouvaient pas partir immédiatement étant donné que la guerre était finie, et régler, avec une autorité allemande désemparée et tatillonne, les problèmes qui se présentaient. Les très nombreuses lettres de réclamation à cette instance, montre l’acharnement que mit Henry de Corta à faire rendre justice à ces prisonniers qui avaient traversé trois ou quatre ans de tortures, de brutalités et de privations. Rapatrié d’Allemagne le 19 janvier 1919, il est mis à la disposition du Maréchal Lyautey, gouverneur général de France au Maroc. Il est nommé commandant chef de bataillon. Il avait pu servir sous les ordres de Lyautey avant la guerre et une certaine communauté d’idées et de pensées avait créé entre eux de profond liens d’amitié. Une correspondance assez importante est preuve de cette complicité. Dés son arrivée au Maroc il demande à être muté dans une unité de légion,et prend le commandement du sixième bataillon du premier étranger le 1er octobre 1920. Il y restera jusqu’au 13 février 1931. Le bataillon qu’il commandait était ce que l’on appelait un bataillon monté : une mule était affectée à deux hommes, elle servait non seulement à porter les équipements mais aussi à transporter un des deux hommes qui l’accompagnaient lorsque la fatigue risquait de ralentir le déroulement des opérations. L’effectif de la légion à cette époque se composait de toute sorte de nationalités : beaucoup de russes, exilés à la suite de la révolution, qui reprenaient du service dans cette unité à des grades très inférieurs à ceux qu’ils avaient dans leur pays d’origine, car n’ayant pas la nationalité française ils ne pouvaient entrer dans les troupes conventionnelles. J’ai connu quelques uns de ces grands seigneurs dont la gentillesse et le courage étaient admirable. Quel bonheur d’avoir eu le privilège de les avoir côtoyé au cour de ma vie.Chalikof-Chalikachwili, Djindjaradzé, Knoré et combien d’autres qui, de passage près de chez nous,nous ont toujours honoré de leur affectueuse visite. Déjà, avant la guerre de 14-18, les allemands représentaient une grande partie des sous-officiers et des simples soldats, mais à la suite du conflit et de la défaite allemande,nombre d’entre eux fuyant leur pays dévasté, et l’insécurité qui y régnait, s’engagèrent dans la légion. Ils y trouvaient l’aventure et un cadre de vie, fait de rigueur et de discipline,qui correspondait à leur tempérament et à leur caractère. Remarquables soldats, prompt à la dispute dans les bars, mais ardents au combat,solide dans le travail de construction des routes et des ouvrages d’art,qui représentait une partie de leurs activités.Ils furent dirigés par mon père avec cette intelligence et cette compréhension qui ont toujours été l’apanage de ce chef né.Des années plus tard, en 1948, alors que je me trouvais à Marrakech chez un ancien légionnaire originaire d’Egypte, qui demeurait à la Targa, au milieu de la palmeraie avec sa femme Marie bourguignonne fort en gueule mais combien bonne et accueillante,nous projetâmes une virée dans le quartier du Guélize. Cette excursion était pour moi pleine d’émotions, car c’est dans ce quartier que mes parents se retrouvaient lorsque mon père n’était pas en déplacement.Dans un des cafés ou nous nous arrêtâmes, un silence se fit à notre entrée,puis mon hôte demanda à l’assistance si quelqu’un pouvait deviner qui l’accompagnait. Une voix s’éleva:”Est-ce que ce ne serait pas le fils du père Corta.Dés que j’eu acquiescé tous se précipitèrent pour me serrer la main et me donner l’accolade;le souvenir d’Henry de Corta était si présent dans leur mémoire malgré les dix huit années écoulées,qu’ils semblait que les témoignages qu’ils voulurent me donner dataient de la veille. Et quelle admiration dans la voix, quel respect dans les mots lorsqu’ils parlaient de ce chef si exigeant,mais qui prenait toujours leur défense en face des autorités. Exigeant, il l’était, se basant sur sa résistance et sa puissance de travail,il avait du mal à comprendre que certains avaient du mal à le suivre. L’histoire suivante le dépeint bien. Il arrive un jour de Casablanca après avoir roulé à cent trente à l’heure, frais et dispos, passe la nuit dans un dancing, histoire de voir ses hommes se distraire. Son chauffeur, un sergent d’origine allemande, qu’il oblige à pousser sa voiture à la limite, exténué par le voyage et par une nuit blanche, apprend au petit jour qu’on repart pour une randonnée de service, une équipée de neuf heures dans le bled,sans même repasser à la maison.- Quand va t’on dormir, interroge ce martyr du volant.-- Dormir! Riposte Corta.Est-ce que je dors, moi? Et quand le sergent, à l’étape, s’effondre sur un lit.-Une petite nature, dit Corta, un peu méprisant. Pour lui, il s’entourera de ses cartes, et se remettra au travail. Les officiers, fourbus, s’esquivent un à un, lui, reste à sa table. Mais à peine l’adjudant-major est-il couché que le téléphone le rappelle. Il se rhabille à la hâte, court chez son chef, qu’il trouve entouré de plans déployés. -Nous avons beaucoup à faire, mon cher; ou étiez vous donc ? C’est l’heure agréable pour travailler. Il en réveille encore s’il le faut deux ou trois autres. A quatre heures du matin, il lève la séance, en s’excusant de les congédier.-Nous nous levons de bonne heure. Nous avons trois cent kilomètres à faire. Rendez vous devant l’auto à six heure et demi. C’est en rentrant d’Allemagne, en 1919, qu’il retrouva Jean des Vallières son camarade de captivité. Celui ci le reçut dans sa famille qui avait été durement atteinte par la mort du chef de famille : le général Pierre des Vallières, plus jeune général de France et promis à un grand avenir. Il avait été tué en première ligne, par un mitrailleur allemand, alors qu’il visitait les postes avancés pour soutenir le moral de ses hommes. Noémie, la femme de Pierre des Vallières, n’avait pas surmonté son deuil, et son caractère déjà porté vers la mélancolie, sombrait dans la neurasthénie. Jean des Vallières venait d’épouser Annie de Térris avec qui il était fiancé depuis le début des hostilités. Les responsabilités familiales reposaient donc sur les frêles épaules de sa sœur Marthe,dont l’énergie et le courage soutenaient le moral défaillant de sa mère et de son plus jeune frère René. Dés qu’il fréquenta cette famille, Henry de Corta se sentit attiré par cette jeune fille qui savait faire face à l’adversité. Doucement, un sentiment plus profond se développa entre eux, et bientôt ils envisagèrent le mariage. Celui-ci eut lieu le 7 février 1922 à Paris. Le témoin de Marthe était le Maréchal Pétain, celui d’Henry le Maréchal Lyautey. Ils durent s’établir là où Henry avait ses commandements; d’abord à Agadir puis à Marrakech. Le Maroc de cette époque était une région agitée, où le contrôle du territoire et la pacification incombait aux unités de l’armée française et principalement à la légion étrangère. La vie que menèrent Henry et Marthe fut pour le moins cahotante, absences fréquentes d’Henry,parti en opération, retour ponctué de réceptions et de libations avec les jeunes officiers. Isolement de Marthe dans un pays dont elle ignorait les coutumes et les mœurs. C’est le 23 novembre 1922 que naquit à l’hôpital de Rabat, Hugues, leur premier fils,bel enfant solide et souriant. Il devait mourir deux mois plus tard, le 21 janvier 1923 pour on ne sait quelle raison. Il est vrai qu’a cette époque la médecine militaire était peu avancée et la prophylaxie bien ignorée du personnel hospitalier. Mon frère aîné fut donc enterré au cimetière de Rabat dans une concession à perpétuité qui doit toujours exister. Ce décès fut une grande épreuve pour Henry et Marthe. Lui , parce qu’il se reprochait de n’avoir pas envoyé son épouse en France pour accoucher et passer les premiers mois de la vie de leur fils auprès de médecins compétents qui auraient peut-être pu le sauver. Marthe rentra en France pour de longues vacances auprès de sa famille, et de sa belle famille qui l’avait toujours accueillie avec une grande affection. La vie d’Henry et de Marthe se déroula ensuite avec les joies de l’amitié et les tristesses inhérentes à toute existence. Ce n’est que quatre ans plus tard que je naquis, le 29 décembre 1926, et voici deux lettres qu’Henry écrivit à cette occasion. La première était adressée à ma marraine, Laurence Fidière des Prinveaux et était ainsi libellé.« Chère marraine, Votre filleul Bruno est né aujourd’hui à onze heures 219 rue Vercingétorix: 3Ks 600 et plus de cheveux que son père. Il porte même la barbe. Marthe va très bien et se repose. Je vous embrasse.- La deuxième lettre était adressée à Marthe » « Ma chère petite aimée, je ne vous verrais pas demain matin,mais je veux que ceci vous apporte tout mon amour, toute ma joie profonde:le 29 décembre efface presque, pour moi, quatre ans de chagrin, que vous avez si bellement supportés. Pourquoi en dire plus ? Il y faudrait trois cent pages, et vous le savez. Alors, je vous serre dans mes bras, simplement, pas trop fort, pour ne pas froisser le petit qui est entre nous deux, nous unissant plus que jamais.Je vous adore. » Pendant les quatre ans passés, la santé d’Henry avait commencé à se dégrader; les maladies tropicales qu’il avait attrapé lors de ses diverses campagnes, mais principalement lors de son séjour au Tonkin: Paludisme, amibes, etc., avaient affaibli sa résistance physique. Il buvait certainement plus qu’il n’aurait du, et fumait d’une façon parfaitement excessive. Il est vrai qu’a cette époque les français considéraient comme un titre de gloire de s’adonner aux joies de l’alcool, et la cigarette n’était pas encore condamnée par le corps médical. Malgré tout il continua à assumer ses fonctions, tout en regrettant de traîner au tableau d’avancement. Son amour pour Marthe était intact, mais ses accès d’humeur devinrent plus fréquents. Il commença à engraisser, et s’interrogeait de plus en plus souvent sur ses buts et le sens de sa vie. Il pensa qu’un retour au Tonkin, dans ce pays qu’il avait tant aimé, et qui représentait encore l’aventure, lui serait bénéfique. C’est en 1929 qu’il demanda son affectation au 1er Étranger qui était cantonné près d’Hanoï. Et ce fut, enfin, le 25 novembre 1929 qu’il fut nommé lieutenant-colonel.Il dut patienter jusqu’au 14 février 1931 pour recevoir son ordre d’affectation dans cette unité qu’il était chargé de commander en second. Il partit donc sur un transport de troupes, et nous le rejoignîmes quatre mois plus tard bord du navire régulier de la Cie Paquet. Entre temps, il avait pris le commandement du 5eme Étranger,et nous débarquâmes dans le très beau logement de fonction qui lui était alloué à Dap-Cot,une banlieue d’Hanoï.Henry et Marthe entamèrent une vie mondaine avec réceptions et devoirs sociaux que leur imposait ce poste. Lui, partait le matin pour remplir les devoirs de sa charge et revenait le soir, menant une vie de fonctionnaire, ce qui ne pouvait absolument pas lui convenir. Épris de grandes aventures, et d’opérations hasardeuses vécues avec ses chers légionnaires et les officiers qui partageaient sa passion, il se trouva très vite à l’étroit dans cette vie routinière et sans surprises, ni occasions de se dépasser. Sa santé continuait à se détériorer,et l’alcool, qui a toujours été l’ami et l’ennemi du légionnaire, ne pouvait contribuer à améliorer son état. De plus, le climat dans la région d’Hanoï était particulièrement humide et malsain, et cet homme de cinquante deux ans, usé par une vie mouvementé et hyperactive, commença à changer complètement d’humeur. Crises d’impatience et de colère pour des futilités, ponctués de périodes de remords où il redevenait le mari et le père attentionné qu’il était. Une peur le taraudait, celle de ne pas toujours rester maître de ses réactions,et de risquer de faire du mal aux deux êtres qu’il aimait le plus.En raison de sa mauvaise santé, nous fûmes envoyés dans une station de montagne,au Tam-Dao, pour y passer la saison la plus difficile.Nous y restâmes jusqu’au 6 septembre 1932, et prîmes le train pour Hanoï à cette date.Mon père se trouva seul pendant ce trajet, car ma mère, consciente de son état,voulait le laisser se reposer, et nous nous étions installé dans un autre compartiment.C’est quelque temps avant Yen-Bay que nous entendîmes un bruit,comme une vitre qui se brise, et ma mère me demanda d’aller voir ce qui se passait. J’entrais dans le compartiment et vis mon père affalé sur la banquette; Il s’était donné la mort à l’aide de son revolver d’ordonnance. Toute mon enfance on voulut me cacher ce suicide,et pourtant la certitude de sa décision désespérée m’a suivie jusqu’a ce qu’on m’en informe lors de mes dix sept ans. J’ai longtemps cherché les raisons de son acte mais maintenant que j’ai vieilli, je crois les comprendre. Détruit moralement et physiquement par la maladie, les abus, et la conviction que tout ce en quoi il croyait et tout ce qui avait été le but de sa vie n’existait plus,que la vie casanière qu’il aurait du assumer ne lui convenait plus, il est possible qu’il n’ait pas vu d’autre issue. Peut-être vous direz vous qu’il aurait pu prendre en considération sa femme et son fils,à qui il a bien manqué par la suite, mais étions nous dans son esprit.Et à une époque où les aides psychologiques n’existaient pratiquement pas, pouvons nous juger ce qu’il aurait du penser. Parfois, des décisions rapides et incontrôlées mènent notre destin, et je ne saurais condamner celui qui fut mon père. L’armée et la légion ont décidé qu’il était mort pour son pays, et il me semble que ce n’était que justice, en reconnaissance pour son courage et son dévouement envers sa patrie.Le général Rollet ne s’y est pas trompé qui fit paraître l’ordre général No 3 le 17 septembre 1932.

Inspection de la Légion Étrangère Ordre général No 3 Le Lieutenant-colonel de Corta du 5ème Étranger est décédé au Tonkin. C’était une des figures les plus belles de la Légion Étrangère. Il lui avait consacré 22 ans d’une carrière mouvementée et brillante: Il meurt sous son drapeau. Avant la guerre il ne cessa de faire campagne pendant neuf ans dans le sud algérien, au Maroc et au Tonkin. Blessé en 1915, il est ramassé par l’ennemi sur le champ de bataille,et après une dure captivité qu’il passe dans les camps de répression à la suite de nombreuses tentatives d’évasion,il a hâte dés 1919 de reprendre sa place dans les rangs de la Légion, qu’il ne quittera plus. Jusqu’en 1923, le 3éme bataillon du 4éme Étranger qu’il commande est une des unités les plus en renom de la région de Marrakech : il entraîne cette troupe ardente dans neuf combats classés qui valent à son chef une réputation d’élégante bravoure. Pendant la guerre du Riff il commande un groupement de deux bataillons. Déjà à cette époque, sa santé semble atteinte mais il ne peut quitter la troupe qu’il aime. Il part au Tonkin et au bout d’un an de séjour il y succombe.

Le Général Rollet, inspecteur de la Légion Étrangère,salue avec émotion la mémoire du Lieutenant-colonel de Corta en qui s’alliaient harmonieusement les plus belles qualités militaires. Tlemcen, le 17 septembre 1932 Le Général de Brigade Rollet Inspecteur de la Légion Étrangère

la Légion étrangére au tonkin[modifier le code]

le légion étrangére au tonkin

Réforme militaire - Plaidoyer du Lt. Col. Bonifacy paru le 30 mars 1930 dans l'Éveil économique de l'Indochine[modifier le code]

Éveil économique de l'Indochine, n° 667 (30 mars 1930). « Sommaire Un courageux plaidoyer pour les tirailleurs. . Ll. Col. BONIFACY Un courageux plaidoyer pour les tirailleurs Nous n'avons pas voulu nous faite ici l'écho de ceux qui, dans les premières semaines d'énervement à la suite des événements de Yèn-Bay. réclamaient la suppression totale des troupes indigènes, bous avons au contraire fait remarquer que si nous ne pouvions plus avoir aucune confiance dans ces troupes pour la défense du pays nous n'avions qu'à évacuer. Nous nous sommes contenté de réclamer un peu moins de régiment de tirailleurs, une légère augmentation des troupes blanches, à l'exclusion des troupes noires, la création d'une police fluviale bien outillée, le renforcement de la police, de la gendarmerie et de la garde indigène ; mais surtout la cessation des causes, bien connues et imputables en particulier au ministre Daladier et au général Pellier, qui font que les cadres français des tirailleurs n'ont plus leurs troupes en mains, et aussi des causes imputables à une conception ridicule du régime pénitentiaire, qui risquent de démoraliser la garde indigène Par contre un écrivain, caché sais un pseudonyme,et dont fort peu de gens connaissent l'identité, après avoir assez bien exprimé au lendemain des troubles les sentiments d'un peu tout le monde, mène depuis, dans le journal dont feu M. Henri de Monpezai, bien que décédé depuis neuf mois reste le directeur-gérant responsable, une campagne acharnée pour la suppression des troupes indigènes. En cela ^beaucoup de ceux qui avaient, au début, applaudi aux articles signés de Monty, ont préféré se ranger à l'avis, si courageusement exprimé de notre vieil ami M. le lieutenant-colonel Bonifacy. Mais M.le Ll. Colonel Bonifacy n'est pas de ceux qui crient avec la foule et se laissent impressionner par les énervés aussi, s'est il permis d exprimer son avis à la fameuse réunion des élus. Élu lui-même, il avait le droit de parler, mais ce qui lui en donnait surtout le droit c'était la belle jeunesse intellectuelle qu'il a gardée malgré son âge, c'était son âge, que certains auraient bien fait de respecter, c'était sa profonde connaissance du pays, surtout son expérience des troupes indigènes. Tout cela, certes, lui donnait le droit de parler,tout autant, semble-t il qu'à un certain colon hurluberlu qui n'en est pas à sa première manifestation de girouette. Comme ce discours du colonel Bonifacy risque d'être déjà oublié, dans ce pays de l'oubli, nous le reproduisons ci dessous : Messieurs, En 1857 les foules indiennes étaient inquiètes, elles craignaient les innovations des Anglais, l'expansion de l'instruction. Sur un motif qui peut nous paraître futile, ce qui montre combien on doit éviter de blesser les superstitions populaires,le régiment de Mirthabat se soulève, puis ensuite presque toutes les troupes de la résidence du Bengale et du Nord-Ouest de l'Inde. Des milliers d'Européens furent massacrés et il fallut deux ans pour dompter définitivement la rébellion. Et croyez-vous que les Anglais, gens pratiques, crurent devoir supprimer les troupes indigènes ? Dix ans après, celles-ci comptaient environ 140 mille hommes contre 60 mille Anglais, sans compter 120 mille indigènes dans la police et à peu près 300 mille soldats dans les états dits indépendants. Les troupes anglaises comprennent presque toute l'artillerie (treize mille hommes contre neuf cents Hindous) peu de cavalerie, le reste d'infanterie. Par contre l'armée indigène comprend presque toute la cavalerie.le génie, les gardes du corps. Un principe strictement applique est que les Indigènes et les Anglais hommes de troupe ne sont jamais mélangés. Les compagnies ne comptent qu'un officier anglais, le régiment qu'un chef de corps et un quartier maitre(officier comptable) anglais. Par contre ces officiers, appartenant au 5 éme corps sont rigoureusement spécialisés. Ils ne peuvent en faire partie que s'ils parlent et écrivent couramment l'hindoustani, langue qui sert à la comptabilité. De plus, après un temps donné, ils doivent posséder une deuxième langue indienne. Les officiers du Staff corps fournissent presque tous les dirigeants du survey service, corps dans lequel, il est bon de le souligner, les métis eurasiens entrent dans la proportion de 95 0/0. El il en est à peu près de même dans l'armée des Indes Néerlandaises. Ne sommes-nous pas capables de faire ce qu'on fait nos émules en colonisation ? Or avec l'ancienne organisation, alors que nos officiers et sous-officiers étaient à demi-spécialisés, alors qu'on encourageait le retour des mêmes cadres dans les colonies, nous n'avons jamaisconnu, je l'affirme hautement,.de trahison dans,nos troupes indigènes. Hoa-Binh,Thai-Nguyên pour la Garde Indigène, Binh-Liêu pour les tirailleurs-chinois, je le répète au risque de me faire encore traiter de bolcheviste,n'ont été que mouvements amenés par la faute des chefs. Peut-on dire encore : Tel chef, tel soldat ? Peut-on reprocher à nos cadres actuels de ne pas savoir diriger leur troupe .?.... Je ne 1 e crois pas ; si les officiers, les sous-officiers ne connaissent pas les hommes, c'est qu'ils sont comme eux absolu ment instables,- c'est que les cadres, les hommes, ne font que passer dans les unités. Vous savez aussi bien que moi qu'il est impossible aux premiers d'apprendre la langue, de s'appliquer à connaître l'esprit, les coutumes de ceux qu'ils ont les plus grandes chances de ne plus revoir. On n'apprend pas l'annamite parce qu'on sait que bientôt on ira commander des Malgaches ou des Africains ; c'est humain. Et cependant je suis persuadé, et vous l'êtes comme moi,que pénétrer la mentalité annamite, acquérir le doigté nécessaire pour faire de ces Asiatiques des soldats dévoués ne s'apprend -pas en un jour. Ceux qui l'ont fait en sont pénétrés plus que personne. Mais doit-on briser la machine parce qu'on ne sait pas la diriger ? Un publiciste anonyme mène une campagne que je crois devoir qualifier de néfaste, et qui démontre chez lui une méconnaissance complète des nécessités du moment. Il clame inlassablement qu'il faut supprimer les troupes indigènes; il n'admet même pas,comme certains d'entre vous, qu'on puisse les remplacer par des troupes nègres ; il veut que l'on emploie, exclusivement, des troupes blanches. Et, Messieurs, au moment où l'on applique le service d'un an, où l'on ne peut pas recruter le nombre nécessaire de soldats et de cadres de métier,-où la France se voit obligée de faire appel à des indigènes de ses colonies pour assurer sa sécurité, croyez vous qu'on enverra ici 20 ou 30 mille hommes, dont une partie ira séjourner dans des postes éloignés et souvent malsains, pour assurer l'intégrité de l'empire d'Ànnam ? C'est pure folie! Et quelle répercussion ! Je suis persuadé,Messieurs,que vous avez deviné les remèdes que je veux proposer, J'ai exposé dans la presse, bien avant la tempête, les moyens qu'on, aurait dû prendre pour la conjurer. Ces moyens sont ; spécialisation des cadres, en affectant toujours les mêmes officiers et sous-officiers aux troupes annamites. Les y attirer en accordant des primes; sérieuses et graduées pour la connaissance des langues indigènes. Encourager, au lieu de les empêcher, les longs séjours dans la colonie et accorder des congés (avec solde de présence et paiement des primes) dont la longueur serait calculée en fonction de la durée du séjour. Prendre les moyens nécessaires pour assurer la stabilité des indigènes dans les compagnies, les cadres étant formés par le capitaine lui-même. Noter les officiers d'après le degré d'instruction et de valeur de leur troupe à tous les points de vue. Se conformer aux coutumes indigènes en reprenant le service de six ans, et, toujours suivant ces coutumes, rendre la commune responsable de la conduite des hommes qu'elle a fournis. Autoriser le rengagement des hommes ayant les aptitudes physiques et la valeur morale requises,sous la responsabilité des capitaines. Donner les grades, non pas à la valeur livresque des candidats, mais en tenant surtout compte du courage, de la résistance, de l'aptitude au commandement, de la fidélité aux chefs. Multiplier les insignes et les récompenses honorifiques. Assurer les relèves par compagnies et, autant que possible, éviter le séjour dans les villes. Il est des règles de détail que je ne puis énumérer, mais l'application des principes ci-dessus, si elle ne peut empêcher toute propagande révolutionnaire, permettrait au moins aux chefs directs de connaître les brebis galeuses. Je rappelle que le seul tirailleur du 1er Tonkinois (Section H. R.)impliqué dans le complot de 1908 était noté ainsi par son capitaine: 1res mauvais esprit, est indigne d'être rengagé. Ajoutons que, si on forme des unités non annamites, elles doivent être complètement séparées, même si elles comptent à une compagnie annamite, et laissées dans leur pays d'origine. J'ai dit que je n'étais pas partisan d'employer ici des troupes noires. Ce serait d'abord une marque d'impuissance de notre par non seulement nous perdrions la face devant. la population indigène, mais il serait à craindre que celle ci ne proteste contre cette mesure. On peut parfaitement supposer que la conduite de ces hommes vis-à-vis de la population ne soit pas correcte. Quant aux Algériens,ceux amenés ici vers la fin de 1899 résistaient beaucoup moins bien au pays que les Européens, bien qu'on les eût placé dans des garnisons de choix. Les officiers indigènes eux-mêmes n'avaient aucun ressort.. La seule compagnie employée fut envoyée à Backan, où elle ne put tenir. Elle ne tint pas même à Viettri et fut incapable de faire le trajet de Gia Lâm à Bac-Ninh, en deux étapes. Nous ne voyons ici que des événements semblables à,ceux qui se passent dans le monde entier. Les animateurs du mouvement dans la colonie se trouvent en Fiance et en Chine. Si nous ne pouvons agir diplomatiquement sur cette dernière, malgré les avanies qu'ellefait subir ànos agents,il semble, qu'on pourrait, en France, prendre des mesures plus sérieuses pour l'enrayer. Et il faudrait que les cadres de nos troupes annamites en France soit également spécialisés. __ Il faudrait créer, pour ces tirailleurs, un milieu familial, ne pas les laisser en proie à des excitations malsaines qui leur font perdre le respect qu'ils ont pu conserver pour les Français. Résumant ce que je viens de vous dire, je pense que vous pouvez émettre les vœux suivants: Spécialisation des cadres français dans les troupes annamites. Service à long terme et application des lois et coutumes annamites en ce qui concerne les militaires indigènes. Autonomie des compagnies indigènes. Lieut. Col. BONIFACY »

Notes et références[modifier le code]